samedi 29 décembre 2012

Ces petits plaisirs là...

C'est ce petit plaisir là. Celui qui rend la journée plus belle, ou la nuit moins triste... 

On était allongé sur le canapé, il n'y avait rien à la télévision, ni sur la 2, ni sur arte, encore moins sur TF1 ou sur M6. Rien que des séries qu'on n'avait pas suivi, ou des films qu'on avait déjà vu. Celui qui partage notre vie avait plutôt décidé de passer la soirée avec son ordinateur, même le chat semblait se désintéresser totalement de notre petite personne. 

On avait d'abord soufflé, un peu râlé, puis tenté un petit somme. On s'était retourné, on était passé sur facebook. On avait pianoté quelques notes, on avait écrit quelques mots, mais rien de bien probant. Alors, on était retourné se prélasser, la télécommande en main, tel un trophée de guerre, le regard dans le vague.

On s'était mis à zapper, un petit tour sur le replay, entre dîners presque parfaits et cauchemars en cuisine, et soudain, bien caché, la perle rare. Un petit bijoux, dissimulé entre toutes ces émissions abrutissantes qui passent à longueur de journée. Un diamant, dans un petit écrin, écran... On avait presque eu peur qu'elle ne se lance pas. Pas une pub, pas un bug, un chargement rapide, et on s'était retrouvé en plein coeur d'un concert de Bénabar. 

Pas un immense live, avec des projecteurs, des flammes lorsque le chanteur arrive sur scène en hélicoptère, ni un orchestre complet... Non, un petit concert, intimiste, acoustique, quelques musiciens, deux choristes, et un chanteur. De la musique. Du bonheur pour les oreilles. Des mélodies, des accords connus. On n'avait pas pu s'empêcher de bouger les pieds au rythme des différents morceaux... 

Et puis les mots, ces mots qui racontent "un couple divague sur la maison future", ces mots qui caressent "moi je tombais amoureuse comme on tombe d'une chaise", ces mots qui touchent "moins vite, trainez en chemin qu'on en profite"...  Les mots du poète, de ce poète chanteur, qui en quelques phrases, en quelques notes, a su illuminer notre soirée. 

C'était ce petit plaisir là. Celui qui avait rendu la journée plus belle, et peut-être la nuit moins triste... C'était ce petit plaisir là... Ces petits plaisirs là, souvent bien dissimulés, qui rendent nos vies joyeuses et nos routines heureuses... Comme un immense trésor caché, là, dans un coin du salon...

jeudi 20 décembre 2012

Défi écriture (5)

Voici le nouveau défi d'écriture, proposé par Clémence. Je me suis lancée un défi perso dans le défi : écrire un conte. 

Le thème du défi : Noël
Contexte imposé : Votre action doit se dérouler les 24 et 25 décembre. Je laisse votre imagination nous amener vers des nouvelles de tout genre (policier, thriller, horreur, SF, fantasy, roman d'amour, politique, philosophie de la vie, comptine pour enfant...). 
Mots imposés : neige / sapin / rouge
Forme du texte : libre
Date où vous devez avoir publié : le 25 décembre (of course)
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Il y a bien longtemps, dans un monde que nous ne connaissons pas, dans un lieu dont nous ignorons tout, vivait une vieille dame, solitaire et voûtée, que tout le monde appelait Baboulga. Elle habitait une chaumière délabrée, en bordure de forêt. De la fenêtre de la maisonnette, on peut voir danser les écureuils et leurs pas sur la neige.

En cette veille de Noël, les odeurs d'épices venues des quatre coins du monde viennent nous chatouiller le nez. Tout semble usé, vieilli, usé, rongé par le temps et pour cause : la propriétaire de ces lieux n'a pas moins de 92 ans. Baboulga avait été de ces femmes qui font tourner la tête des hommes. Elle avait été belle et gracieuse, agile et futile. Elle avait aimé plonger ses yeux bleus azurs dans le regard de ses prétendants, et avait toujours eu l'impression de pouvoir les ensorceler. Car c'était bien là son ambition, son rêve le plus intime, le plus fou peut-être, le moins réalisable...

A l'âge de dix ans, Baboulga avait déclaré "plus tard, je serai sorcière !". Elle rêvait de magie, d'étincelles, de baguettes et de balais volants. D'évasion, en somme... La sorcière que Baboulga rêvait d'être n'était pas de ces affreux personnages que l'on retrouve dans les contes de fées les plus sordides. Ce que Baboulga voulait, c'était vivre de magie. 

Mais hélas, la fillette n'avait pas été épargnée par la vie, et coincée sur son lit d'hôpital, la maladie qui la terrassait l'empêchait de s'évader où bon lui semble. Elle avait décidé de se battre, du haut de ces dix ans, se battre pour elle, mais aussi pour les autres. Se battre pour eux aussi, ces enfants zombies que l'on croise dans les couloirs de l'hôpital et qui semblent avoir déjà vécu 92 ans. L'âge de Baboulga aujourd'hui...

Elle gagna son pari. A vingt ans, un 25 décembre, le médecin prononça le seul mot magique de toute sa carrière : "rémission". Baboulga était guérie, il n'y aurait plus de blouse blanche, de piqûre, d'attente interminable, d'avis contradictoires. Il y avait juste la vie, qui avait décidé de lui laisser une chance. Alors Baboulga devint sorcière. Elle devint la sorcière-gentille comme les gamins l'appelaient lorsqu'elle partait en mission en Afrique, elle était la sorcière-bien-aimée dans les bras de ces hommes  qu'elle caressait, elle était la sorcière-maman pour le petit Luca qu'elle avait tant bercé. 

Et la vie avait continué. Agaçante, angoissante, frileuse, peureuse, souvent heureuse. Quatre-vingt douze ans de vie et le combat d'une femme, amoureuse du fado, amoureuse de sa mélancolie. 

De la fenêtre de la petite chaumière, on peut voir danser les écureuils, et leurs pas sur la neige. Aujourd'hui, veille de Noël, Baboulga ferme les volets. Il n'y a plus rien à attendre, il n'y a plus personne. A côté du petit sapin branlant, coupé fraîchement dans la forêt, Baboulga prend dans ses mains ridées la photo de son fils. Le verre est brisé, le cadre est tombé le jour de la mort de Luca. Il n'y a plus rien à attendre, il n'y a plus personne. Le vieux tourne-disque chante "douce nuit". Baboulga s'allonge, sur son lit. Elle fermera les yeux, et s'enfuira enfin, vers cet autre monde, pour rejoindre tous ceux qu'elle aimait. Baboulga s'endort, le sourire aux lèvres. Non, elle n'est pas devenue une vraie sorcière. Mais une chose était sûre, en apprenant à faire danser les étoiles dans les nuit les plus sombres, elle avait découvert comment ne jamais devenir... une grande personne !

lundi 10 décembre 2012

Elisa

Elle avait mis son petit pull marin, pour l’occasion. Rayé bleu et blanc. C’était la première fois qu’elle foulait cette plage. Elle avait longtemps hésité avant de venir. N’était-ce pas là un grosse erreur ? La fin d’une idylle tellement envoûtante ? C’est vrai, elle le connaissait depuis longtemps maintenant. Mais la vie virtuelle avait quelque chose de protecteur. Comme si le danger n’existait pas, par écrans interposés. Derrière son clavier, elle n’avait plus peur de dire les choses comme elle le pense, elle était quelqu’un d’autre.

C’est ce « quelqu’un d’autre » qui inquiétait le plus Elisa. Là, sur la plage, peut-être même sous quelques gouttes de pluie, elle ne pourrait plus tricher. Il faudrait trouver les mots justes, sans se tromper, sans faire d’erreur, sans blesser.

Lorsqu’ils branchaient tous deux leur webcam, le monde d’Elisa se transformait. La vie devenait plus amusante, attrayante. Elle prenait tout son intérêt lorsque le visage de son ami apparaissait sur le petit écran. Des sourires, des cœurs formés avec les doigts, des bisous envoyés avec la main… Jamais de contact réel, jamais de parole prononcée à voix haute. Juste des gestes, et le bruit sec du clavier crépitant sous les doigts d’Elisa, et son cœur battant au rythme des touches.

Elle se remémorait ces conversations interminables, lorsque l’on pense que le monde entier dort déjà. Ces conversations qui rassurent et qui font croire qu’on s’aime. Derrière l’écran, elle s’était dévoilée, elle avait facilement pianoté les sept lettres les plus importantes de sa petite vie de jeune femme.

Devant la désapprobation de ses parents, elle avait décidé de désobéir. Pour essayer, pour voir, pour tenter. Braver l’interdit, pour à nouveau trouver ce brin d’excitation, ce plaisir qu’elle ressentait lorsqu’elle s’inventait une vie par boîtes de dialogues interposées. Maintenant qu’elle y était, l’inquiétude avait remplacé le plaisir. Sera-t-il au rendez-vous ?

Elisa observa longuement un vieux monsieur, assis sur un transat, entouré d’enfants qui riaient en creusant le sable. Elle pensa au bonheur qu’il devait ressentir d’être au milieu de cette marmaille. Elle se dit qu’elle aussi, un jour, elle voulait être grand-mère, et se s'installer, pourquoi pas sur  cette plage, pour observer ses petits enfants, jouant gaiement.

Elle s’assit, dessinant avec son doigt des formes aléatoires sur le sol. Le vent soufflait fort, et les vagues grondaient, mais elle se sentait légère et futile. Pourtant, au fond, tout au fond d’elle, l’angoisse grandissait. Plus les secondes passaient, plus le battement de son cœur accélérait.

Elle repensa à sa mère, qui lui avait reproché son côté trop fleur bleue. Elle se remémora ces instants indécis avec lui, où ils avaient longuement parlé de cette rencontre. C’est lui qui avait choisi la plage, elle s’était laissée porter. Ce rendez-vous tournait la page d’une histoire, elle espérait pouvoir en construire une autre avec lui. Il était beau, intelligent, musicien, poète… Il avait su la séduire par les mots, par ces phrases envoûtantes qui font parfois couler les yeux. Mais les plus grands poètes ne sont pas forcément les meilleurs amants…

Elisa était assise là, sur ce coin de plage, depuis une petite heure. Le temps semblait s’égrainer, s'envoler, insensible à la peur de la jeune fille, tel le sable entre ses doigts. Elle regarda longuement ces hommes et ces femmes venus fouler la plage, un dimanche après-midi. Elle jeta un œil à sa montre, et effaça ses dessins, lentement, de manière quasi-cérémonieuse. Elle sentit la colère monter en elle. De rage, elle essuya une larme coulant le long de sa joue. Le destin n’avait pas choisi le bonheur pour elle aujourd’hui… Déjà seize heures, c’est sûr, il ne viendra plus…

lundi 26 novembre 2012

Blues...

 Encore un texte écrit il y a quelques temps, retravaillé avec beaucoup d'application depuis...

C'est un moment particulier. L'ambiance n'est plus vraiment à la fête. Les chaises ne sont pas tout à fait bien alignées le long de la table de la salle à manger. Une légère musique résonne encore, là, au fond de la pièce, quelqu'un a oublié d'éteindre la chaîne.

Le temps semble s'être figé. Rien ne bouge. La trotteuse avance au ralenti. Les peluches posées sur l'étagère n'ont plus de vie, plus d'âme. D'ailleurs, il y en a une qui est tombée. Dehors, pas un cri, pas une voiture. Les enfants sont rentrés depuis longtemps. Personne ne s'attarde dehors. Le froid engourdit peu à peu les murs de l'appartement.

Dans la cuisine, quelques miettes de pain sur la table. Des sandwichs faits rapidement, pas le courage de cuisiner. La vaisselle jetée dans l'évier, un morceau d’aluminium qui traîne. Même le chat tourne en rond, comme si lui-même ne savait plus trop où aller.

Dans le salon, quelqu'un tourne des pages. On entend le bruit sec et craquant du papier entre les doigts. C'est le moment de regarder des albums photos, de se perdre dans des souvenirs, dans les "tu te rappelles ?" et les "mais si, souviens toi !".  Comme si la nostalgie d'un passé plus ou moins lointain pouvait nous guérir de l'instant présent.

L'album est vite refermé. Il faut regarder l'heure. S'agacer du tic-tac de l'horloge de la cuisine. Il faut faire la liste de tout ce qu'on n'a pas pu faire. Pas voulu faire. Pas eu le temps.  Il faut faire la liste de tout ce qu'il reste à faire. Comme un sursaut d'angoisse dans ces instants ouatés.

Très vite, le retour de l'attente. Une nouvelle accalmie. Cette attente qui guide nos vies. Cette attente qui nous fait peur, nous terrifie, l'attente qui nous permet d'espérer aussi. L'attente qui nous ronge de l'intérieur, et dont on ne pourrait se passer... Attendre le lendemain, sans savoir de quoi il sera fait.

Le CD est terminé. Le chat a fait tomber une pince à linge, et joue avec, comme pour se donner une contenance. On s'assoit, on se relève. On fait quelques pas. On retourne s'assoir. On allume la télé. On zappe un peu. On souffle. Il faut paraître normal, dans cette atmosphère si étrange. Tout est rangé, nettoyé, vérifié, ordonné, revérifié, classé, astiqué, posé. Prêt. On est prêt, pourtant on a peur de l'affronter.

Dehors, des âmes errantes promènent des chiens, les deux mains dans les poches, le regard au sol. Les quelques piétons de passages ont le regard vide, et le pas morne.  Le monde entier semble perdu dans ses pensées. Quelque chose ne tourne pas rond.

Finalement il faudra se décider, se glisser sous la couette. Le lit semble plus froid, le matelas moins accueillant. Le rideau est de travers, et le chat se love à nos pieds. Il faut régler le réveil, soupirer peut être. Lorsque enfin la lumière s'éteint,  nos yeux sont grands ouverts. Le sommeil ne viendra pas tout de suite. Il faudra d'abord affronter toutes ces pensées, ces inspirations que l'on a seulement dans ces temps là. Il faudra affronter ce spleen qui nous envahit lorsque vient le moment , cette mélancolie qui nous submerge lorsqu'arrive l'instant fatidique. 

Ce blues qui nous rend fous, lorsque vient le dimanche soir...

mercredi 21 novembre 2012

Vieillir...

Un texte écrit il y a quelques temps, sur mon thème de prédilection : le temps qui passe... Relu et corrigé, je décide de la publier ici...

Vieillir. Avant eux. S’en rendre compte. Partir déjà un peu. Avoir peur. Douter. Craindre. Les regarder s’éloigner. Ne pas les retenir. Souffrir.

Vieillir. Penser à ce qu’on a vécu. Parler au passé. Perdre toute conviction. Se laisser aller. Ne plus croire.
Vieillir. Vieillir. Vieillir. Indéniablement. Inexorablement. Sans s’opposer vraiment.

Et puis ouvrir les yeux. En parler à quelqu’un. Rêver de jours meilleurs. Faire de nouveaux projets. Apprendre des bonnes nouvelles. Et y croire à nouveau.

Repartir de plus belle, retrouver l’étincelle, illuminer son regard, y croire, y croire encore…

Vieillir. Parce qu’on ne peut pas l’empêcher. Parce que la vie ne nous laisse pas le choix. Parce que les rides prennent le dessus, parce que le bonheur n’est pas éternel.

Vieillir. Même si l’on résiste, même si l’on existe… Vieillir à contre sens, vieillir contre sa volonté, vieillir sans l’avoir vraiment voulu, vieillir et se savoir aimé…

Vieillir, mourir un peu déjà.

Le temps qui passe. Toutes ses horloges qu’on voudrait arrêter. Et la trotteuse qui court après les autres aiguilles.

Vieillir. Le jeu éternel des années qui passent. Les bougies, les anniversaires, les Noël qu’on ne compte plus sur les doigts de sa main…

Vieillir, ou la complainte de la solitude.

Vieillir, ça commence quand ?

jeudi 15 novembre 2012

Soixante ans...

Lorsque j'aurai soixante ans, disait le petit garçon, j'aurai une grande voiture, une rouge, comme celle de mon papa. Je serai grand, et fort, et je pourrai enfin casser la figure à tous ces autres qui m'embêtent ! Je serai pilote de chasse, ou alors musicien, ou alors les deux. Pilote de chasse-musicien, c'est chouette comme métier non ? J'aurai une belle maison, ou alors un château fort. Oui, je serai chevalier, et puis j'aurai plusieurs princesses qui seront amoureuses de moi... Ou alors je me marierai avec maman.

Moi, quand j'aurai soixante ans, clamait l'adolescent, j'aurai une belle barbe brune, et j'irai voir des concerts de rock. Je m'habillerai comme je veux, et personne ne me dira ce que je dois faire. Je serai riche, peut-être joueur de foot, ou alors comédien. Acteur, dans les grands films. J'aurai une villa, sur la Côte d'Azur, et une belle femme, qui ressemblera un peu à Elisa, que j'ai croisé dans le bus tout à l'heure... Et puis, ce qui est sûr, c'est que j'aurai un scooter ! 

Quand j'aurai soixante ans, pensait le jeune père, qui sait je serai peut-être à la retraite, les enfants seront grands. Avec un peu de chance, il en restera un avec nous. J'aurai une maison, une grande, à la campagne, avec un jardin. Des légumes toute l'année, et une immense cuisine équipée ! Les enfants viendront nous voir, peut-être avec leurs maris ou épouses, et je voyagerai. Bien sûr qu'elle sera encore là, elle, la mère de mes enfants, et la femme de ma vie. 

Aujourd'hui, j'ai soixante ans, pensa le jeune grand-père. Qu'ai-je fait de ma vie ? Je ne suis pas pilote de chasse, je ne me suis pas marié avec ma mère. Je n'ai pas de grande villa, et je ne suis pas devenu acteur. Je n'aime pas tellement les voyages, et je n'ai jamais eu de scooter. Mes enfants ne sont plus à la maison. Ma voiture est blanche, et je chante plutôt faux. Pas de princesse, pas de château, pas de Côte d'Azur, pas de corps d'athlète... 

Et pourtant... Pourtant les cris de mes petits enfants remplissent mes yeux de larmes, la réussite de mes enfants gonfle mon coeur de fierté... Pourtant je suis le plus heureux de hommes, et je ne pense pas avoir trahi le petit garçon que j'étais...

Aujourd'hui, j'ai soixante ans, pensa le jeune grand-père. Et aujourd'hui sera un bien beau jour, comme tous les autres à venir !

Parce que ça n'arrive pas tous les jours, je lui souhaite un bon anniversaire !

mardi 13 novembre 2012

Le cours de natation

C'est mardi, fin du cours de natation. L'entraînement a été rude, mais bienfaiteur. Beaucoup de longueurs, de nouvelles techniques, et puis quelques discussions, avec nos partenaires de galères. On n'avait pas envie d'y aller, il faisait froid dehors, on était fatigué, et puis finalement, on n'a plus vraiment envie de sortir... 

Quelques brasses, juste pour le plaisir de sentir l'eau caresser la peau, une dernière fois avant la semaine prochaine. La respiration reprend peu à peu son rythme normal, les lignes d'eau sont enlevées, il est temps de partir. Je regarde les derniers nageurs quitter le bassin, j'attends quelques secondes, et à mon tour je rejoins les vestiaires. 

C'est un peu surnaturel, la piscine, le soir. Je prend ma douche, il n'y a déjà plus personne. Je me prends à imaginer qu'ils vont m'oublier, m'enfermer dans ce lieu mystique, et que je n'aurai d'autre choix que de retourner nager, encore et encore, pour oublier la solitude, et lutter contre la peur. 

Au niveau des casiers, on entend déjà plus de bruits. Certains se parlent de cabines à cabines. On imagine qu'ils ont du mal comme nous, à enfiler leur pantalon. La serviette au sol, les pieds nus dessus, les cheveux mouillés qui dégoulinent tout le long du dos, la chaussette qui tombe par terre, au moment de la mettre... On se sent à nouveau empoté, comme quand nos mamans nous grondaient car nous n'allions pas assez vite pour nous rhabiller.

Une étrange satisfaction règne dans l'air lorsqu'une fois vêtue de la tête aux pieds, je sors du vestiaire, mon sac et ma veste sous le bras, et le peigne dans la main. Un dernier passage sous le sèche cheveux, et voici enfin le moment tant attendu. 

Celui où l'on pousse la porte. On a dit bonsoir. Certains ont répondu. Et puis, je me retrouve seule. Dans la nuit. Le froid qui engourdit mes pensées pénètre sous ma veste. Je repense au bonnet, qu'il fallait absolument mettre quand on sortait de la piscine avec l'école, parce qu'on n'avait jamais le temps de se sécher les cheveux. Alors, je me dis que j'ai de la chance. De la chance d'être là, de vivre ça. De la chance de ne pas avoir été oubliée dans le vestiaire. De la chance de pouvoir bientôt rentrer au chaud. De la chance, surtout, de ressentir tout ça, de la chance, simplement, de pouvoir me dire : "c'est si bon de sortir dans le froid après être allée à la piscine !".

samedi 3 novembre 2012

Défi Ecriture (4)

Thème : Le Prix Nobel

Contexte imposé
: On vous annonce la veille de la distribution des Prix Nobel que vous êtes favori pour gagner un des prix. Vous devez donc concocter un discours de remerciements pour être prêts le jour J.


Forme du texte : Discours de remerciements
On attend dans ce discours de l'émotion, de la surprise... et votre personnage peut être drôle, arrogant, imbu de sa personne ou timide. C'est vous qui décidez. Il s'agit d'être imaginatif! Dans votre discours, la raison pour laquelle vous recevez ce prix doit être assez claire pour que votre lecteur comprenne de quoi il s'agit.

Quel Prix Nobel ? : il en existe plusieurs comme vous le savez. Je vous laisse le choix entre : Prix Nobel de Physique / Littérature / Physiologie et Médecine.
Vous avez donc totalement le droit de vous inventer un personnage qui a trouvé la machine a voyagé dans le temps ou la pilule pour rajeunir de dix ans... ou bien de vous imaginer dans 50 ans gagner le prix Nobel de littérature pour vos textes.

Date où vous devez avoir publié : 10 novembre
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"Mesdames, Messieurs, chers amis, membres de la famille proche ou lointaine, mon amour, et je vais m’arrêter là même si j’ai peur d’en oublier (petit rire),

Il y a 55 ans de cela, ma mère donnait naissance à un petit être fragile, un petit garçon chevelu, dans la camionnette de mon père qui l’emmenait à l’hôpital. Drôle de façon, me direz vous, de commencer une vie, mais drôle de façon je vous répondrai, de commencer un discours…

En réalité, la situation est plutôt drôle. Etrange. Hasardeuse. Peut-être qu’elle gêne, je ne suis pas sourd aux ragots ni aux rumeurs. Je me rappellerai toute ma vie de l’exclamation outrée de ma vieille tante qui pique lorsque je lui ai annoncé la nouvelle.
- Toi ? Un prix Nobel de médecine ? Mais tu n’as jamais rien fait de ta vie !
(Attendre les rires de l’assemblée).

Il y a 55 ans, je poussais donc mon premier cri, dans la camionnette de mon père, qui n’avait rien trouvé de mieux que de mettre les basses à fond comme pour palier l’angoisse grandissante de voir ma mère souiller les fauteuils à l’arrière.
C’est sans doute là, que tout a commencé. Ce n’est certes pas le moment pour régler ses comptes, mais autant vous dire que mon père ne m’a jamais pardonné le coup de la camionnette, ni à ma mère d’ailleurs, et il a disparu sans laisser de trace juste après la prise en charge par les pompiers. Que pense-t-il aujourd’hui de son fils ?

D’ailleurs, que faut-il en penser ? Les temps changent. Le monde change. De nos jours le médicament contre le cancer est efficace, le VIH a disparu de la planète, nous vivons de plus en plus vieux, et en plutôt bonne santé. Du haut de ses 95 ans, ma mère joue toujours aussi bien au tennis, et ses doigts parcourent toujours aussi facilement le grand piano du salon.
Je dois vous avouer quelque chose, je n’y connais rien en médecine. Pas plus en médecine qu’en physiologie, en biologie, ou tous ces autres noms savants qui m’angoissaient et m’obligeaient à sécher les cours au lycée. Lycée que j’ai quitté bien avant le bac.

J’entends d’ici vos exclamations outrées. Vos protestations. Je vois vos visages ahuris. Mais oui, mesdames, messieurs, le Prix Nobel aujourd’hui devient accessible, simplement parce qu’il n’y a plus rien à inventer. Un scandale ? Une hérésie ? Ce sont les titres de Paris Match lorsqu’ils ont pris connaissance de ma nomination. Mais comment cela peut-il vous choquer ?

Vous qui êtes capables d’élire un président d’extrême droite juste parce que votre voisin black est venu dans votre jardin (non sans avoir franchi la barrière de sécurité, les chiens de garde et la caméra de surveillance) pour vous demander du sel… Vous qui vous êtes déjà battus à mort dans un stade de foot parce que les autres ne défendaient pas la même équipe… Vous qui assistez à ces combats ultra violents entre les hommes et les robots en attendant avec jouissance la mise à mort de l’un ou de l’autre… Vous qui avez reculé sur l’avortement sous prétexte que la vie est un cadeau alors que vous êtes fascinés par le sordide et le trash. Vous les hommes, l’humanité entière, qui passez vos journées collés aux écrans, les doigts rivés sur la souris, et les yeux révulsés d’avoir trop vécu dans le virtuel… Vous les hommes, l’humanité entière et la bêtise grandissante de notre espèce…

Alors oui, je vous le demande, comment cela peut-il vous choquer ? Je suis le produit de votre idiotie, le résultat de votre manque de jugeote. Le jury ne vaut pas mieux que vous. Qui leur a soufflé à l’oreille un jour qu’un grand DJ pourrait recevoir la prix Nobel de Médecine ? Ce qui est sûr, c’est que je répondais à leur attente, et à leur problème. Il n’y a eu aucune grande découverte cette année. L’humanité s’est endormie sur ses lauriers. Ils m’ont cru capable de faire un faux discours, sur le fait que la musique adoucit les mœurs, rassemble, guérit…

Mais je ne sais pas mentir moi, ma musique, c’est bêtement mon gagne pain, et vous, tous aussi cons que vous êtes, vous vous rassemblez devant mes tables de mix pour danser en secouant la tête, et vous sortirez de la en disant : « ah, cet homme, c’est un véritable guérisseur ! ».

Ne vous plaignez pas, ne vous offusquez pas. Je suis le résultat de ce que vous avez toujours dit à voix haute. La musique adoucit peut-être les mœurs, mais une chose est sûre, c’est qu’elle ne rend pas toujours intelligent !

A bon entendeur… "

- Alors, tu en penses quoi ?
- Si tu dis ça, ils vont te tuer…
- J’y compte bien, mon amour, j’y compte bien…

lundi 29 octobre 2012

Nouvelle Prix Don Quichotte

Cette année, j'ai participé à mon premier concours de nouvelles. N'ayant pas été retenue, voici le texte que j'avais envoyé, sur le thème : "dix". 
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Ce jour là, j’avais claqué la porte de l’appartement, en oubliant mes clés à l’intérieur. Mais je ne m’en étais pas rendu compte immédiatement, trop pressé, trop heureux, trop anxieux. Je suis de ces hommes à qui la nature a oublié de confier un peu de sens pratique : sortir avec un grand sac pour faire les courses, ranger méthodiquement les bagages dans le coffre de la voiture avant de partir en vacances, vérifier qu’on a tout le matériel avant de se lancer dans des grands travaux un dimanche… Et surtout, surtout, sortir avec ses clés en main lorsqu’on a une porte qui se verrouille de l’extérieur.
J’avais couru jusqu’à la voiture, et c’est seulement quand il a fallu ouvrir les portes que j’ai compris mon erreur. Mon cœur a fait un bond. Mon sang n’a fait qu’un tour. Pas ça. Pas aujourd’hui. Pas maintenant ! Il faut dire que j’étais en plein rangement.  Nous avions fait une petite soirée avec Antoine. Antoine, c’est mon meilleur ami. Celui à qui on peut tout dire. Tout confier. Sans la moindre hésitation. Celui qui est un peu votre ange gardien en quelque sorte. Et pour un maladroit comme moi, c’était tout simplement ma source d’inspiration dans la vie. Le match de rugby avait eu raison de mon appartement, et lorsque le téléphone a sonné à 10h00, j’étais à peine en train de mettre les bouteilles de bières dans la caisse sur le petit balcon. J’avais immédiatement sauté sur mon sac, laissant tout en l’état, peut-être même la porte du balcon ouverte, vérifié que j’avais les papiers de la voiture et claqué la porte de l’appartement. Mais les clés, elles, trônaient sur le petit meuble de l’entrée, et je n’avais aucun moyen de retourner à l’intérieur.
L’espace d’un instant, j’avais envisagé de multiples possibilités : escalader jusqu’au troisième étage, trop dangereux, enfoncer la porte, difficile quand elle est blindée, crocheter la serrure, mais je ne connais pas la technique… J’avais finalement opté pour une quatrième solution : m’asseoir sur un rocher et pleurer un bon coup. J’étais minable, j’avais peur… Mon esprit ne parvenait pas à organiser mes pensées, et seules les idées les plus absurdes me venaient en tête. Dix bonnes minutes plus tard, j’ai enfin réalisé que j’avais mon téléphone portable. J’étais donc en mesure d’appeler un serrurier. Peu après avoir raccroché, je m’étais rendu compte que j’aurais mieux fait d’appeler un taxi. Trop tard. Il fallait attendre. Sans doute vingt minutes. Peut-être plus. Sans compter le temps de l’intervention. Mes battements cardiaques accélérèrent encore, et je me demandai quelle était la pulsation maximum avant l’arrêt total du cœur.
C’était long. Trop long. J’avais eu le temps de penser. De me souvenir. Assez de temps pour me remémorer la rencontre avec ma femme, Sarah. Pourquoi à cet instant ? Peut-être le chant d’un oiseau, ou simplement une odeur. Les souvenirs arrivent parfois sans prévenir, un peu comme des claques, lorsqu’on est enfant. J’aimais Sarah. Depuis le début. Un amour sans concession, sans bavardage. Un amour vrai et franc, celui d’un homme simple, nature, parfois étourdi. Moi. Notre rencontre était le fruit d’une de mes nombreuses maladresses. A l’époque, je cherchais à séduire une femme de mon service, que je n’intéressais pas du tout, et je lui avais envoyé un mail sur sa boîte au travail, pour l’inviter à boire un verre. Au moment d’expédier, j’avais fait tourner la molette de la souris, ce qui avait changé l’adresse du destinataire, et c’est finalement ma chef qui avait reçu le courrier. J’avais immédiatement rédigé un mot d’excuse, en espérant de tout mon cœur que cela ne me porterait pas préjudice. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le lendemain, j’ai découvert, entre deux mails me proposant d’élargir mon pénis, une réponse positive de ma chef, Sarah Foucher, pour l’invitation à boire un verre le soir même. J’avais longuement hésité, et c’est finalement Antoine qui avait insisté. Ce soir là j’avais donc franchi à la fois la marche du Penseur, le bar le plus proche de chez moi, mais aussi la marche de mon destin. Elle m’attendait, au fond, à une table, avec un petit sourire en coin. Sarah Foucher, mon patron, en rendez-vous galant. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’immédiatement la tutoyer. Deux ans après, nous étions mariés.
La chaleur de ce dix juin se faisait étouffante, et je m’impatientais, lamentablement sur mon  rocher, à côté de ma voiture. Mes ongles étaient déjà rongés jusqu’au sang. Je voyais les aiguilles de ma montre qui tournaient à une vitesse folle. C’est alors qu’elle m’était apparue, dans un bruit affreux de carrosserie rouillée, un peu comme le Messie : la camionnette du serrurier.
-    Bonjour Monsieur Nouvier, vous allez bien, Dites donc, ne serait-ce pas la dixième fois qu’on se voit cette année ? Ca se fête non ?
Je ne suis pas certain d’avoir vraiment été aimable. Je me rappelle l’avoir supplié, à genoux, me tenant à la portière de son tas de taule. Il devait m’emmener à l’hôpital, le plus rapidement possible. Etaient-ce les larmes que j’avais dans les yeux ? L’excitation due à l’enjeu ? Il m’avait fait monter, sans un mot, et avait démarré en trombe, alors qu’assis sur la place du mort, je souriais bêtement au fond de mon siège.
-    Vous l’avez appelé finalement mon collègue plombier ?
Je ne sais pas pourquoi, même s’il est vrai qu’on commence à bien se connaître lui et moi, il faut toujours que mon serrurier entame la conversation. Sur des sujets de surcroît pas toujours passionnants. J’ai repensé à Sarah. Lorsque nous avions emménagé dans ce petit appartement, notre bonheur était parfait à mes yeux. Et malgré son air souvent mélancolique, elle semblait heureuse elle aussi. Mais une chose l’agaçait, profondément. Le robinet de la cuisine. Il fuyait. On ne pouvait jamais le fermer complètement. Il faisait un goutte-à-goutte incessant. Qui marquait les secondes. En fait, ce n’était pas le robinet qui énervait vraiment Sarah. C’était le temps qui passe. Le temps qui passe et sa folie meurtrière. Ce temps qui passe et qui nous prive de nos amis, de nos parents… Ce temps qui passe et qui éloigne, ce temps qui passe et qui angoisse… Sarah aimait tout au monde. Tout. Sauf ce temps, et les secondes immuables, marquées par les gouttelettes d’eau au fond de l’évier.
-    Non, il faudra que j’y pense…
J’avais dû décourager le pauvre homme, et celui-ci s’était finalement concentré sur sa conduite, veillant à enfreindre un nombre incalculable de règles du code de la route pour arriver au plus vite. Nous étions finalement arrivés devant l’entrée des urgences, et j’avais quasiment sauté de la camionnette en marche, avant de courir à l’intérieur, le « bonne chance » du serrurier résonnant à peine dans mes oreilles.
 C’est alors que je fus pris par la soif. Une envie de boire, subitement. Pas d’alcool, non, mon esprit devait rester suffisamment clair, autant qu’il le pouvait encore en tous cas. Mais juste un peu d’eau. Avec un fond de sirop de citron vert. Pour me désaltérer. J’avais repensé au Penseur, et nos nombreuses soirées entre amis. Le bar était un peu devenu notre QG. Nous passions de très agréables moments, à regarder les jeunes groupes s’époumoner dans les micros, sans que personne ne les écoute vraiment. Il me fallait de l’eau, et vite. Les couloirs étaient déserts, loin de l’agitation habituelle des urgences. Etait-ce du à la météo clémente ? A l’heure ? Le temps d’un instant, j’avais été pris d’un affreux doute : étais-je vraiment dans le bon centre hospitalier ? Et d’ailleurs, m’avait-on vraiment déposé à l’hôpital ? Au hasard d’un couloir, j’avais trouvé une fontaine à eau, et pris deux minutes pour étancher cette terrible soif. Le gobelet en plastique à peine jeté, j’avais repris ma course effrénée dans le dédale des couloirs de l’hôpital.
Qu’allais-je trouver en poussant la porte ? De la souffrance ? De la peur ? Je n’avais jamais aimé les hôpitaux. L’odeur, les piqûres, le personnel habillé en blanc, les cris, le sang parfois. Tout petit, je m’étais ouvert le menton en cherchant des coccinelles dans un arbre. Ce n’était pas très beau à voir, et mes parents m’avait conduit rapidement aux urgences. Evidement, il fallait recoudre, et j’avais dû patienter dans une petite pièce, avec d’autres enfants accompagnés de leurs parents, en attendant que les médecins traitent les urgences plus graves. Je me souviens parfaitement de cette attente, elle avait été un véritable enfer. Face à moi, un autre petit garçon du même âge me regardait, les bras croisés, les sourcils froncés. Il semblait déterminé. Moi, je pleurais. Lui serrait les dents. Pourtant, sur son front, une énorme bosse bleue avait poussé, comme un gros champignon sur le tronc d’un arbre. Cela devait faire vraiment mal. J’étais terriblement impressionné, et j’en avais fait des cauchemars plusieurs nuits après cette mésaventure. Le garçon était finalement venu me voir, les deux mains sur les hanches. Il était plus costaud, et légèrement plus grands que moi.
-    On joue ? avait-il demandé en indiquant d’un mouvement de tête la petite table où trônaient quelques petites voiturettes et un jeu de construction.
Et devant ma non réponse, les sanglots empêchaient toute communication, il m’avait tendu la main, d’un air décidé :
-    Je m’appelle Antoine, et toi ?

J’avais couru. Longtemps. Sans doute trop. Jamais les couloirs de l’hôpital, que j’avais pourtant tellement parcourus, ne m’avait parus si sinueux. J’avais passé la porte du service à toute vitesse, fonçant directement dans les bras d’une infirmière, qui m’aurait sans doute administré un calmant si je ne lui avais pas expliqué la situation, le souffle court. Après lui avoir donné quelques renseignements plus détaillés, elle s’était enfin mise en marche, et m’avait amené, d’un pas pressé, devant une porte, numéro 10. Lorsque je l’ai ouverte, et que j’ai entendu des cris, j’ai tout de suite compris. Des larmes ont envahi mes yeux. Mes mains tremblaient, mon corps tout entier était devenu lourd. Lourd de chagrin et de culpabilité.

Mes yeux s’étaient d’abord arrêtés sur la perfusion. Au bout du tuyau, j’y avais trouvé la main de ma femme. En remontant le long du bras vers son visage, j’y avais vu son sourire fatigué, et sa petite moue, comme pour dédramatiser la situation. J’étais alors redescendu, le long de ses doigts que j’aimais tant caresser. J’y ai trouvé ma nouvelle raison de vivre. J’y ai retrouvé la force de combattre et de m’en remettre un jour. Oui, j’avais manqué la naissance de ma première fille, mais Sarah avait mis au monde sans moi une petite princesse qui bouleverserait nos vies à jamais. Elle avait cru bon d’ajouter, avec ses yeux plein de tendresse et de malice :
-    Tu as dix minutes de retard, papa…

jeudi 18 octobre 2012

Sortie à la plage...

Ils avaient quand même souhaité descendre. Dès le matin déjà, c’était l’effervescence. Tout le monde s’affairait, les discussions allaient bon train. Fallait-il prévoir du thé ? Du café ? Avait-on pensé au fromage ? Qui portera la glacière jusqu’à la voiture ? Les gosses jouaient dans une chambre, discrètement, comme pour éviter d’ajouter du bruit à l’agitation ambiante. Ca sonnait à la porte toutes les deux minutes, entre les oncles, les tantes, les amis… Chacun avait une phrase à placer, son grain de sel à ajouter.

Moi, je les avais prévenus. Je leur avais dit qu’il allait pleuvoir, que ma hanche ne me trahit jamais. Ils n’avaient rien voulu savoir. C’est vrai, c’est plutôt rare d’arriver à se réunir par les temps qui courent. J’ai l’impression que c’était plus simple avant. Aujourd’hui, il faut confirmer par email, reconfirmer avec le téléphone portable, on est même autorisé à annuler au dernier moment à grands coups de sms.

J’étais là, assis sur mon fauteuil, attendant qu’on m’interroge, qu’on me prenne à parti. Mais il y a longtemps que j’appartiens à la grande famille des meubles de cette maison. Je suis tout au plus le vieux grincheux, et pourtant, je ne me plains pas souvent. Mais c’est comme ça, passé un certain âge, on encombre, on est supporté, on fini par être un poids… Et c’est terrible…

La petite Chloé avait quand même couru vers moi, les bras grands ouverts, en lâchant un « papi t’aime » du haut de ses deux ans. J’avoue, ça m’a presque ému. Pour un peu, je dirai que j’étais bouleversé. Mais ça n’a pas duré. La petite a fait tomber une télécommande, les adultes ont sursauté, et j’ai eu droit à un « tu pourrais quand même la surveiller ! ».

Voilà. J’étais assis là, en attendant qu’on se préoccupe de moi. J’ai attendu le signal, il était temps de partir. On m’a aidé à monter dans la voiture. On m’a aidé à mettre ma ceinture. On m’a demandé trois fois si j’étais bien installé. Et puis on était tous descendu à la plage, en cortège digne des plus beaux mariages de mon époque. Je me suis alors pris à rêver de ma femme, de ses belles boucles brunes, de sa mauvaise foi, de son regard perçant et de son sourire, figé à jamais sur les photos souvenirs qui ornent la chambre que j’occupe aujourd’hui.

Quand j’ai ouvert les yeux, nous étions arrivés. Immédiatement, presque inexorablement, je me suis senti apaisé par le bruit de l’océan. Nous marchions lentement, peut être que finalement tout ce petit monde s’était adapté à mon pas de vieillard. J’ai regardé autour de moi. Il y avait du monde, malgré le temps, la jeune fille aux livres, là contre son rocher, un couple d’amoureux et puis cette femme. Elle devait bien avoir mon âge, vu la couleur de ses cheveux. Des jolies lunettes, comme on sait bien les faire aujourd’hui. Des mains ridées, qui bougeaient au rythme de ses lèvres. Elle s’adressait à un ado, qui avait les mêmes yeux qu’elle. Qui sait ce qu’elle pouvait bien lui raconter ?

Nous sommes restés longtemps. Moi sur le fauteuil, à regarder les gamins courir, et me présenter fièrement leurs trouvailles. A part eux, personne ne m’a parlé. Pas un sourire, pas un regard. Ils avaient voulu cette journée sous le signe des retrouvailles. Ainsi, ils m’avaient oublié un peu, comme un fardeau qu’on traîne puis qu’on laisse dans un coin. Nous avions fini par tous repartir, malgré les supplications des enfants, et l’eau avait alors commencé à tomber du ciel…
Enfin bon, moi, je leur avais bien dit qu’il allait pleuvoir…

mardi 16 octobre 2012

Rivages (4)

-    Ah, vous avez fait connaissance avec Salidou ?
Martine est en bas, dans le hall, comme si elle s’attendait à la venue de Lucie.
-    Quel drôle de prénom pour un chat ! s’exclame Lucie.
-    C’est la marque d’une gourmandise que vous allez vite apprécier ici ! Une pâte à tartiner au caramel et au beurre salé. J’ai décidé de l’appeler comme ça parce qu’il va toujours traîner n’importe tout et qu’il est doux comme un agneau.
-    D’où vient-il ?
-    Aucune idée. Il a débarqué un matin derrière la porte de ma chambre, et il n’est jamais reparti.
-    L’invitation à dîner tient-elle toujours ?
-    Avec grand plaisir, à vrai dire, je vous attendais !
Les deux femmes quittent le hall, suivies par Salidou, qui tente d’attraper le pantalon de Lucie à chacun de ses pas.
-    Voici mon appartement, annonce Martine en poussant une porte au bout d’un long couloir. C’est très modeste, mais ça suffit largement pour une dame comme moi ! Et puis, j’ai toujours la prétention de dire que j’ai un hôtel à moi toute seule !
Martine parle. Quand elle sert des pâtes à Lucie, quand elle mange, quand elle boit son verre de vin rouge. Elle lui parle de sa vie, de ce qu’elle a subit, lui parle un peu de son mari. Elle raconte ses clients, la vie qui a changé depuis la crise, les amours de passage dans son hôtel et sa passion inconsidérée pour la Bretagne. Mais jamais de sa fille. Ca arrange bien Lucie. Elle n’a pas besoin de s’expliquer, de s’épancher… Elle acquiesce, de temps à autre, elle en est presque amusée. Martine l’intrigue, et surtout, Lucie l’admire. Quelle force de caractère ! 
-    Vous connaissez la Bretagne ?
Les pensées de Lucie s’interrompent aussitôt. Bien sûr qu’elle connaît la Bretagne. Bien sûr que ce n’est pas la première fois qu’elle vient. Pour ainsi dire, elle y a passé toute son enfance. Mais comment éviter les questions ? Martine est tellement amoureuse de sa région qu’elle en connaît nécessairement tous les secrets. Impossible de dire la vérité. Pourtant, Lucie déteste mentir.
-    Je n’y ai jamais mis les pieds ! dit-elle avec autant de conviction que possible.
-    C’est parfait ! Si vous le souhaitez, je peux vous prévoir un petit plan avec tous les lieux touristiques du coin. Même à pieds, on peut voir tellement d’endroits extraordinaires ! Vous restez longtemps ?
La durée de son séjour. C’est un peu comme si Lucie n’y avait jamais réellement pensé. Sur le papier, elle a pris une semaine, mais plus rien ne la retient. Alors, elle répond la première chose qui lui vient à l’esprit, comme pour éloigner au mieux la pensée d’un retour possible :
-    Tant que vous ne me chassez pas !
Martine rit de bon cœur. Lucie aussi. Le vin aidant, les deux femmes se détendent, et prennent plaisir à discuter de la vie, des hommes, du mauvais temps et des plus jolis coins de Bretagne, jusque tard dans la nuit.

mardi 9 octobre 2012

Défi Ecriture (3)

Voici le thème, proposé par Carine.
Thème : "Les saisons"
Forme : Poème
Contrainte :utiliser les mots : couteau, manège et vertige.
Publication avant le : 23 Octobre. 

Je dois avouer que ce défi m'a donné bien du fil à retordre ! 

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Printemps.
Des fleurs dans tes cheveux,
Nos roulades sur le gazon,
Nos éclats de rire à deux,
Et ton ventre devenu rond. 

Eté. 
Ton sourire au pied du cerisier
Les baignades, la chaleur,
Ses premiers coups de pieds,
Nos derniers instants de bonheur...

Automne. 
Si tu savais combien je t'aime
Si tu savais combien j'ai peur
Si tu savais combien la haine
Peut être proche du bonheur...

Hiver. 
Les yeux de son papa,
Le sourire de sa maman. 
De la mélancolie, déjà,
La magie des premiers instants...

Printemps. 
Premier tour de manège, 
Ton regard qui croise le mien
Et si tu me tendais un piège
Le couteau caché, au creux de la main. 

Eté.
Comme pour mieux m'assassiner,
Me lyncher, me faire souffrir,
Tu décides de m'abandonner
Sans me laisser rien lui offrir. 

Automne. 
Les feuilles mortes, fanées
Mon amour noyé, échoué,
La vie perd tout son sens
Mes vertiges deviennent des silences...

Hiver. 
Un an déjà, j'y repense, 
Mon désespoir, ma malchance,
La vie reprendra le dessus,
La vie saura forcer l'oubli.
 
 Printemps. Eté, Automne. Hiver.
Et une saison de plus...
Sans toi. Sans lui. 
Amère...

dimanche 7 octobre 2012

Rivages (3)

Quelques minutes plus tard, Lucie referme la porte de la petite boutique. En remontant la rue, elle se laisse aller à penser, quelques secondes : « Tu dois être au jardin. Peut-être que tu penses à moi. Peut-être que tu t’en fous. Tu dois être en train de te battre avec les fraises et les escargots. Tu as mis cet horrible tablier rouge que je t’ai offert un jour. Pourquoi ? Tu dois être au jardin. Tu creuses pour oublier. Ou pire. Tu creuses pour y enterrer tes souvenirs. Tu dois être au jardin. Moi, je suis là tu vois. Je suis bien. ». Elle ne prête pas attention à ce petit garçon qui passe sur son vélo rouge et qui la salue de la main, ni à cet homme aux yeux verts qui ouvrent ses volets. Elle est absorbée, obsédée même. Comme en transe. Que changerais tu toi ? Que changerais tu ?
Plus loin, elle s’arrête, reprend ses esprits. Face à l’océan qui gronde. Son téléphone à la main. Les embruns coulent sur son visage. Le vent souffle dans ses longs cheveux bouclés. Elle enlève ses chaussures, respire profondément. Et puis, de toutes ses forces, de toute sa douleur, de toute sa colère, elle lance son téléphone à la mer. Le plus loin possible. Le plus fort possible. Ensuite, elle reste là, quelques minutes. Les larmes se mêlent aux embruns sur son visage. Elle souffle : « c’est fini ».
D’un pas presque léger, elle rejoint l’hôtel. Il faudra songer à manger aussi. Peut-être. Plus tard.
Martine observe. La jeune fille est revenue. C’est étrange, elle ressent comme de la compassion pour elle. Peut-être ira-t-elle la déranger un peu plus tard pour lui conseiller un bon restaurant ? La meilleure crêperie du village ? Son mari aurait dit : « Martine, tu ne devrais pas être aussi curieuse avec tes clients ! ». Mais son mari est sans doute à l’heure qu’il est en train de donner de bons conseils à une autre femme. Alors, curieuse ou pas, Martine décide de rejoindre la demoiselle, devant la porte de sa chambre.
-    Vous avez l’air d’avoir froid, souhaitez-vous que je vous montre l’allumage du chauffage ?
-    Merci, c’est gentil, je vais plutôt mettre un pull…
Lucie se passerait bien de cette discussion. Elle préfèrerait entrer dans sa chambre, se coucher sur le lit, et pleurer toute les larmes de son corps avant de s’endormir. Mais elle comprend Martine, quelle idée aussi de venir en Bretagne hors saison !
-    Il y a de très bons restaurants dans le coin, je doute qu’ils soient tous ouverts cependant… Vous êtes en voiture ?
-    Non, je suis venue en bus… Vous ne faites pas hôtel-restaurant ?
-    Hors saison, je me passe de mon cuisinier, la crise, vous comprenez… Mais venez donc manger chez moi, quand il y en a pour un, il y en a pour deux !
-    C’est gentil, mais je crois que je me passerai de dîner ce soir… lâcha Lucie.
-    C’est comme vous voulez, mais mon invitation tient jusqu’à l’heure du dîner si vous changez d’avis !
A ces mots, Martine se retire et permet à Lucie de pénétrer dans sa chambre. Elle se laisse tomber sur son lit, submergée par un trop plein d’émotions. Elle songe à l’accueil des gens dans le village, à son départ précipité, elle songe à ceux qui voudront l’appeler, elle songe à cette page qu’elle vient de tourner… Peu à peu, elle sombre dans le sommeil, entre rêves et cauchemars…
Une heure plus tard, Lucie est réveillée en sursaut par un bruit indéfinissable derrière sa porte. Émergeant à peine, elle met un certain temps à se rappeler où elle se trouve, et à comprendre que ce bruit assourdissant est celui d’un miaulement.
Elle ouvre la porte, le petit chat noir entre et se précipite sur le lit. Il se roule dans les draps, en ronronnant bruyamment.
-    T’es gonflé toi !
Le chaton la regarde, prend l’air penaud. Lucie ne peut s’empêcher de lui gratter la tête et lui caresser le ventre. Puis, l’animal prend sa main pour proie, et les deux acolytes se lancent dans un jeu un peu loufoque. Lucie rit. Elle prend le petit chat dans ses bras et décide de rejoindre la gérante de l’hôtel pour le repas du soir, s’il est encore temps.

dimanche 30 septembre 2012

Une nuit...

La nuit. La nuit, sa solitude, ses doutes, ses secrets. La nuit et ses peurs, la nuit et ses remords. La nuit et ses lumières, ses craintes, ses regrets. La nuit, celle qui nous enveloppe, comme une carapace trop fragile, qui ne nous protège de rien. Une nuit, la sienne. 
Elle a les yeux grands ouverts. Pas moyen de dormir, pas moyen d'oublier. Elle observe tous les détails de la chambre, comme si sa vie en dépendait. Les murs blancs, une photo de couple sur la table de chevet, un gros bouquet de fleurs, des draps qui sentent le propre. Le lit au milieu de la chambre, et là-bas, l'armoire. Elle pourrait se lever, prendre son sac, fouiller, regarder le téléphone. L'appeler. Mais il est si tard, répondrait-il ? Elle a peur d'être déçue, elle a trop peur qu'il ne réponde pas, elle a peur... D'avoir peur. 
Couchée sur le dos, elle regarde le plafond. Tiens, une légère fissure, là. C'est fou comme les yeux peuvent s'habituer à l'obscurité. Pas de tic tac, pas de réveil. Pas moyen de savoir l'heure en fait. Mais elle sait bien qu'il est tard, cela fait quelques heures déjà que le sommeil ne vient pas. 
Pourtant elle doit se reposer. Il lui faudra des forces, pour affronter demain. Pour affronter la vie. Mais demain est un autre jour, et cette nuit, ses pensées l’assaillent, elle ne sait plus vraiment où donner de la tête. Elle songe à tout ça. A ce qu'elle vient de vivre.
 Elle se souvient de leurs débuts, lorsqu'il venait en scooter lui rendre visite chez-elle. Son père n'aimait pas tellement ça, il le regardait d'un mauvais œil, derrière le rideau de la cuisine. Elle avait tout de suite su que ce serait lui. Les premiers émois, à vélo sur les routes de campagne, les premières fois, dans le champ du voisin, les premières disputes aussi, pour les mêmes raisons souvent. 
Et puis un jour, l'appartement. Le premier. Dans un immeuble bleu, juste en face d'un arrêt de bus. Pas de balcon, mais deux grandes pièces et une cuisine américaine. Les petits déjeuners ensembles, la première machine à laver, le stress du travail, et la demande en mariage : une bague, dans un écrin, donnée un soir, dans le champ du voisin, alors qu'ils rendaient visite à ses parents. 
Elle tente de se retourner, mais elle a un peu mal. Pas moyen de changer de position. Tant pis. Elle avait cru que le jour du mariage serait le plus beau de sa vie. Hier, elle a compris qu'elle se trompait. Furtivement, une larme traverse sa joue. 
Il y en avait eu des coups de gueules, des avis divergeant, des doutes. Il y en avait eu des "je demande le divorce" et des "ça va mal finir !". Mais il y avait aussi eu des éclats de rires, des moments de douceurs, du bien-être et du bonheur... 
Finalement, elle se lève. A quoi bon forcer la chose, si le sommeil ne vient pas. Sur la pointe des pieds, elle pousse la porte. La lumière du couloir est allumée, mais tout semble calme. Elle arpente, d'un pas léger et régulier ce couloir interminable. Là, une porte vitrée, des petites fleurs à côté de la poignée. Elle y plaque son visage, et les mains pour empêcher les reflets. 
Il y avait eu ce jour, où il avait accepté. S'en était suivie une longue période, et quelques déceptions. Et puis, la joie, intense. Neuf mois plus tard, c'était hier. 
Dans la pouponnière de l'hôpital, Alice semble dormir poings fermés.
- Je peux vous aider ? 
Elle sursaute. Une infirmière se tient là, juste derrière elle. 
- Non, j'étais juste venue voir ma fille. 
- Vous êtes la maman d'Alice ? Ne vous inquiétez pas, elle va très bien. Je vous conseille d'aller vous reposer à présent. 
Elle acquiesce, reprend le couloir, en sens inverse. Toujours le même pas, léger et régulier. La porte de la chambre qui grince. L'armoire. Le lit. La photo de couple sur la table de chevet et le gros bouquet de fleurs. Elle s'allonge à nouveau, regarde le plafond. Le plus beau jour de sa vie ? Hier, évidement...

jeudi 27 septembre 2012

Rivages (2)

L’hôtel Les Rivages se trouve à la sortie du petit village de Kernohan. Face à l’océan. Le mauvais temps fait gronder les vagues. Le car s’éloigne. Les joues de Lucie sont humides. « Nous y sommes… ». C’est une vieille bâtisse en pierre taillée, quelques roses trémières tentent ça et là de résister à la tempête qui se prépare. Le petit parc à l’arrière semble isolé de tous les regards indiscrets. Lucie observe, décrypte, scrute, les moindres détails, comme s’il fallait se nourrir de ces images pour se souvenir, pour se rappeler, pour comprendre ce qu’elle faisait là.
Le petit chat de la publicité accoure. On aurait pu croire qu’il l’attendait. Rapidement, il se met à ronronner. A se frotter dans ses jambes. Lucie lui gratte un peu la tête, le chaton se roule par terre, puis s’éloigne. Le bruit assourdissant des vagues angoisse Lucie. Elle se hâte vers l’entrée de l’hôtel. Il manque un V à l’enseigne. Hôtel « Les Riages ». Pourquoi pas…
Une petite cloche retentit lorsqu’elle pousse la porte. Une dame d’une cinquantaine d’année, un peu ronde, l’accueille tout sourire.
-    Bonjour mademoiselle ! J’imagine que vous venez pour la réservation ?
-    Oui, c’est moi qui aie appelé hier…
-    Quelle idée de venir ici en cette saison ! Mais vous verrez, le mois de Novembre a aussi ses atouts, même au fin fond de la Bretagne !
-    Je ne suis pas à la recherche du soleil…
-    Voici vos clés, vous pourrez venir régler tout à l’heure. Votre chambre est en haut du petit escalier, là, à gauche. Si elle ne vous convient pas, n’hésitez pas à me le dire, vous êtes la seule cliente !
-    Y-a-t-il un tabac dans le coin ?
-    Oui, juste en bas de la rue. Vous tournez le dos à l’océan, vous passez quatre maisons et vous y êtes.
-    Merci…
Martine, la gérante de l’hôtel, regarde Lucie s’éloigner vers sa chambre. Quel âge peut-elle avoir ? Une vingtaine d’année ? Elle songe à sa fille. Elle aurait sans doute eu son âge. D’un revers de la main, elle efface la tristesse qui tente une fois de plus d’investir son visage. Elle ne se laissera pas abattre.
Lucie tourne la clé, pousse la porte. La petite chambre la ravit. Les murs sont peints en blancs, des tableaux représentants les différents phares de la Bretagne sont accrochés au-dessus du grand lit. Un bouquet de fleurs orne l’étagère au dessus du petit bureau. Lucie ouvre rapidement son sac. Elle rangera ses affaires plus tard. En sortant un pull aux rayures marines, son téléphone portable tombe, et rebondit trois fois sur le sol. Lucie le ramasse. L’ouvre. Le referme. Le dépose sur le bureau. Le reprend dans ses mains. Ouvre la fenêtre. Respire. Le met dans sa poche. Elle remplit son sac à dos : une bouteille d’eau, un imperméable, son portefeuille. Elle quitte la chambre.
Martine est encore dans le hall. Lucie lui fait un signe de la main, puis s’éloigne vers la sortie. D’abord, les cigarettes. Ensuite on verra. Elle descend la rue, dos à l’océan. Les maisonnettes à la façade blanche semblent toutes vides. Aussi vides que le cœur de Lucie. Aussi vide que son corps tout entier. Elle aurait voulu le remplir, elle aurait voulu le combler. Y ajouter de l’eau, y ajouter de l’espoir… Une pincée de bonheur peut-être. Quatre maisons, elle y est.
La clochette qui retentit avertit la vendeuse de son arrivée.
-    Bonjour mademoiselle !
Lucie observe un long moment son interlocutrice. C’est une dame très âgée. Immédiatement, elle est prise de sympathie pour ce petit bout de vie fragile, comme suspendu.
-    Bonjour ! Quel drôle de temps n’est-ce pas ?
-    Ne m’en parlez pas, mes articulations me le font bien ressentir ! Mais que faites vous dans le coin, par cette saison ?
Lucie marque un temps. Quelle bonne question ? Que fait-elle ici finalement ?
-    Je suis venue vous acheter des cigarettes. 

[A suivre...]

dimanche 23 septembre 2012

Ecrire

"J’ai tellement d’envies. Tellement d’idées. Des textes à quatre mains, des récits de voyages, d’autres romans. Et avant tout, en finir, peut-être un, peut-être tous, soyons rêveurs."

Finir... Achever... Mettre un point final.
Avoir une idée, aller au bout.
Effacer, réécrire, relire, détester, déchirer, regretter...
Recommencer.

Écrire. Pour qui ? Pour quoi ? Être lue ?
S'émanciper ? Faire vivre des rêves ?
Écrire pour y croire encore.
Pour faire vrai. Pour faire croire.
Ecrire pour exister un peu... Pour inventer une existence...
Ecrire pour rendre les mensonges réels.

Se sentir frustrée. Manquer d'envie, d'ambition.
Avoir peur de terminer, d'achever.
Hésiter. Ne pas trop savoir.
Se demander où on va.
Y aller quand même.

Avoir besoin de lecteurs. D'avis.
Imaginer de grands projets.
Les croire inaccessibles.
Tenter quand même.
Aimer le résultat. Le proposer.
 Attendre une impression.

Ecrire, pour le plaisir des phrases.
Ecrire pour être bien...
Pour dénoncer. Pour raconter.
Pour faire aimer, pour faire réagir...
Ecrire pour t'emmener par la main, sur le chemin des mots.

Viens. 

lundi 10 septembre 2012

Rivages (1)

Si tu devais supprimer trois éléments de ta vie, en sachant bien qu’ils modifieraient l’ensemble de ton existence, qu’est-ce que tu ferais ?

Hôtel Les Rivages, c’était écrit sur la brochure. Rien de bien original, surtout en bord de mer. Rien de particulier non plus, une police comme on en voit souvent, des couleurs bleues ciels qui donnent envie, un petit parc à l’arrière, des télés dans les chambres  une literie un peu démodée. Elle, elle avait repéré le petit chat sur la première photographie de la publicité. Un petit chat noir aux yeux verts, semblant tourner autour d’un arrosoir. Ca l’avait séduite, et puis le prix aussi. De toute façon, il fallait fuir, s’éloigner, partir rêver un peu.
En quelques clics, c’était réglé. Un bon de réservation pour une semaine. Peut-être plus. De toute façon, hors saison il n’y aurait personne. La météo ? Qu’importe. Quelques pulls, un jean, une taie d’oreiller, une photo, des souvenirs… Une valise bouclée en moins d’un quart d’heure. Elle partirait le lendemain.
Strasbourg-Nantes, Nantes-Brest, encore une heure de car… Les écouteurs vissés sur les oreilles, les yeux dans le vague… Les paysages, la Bretagne défilant dans son regard perdu. Déjà les premiers oiseaux de mer, déjà les premières falaises. L’océan ne se livre pas comme ça, il faudra encore attendre quelques kilomètres. Surtout, ne pas penser. Ne pas y penser.
Qu’est-ce qu’elle aurait changé ? Peut-être ce baiser avec Baptiste, le jour de ses quatorze ans, ça ne l’avait menée à rien. Quoi que… A la découverte du goût des lèvres, du goût des émotions. La découverte que la petite fille qui sommeillait en elle pouvait mourir, un jour. A la découverte de la peur de disparaître. Un baiser, pour une peur de plus. Un baiser pour une découverte morbide mais nécessaire.
Le car ralentit, encore quelques arrêts. Un vieil homme se hisse tant bien que mal dans l’engin, sa canne et ses sacs l’encombrent. Un sourire suffira. Se lever pour l’aider ne ferait qu’affirmer la faiblesse du pauvre homme. Sourire, c’est l’encourager. Il parvient à sa place, l’autocar reprend sa route.
Les yeux dans le vague, et les premiers embruns. La mer au loin, se veut aussi menaçante que le ciel. Sombre, verdâtre, les plages semblent désertes. Personne à l’horizon, mais qui se risquerait dehors par un temps pareil ?
Lucie se prend à penser à ce vieil homme. Quels secrets cache-t-il dans son cœur de grand-père ? Quels regrets garde-t-il ? Est-il seul lui aussi ? Seul au monde, s’enfuit-il ? Et que fuit-il ?
Un regard furtif sur la gauche, l’homme l’observe.
-          Et vous, que fuyez vous ?
Surprise, Lucie bredouille des paroles incompréhensibles. Alors, elle marque un temps. Réfléchit. Annonce.
-          Je vais séjourner à l’hôtel Les Rivages.
-          Vous aurez vue sur la mer alors…
-          La mère…
L’homme n’écoute déjà plus. Il lui tourne le dos, semble chercher quelque chose dans son sac. Lucie soupire, doucement, un soupir qui en dit long. Et puis, comme poussée par une envie indescriptible, elle reprend :
-          Et vous, si vous deviez changer trois éléments de votre vie, tout en sachant qu’ils modifieraient l’ensemble de votre existence, que choisiriez-vous ?
L’homme relève lentement le menton, ses yeux pétillent, comme un enfant qui découvrirait une fontaine de chocolat.
-          Ne pas avoir de regrets, n’est-ce pas là la clé du bonheur ?
-          Vous garderiez tout ?
-          Oui. C’est là que je descends.
Lucie regarde l’homme s’éloigner. Drôle de bonhomme. Dernier arrêt. Le bouton rouge pour descendre.
 
[A suivre...]

mercredi 5 septembre 2012

Défi Ecriture (1)

Voici le premier thème, proposé par Clémence. 
Thème = Premier pas sur la lune
Mots à placer obligatoirement dans le texte  =  Lune, Blanc ou Blanche, héros ou anti-héros ou super-héros, Tintin
Forme du texte = libre (poème, texte court, dialogues, reportage...)
Date où vous devez avoir publié = 7 septembre
______________________________________

Nous étions arrivés le 23 Octobre 2088. La mission avait été envoyée pour désengorger la planète Terre, trop polluée, trop peuplée... Les scientifiques américains avaient découvert comment créer une atmosphère dans l'espace, et cela nous permettait d'envisager de vivre sur toutes les planètes alentours. Il fallait des volontaires, à raison de 100 000 par an. Les navettes allaient et venaient, régulièrement, pour dépeupler la Terre et peupler l'espace. 

J'avais choisi de partir. Rien ne m'attachait à la planète où j'étais né. Pas assez de travail, air irrespirable, délinquance, guerres de religions, nucléaire à tout va... Je ne me sentais pas en phase avec le monde qui m'entourait. Le programme  de peuplement de la Lune m'avait immédiatement tenté. Portant le nom du célèbre album de Tintin, "Objectif Lune" consistait en un peuplement écologique. Toutes les infrastructures sur place avaient été étudiées pour éviter au maximum tout type de pollution. L'air devait y rester sain, et l'esprit était plutôt porté sur le zen. A l'époque, ça me convenait bien. Les cris d'enfants s’insupportaient, et j'avais besoin d'un retour au calme. Après la mort de mes parents, il y avait comme un bourdonnement dans ma tête, qui n'avait fait que s'amplifier au fil des ans. 
Le jour de mes trente ans j'ai obtenu la carte. On l'appelait la "carte blanche".  C'était le pass, le Graal, pour ceux qui souhaitaient partir. Là-bas, mon nouveau métier consisterait à aider à la création de nouvelles infrastructures pour rendre la vie encore plus agréable. Un genre d'architecte intersidéral, en quelque sorte. 
Pendant des mois, j'avais la tête dans les étoiles. J'ai préparé soigneusement mes affaires, je me suis débarrassé de mes meubles, de ma voiture, j'ai gardé mon vélo. J'avais envie de faire table rase du passé, je me sentais comme un super héros, j'avais l'impression de participer modestement au sauvetage de l'espèce humaine. Mon seul regret était de laisser Gribouille, mon chat. Je ne verrai plus d'animaux. Il n'y en avait pas encore sur la Lune. C'est vrai. Toi, tu ne sais pas ce que c'est un chat. J'ai gardé une photo, je te la montrerai un jour. 

Le voyage a duré trois semaines. Dans la navette, l'excitation était à son comble. Nous n'avions pas vraiment peur, cela faisait déjà plusieurs années que le programme se déroulait parfaitement. Un soir, en retournant dans ma cabine, j'avais croisé une femme, au détour d'un couloir. Assise par terre, elle avait la tête entre les mains. Je lui ai demandé si tout allait bien. Elle a levé la tête. Malgré son visage inondé de larmes, elle était magnifique. Ses longs cheveux noirs et bouclés dévoraient son visage, elle avait des yeux de braise, et une peau parfaite. J'ai eu tout de suite envie de la consoler. Je lui ai dit que ses larmes ressemblaient à des étoiles sur son visage. C'était nul comme plan drague. Elle a souri. Un sourire extraordinaire. Angélique. Presque magique. Plus tard j'ai su que ce soir là elle pleurait parce que ses parents l'avaient forcé à partir, pour son bien, et qu'elle les avait laissé sur Terre, vieux et malades. Elle ne les reverrait plus.

Nous avons fait connaissance durant tout le voyage, elle s'appelait Elsa, et le jour de l’atterrissage nous avons décidé de nous installer ensembles. Nous avons choisi un petit appartement au cinquième étage, avec vue sur un petit lac artificiel. Ce qui m'a marqué en arrivant ? Les couleurs. Tout était beaucoup plus pastel que sur Terre. Les jours de regrets, cela me semble fade. Les jours de bonheur, je les trouve douces et apaisantes. Notre vie à deux à commencé, pleines de découvertes, d'apprentissages, de doutes aussi parfois. Nous étions heureux, tellement heureux... Les promesses d'"Objectif Lune" étaient à la hauteur. Enfin nous respirions. Je me rappelle des cris des habitants lorsque les premiers poissons sont arrivés dans le lac. Personne n'avait sur expliquer comment, ni pourquoi. Mais ils étaient là, et après eux, la faune a commencé à se diversifier un peu. Pas autant que sur Terre, mais quelques oiseaux, quelques insectes ont fait leur apparition, dans les trois ans après mon arrivée. Ce programme de dépeuplement de la Terre était finalement le résultat d'un accord entre tous les pays du monde. Une preuve magnifique que lorsque l'on sait s'entendre, on peut arriver à créer de belles choses. 
J'ai pu voir des regrets, de la douleur, du mal du pays... Je l'ai vécu aussi. Mais jamais une dépression, jamais de suicide, jamais de meurtre non plus. Les gens mourraient, de vieillesse ou de maladie, mais surtout de façon naturelle. Notre regard face à la vie avait été totalement modifié. 

Elsa a eu envie d'un enfant. Dans une autre vie, j'aurais dit non. Sur la Lune, tout devenait possible. J'ai accepté de supporter les cris, les pleurs la nuit, les disputes et les biberons à réchauffer. Et tu es arrivé. Petite princesse, tu es née avec plein de cheveux, un six Décembre. Tu as été un merveilleux cadeau. Presque une délivrance. Enfin je grandissais. Depuis ta naissance, les bourdonnements dans mes oreilles ont à jamais cessé. 
Un matin, nous avions décidé de sortir, à côté du petit lac. Il y avait un coin que nous aimions bien, caché parmi des rochers lunaires. Nous t'avions assise, juste au bord de l'eau, avec un petit arrosoir. Tu nous regardais, avec tes yeux amandes et rieurs. Tu ressemblais tellement à ta maman ! A un moment, tu as jeté l'arrosoir, un peu plus loin, sur les cailloux. Tu l'as regardé, tu nous a regardé. Tu as eu l'air soudain très sérieuse, et tu as poussé sur tes petites mains. Tu t'es mise debout. Tu as hésité, encore un peu, et tu t'es lancée. Un pas, puis un autre, un peu mal assurée... Et finalement, tu es parvenue à ton but. Tu as récupéré le petit arrosoir bleu, et tu as ri, sous nos yeux ébahis : tes premiers pas sur la Lune.

Défi écriture : le principe

Avec Eric, qui possède lui même un fabuleux blog de texte : The Old Kid Rises, nous avons mis en place un système de défis d'écriture.
 C'est Clémence qui en a eu l'idée. Le principe : un ami ou anonyme nous soumet en même temps un thème, avec contrainte ou pas, et un temps imparti pour écrire un texte. Nous nous imposons alors de rédiger dans la limite du temps imparti et dans les règles du défi. L'idée n'est pas de comparer nos textes (nous avons tous deux un style singulièrement différent), mais plutôt de stimuler notre imagination et notre envie d'écrire.

N'hésitez pas à nous soumettre vos idées, par mail ou par commentaire sur nos blogs. Nous essayerons d'y répondre à chaque fois !

Bonne lecture !

mardi 4 septembre 2012

Le sac rouge (4)

Arrêt sur image 3 : Angéline

Deux petits grains de beauté, sur le coin de l’œil, un regard dans le vague, un regard sur les vagues. Un regard, un peu de vague à l’âme, de vagues à larmes. Ces larmes sèches qui ne coulent pas sur les visages, par peur de trahir. Elles sont là, au coin des yeux, mais refusent de sortir. Des larmes amères et inaccessibles.
Elle est souvent assise là. Contre ce gros rocher. Elle pense à amener une serviette, ou un sachet plastique quand il fait trop humide. Ses cheveux raides sont parfaitement lissés, ses doux yeux se cachent derrière une longue frange. Sa tête est toujours baissée. Souvent elle lit. Des romans classiques, qu’elle trouve chez les bouquinistes. Elle a toujours l’impression de lire un autre livre, lorsque les collections sont différentes. Le Rouge et le Noir n’a pas la même saveur s’il est lu en livre de poche ou dans une collection plus noble.
Des livres. Elle en a des centaines. Dans son petit studio, ils s’entassent, car une fois lus, elle les délaisse. Comme s’ils étaient vidés de sa lecture avide. Si elle le pouvait, elle ne s’arrêterait jamais de dévorer ses petits chefs d’œuvres, comme elle les appelle. Elle aime caresser le papier, sentir l’odeur des caves d’où sont extraits les romans.
Si on y regarde d’un peu plus près, on constate que ses yeux bougent à une allure vive. Ce n’est plus de la lecture. C’est une sorte de transe indescriptible. Angéline n’est plus de ce monde, elle voyage, avec Julien Sorel, Mme Bovary ou Gervaise Macquart. Il pourrait y avoir une tempête, un cataclysme, un tremblement de terre, elle ne bougerait pas, prise dans son roman, prisonnière de l’histoire qu’il lui faudra lire au moins jusqu’à la fin du prochain chapitre.
Ce jour là Angéline avait pensé à prendre un gros gilet. Des grosses mailles bleues, tricotées par sa mamie adorée. Elle avait mis quelque temps avant de son plonger dans la lecture de sa nouvelle trouvaille : A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, dans la collection de la Pléiade.  Le livre était comme neuf, pourtant, d’après le vendeur, il était passé déjà entre des dizaines de mains, et, sans pouvoir se l’expliquer, il avait toujours récupéré le livre une fois qu’il avait été lu. Comme si personne ne souhaitait le garder.
Bien qu’elle l’ait déjà lu, il tardait à Angéline de retrouver le phrasé d’un de ses auteurs favoris. Mais un petit grain de sable s’était immiscé là, entre son œil et la lentille qu’elle portait. Il lui aurait certainement fallu un miroir, mais Angéline n’en possédait pas. Son œil coulait tellement qu’un jeune homme s’était arrêté pour lui demander si tout allait bien. Elle avait répondu oui, expressément, presque sèchement, pour que surtout l’homme n’entame pas une conversation plus longue. Pour rien au monde, Angéline ne retarderait un rendez-vous avec ses livres.
Ce dimanche un peu trop gris, sur la plage, elle avait fini par retirer le grain de sable. Les premières lignes étaient encore un peu floues, puis ses yeux ont repris leur vitesse de croisière. Le sourire aux lèvres, Angéline s’était évadée. Mais ce jour là, elle s’était interrompue avant la fin du chapitre. Dans son chant de vision, là, les deux bottes dans l’eau, un petit garçon s’était arrêté longuement, pour regarder son reflet dans la mer. Et ce jour là, c’est la surprise et la maturité sur ce visage juvénile qui avait frappés Angéline…

jeudi 30 août 2012

Veille de rentrée...

C'est de ce moment là dont je souhaite vous parler... Cet instant qui vient juste avant. Celui où on attend là, sur le canapé, la télé éteinte, l'ordinateur sur les genoux. Ce moment là où on ne sait plus trop quoi faire vu que tout est déjà fait. 

Il faut passer le temps. Drôle d'expression finalement. Comme les grains de sable dans une passoire. Ou l'eau des pâtes, mais ça va plus vite. Le plus étrange, c'est que finalement, le temps ne passe pas. Peu importe la taille des grains ou des trous dans la passoire. Ca ne veut pas. Comme si soudainement, tout fonctionne au ralentit. 

On clique, on navigue. Et puis on en a vite assez. Il n'y a rien de neuf sur nos blogs préférés, les photos sont déjà triées et on n'a pas vraiment envie d'écrire un nouveau texte. L'ordinateur est alors vite abandonné. Tiens ? Si on faisait un gâteau ? Le chocolat effacerait peut-être la déprime qui s'installe vicieusement. On ouvre le frigo. Mais il ne reste qu'un oeuf. Et avec un oeuf, on ne fait pas ce super gâteau au chocolat qu'on aime tant. "Tu n'as qu'à en faire un autre !". Mais non, c'était celui là qu'on voulait faire. Avec le croustillant du dessus et le moelleux à l'intérieur. 

Tant pis, on va feuilleter un magasine. Cinq minutes, tout au plus. Parce qu'on l'a déjà lu. Les mots fléchés sont déjà tous faits. Sauf les mots impossibles à trouver. Et quelques grains de sable glissent encore, ça et là, le long des pages. On soupire, bruyamment. Le regard glisse, doucement, vers la fenêtre. Dehors, il pleut. Il fait gris. Pas encore froid, mais ça ne saurait tarder. Pas moyen d'aller se balader. Mais pour aller où, de toute façon ? 

Alors on retourne sur le canapé, on commence à s'intéresser à de tout petits détails. "Tiens, je n'avais pas fait la poussière sur ce coin de meuble !" . "Ah, le chat a du se frotter contre cette partie du canapé !". On se relève. On vérifie son sac. On vérifie ses trousseaux. Pour la énième fois. On regarde si tous les stylos rouges sont bien dans la trousse. On jette un oeil sur la liste des élèves. "Quels prénoms bizarres !". Dehors, une feuille tombe d'un arbre. C'est sûr cette fois, demain, c'est vraiment la rentrée... 


mardi 28 août 2012

Le sac rouge (3)

Arrêt sur image 2 : Eloïse

Je me souviens de ces années, de mon tout premier appartement. J’en étais tellement fière, quelques mètres carrés pour moi toute seule. A l’époque tu sais, ce n’était pas si simple, on ne partait pas comme ça de chez ses parents. Mais à vrai dire, pour moi, c’était un peu différent, mon père était mort depuis longtemps, et ma mère buvait bien trop pour se rendre compte de quoi que ce soit. 

La première fois, j’ai tourné lentement les clés dans la serrure. J’étais à la fois excitée et apeurée. Dans l’entrée, il y avait un tout petit placard, sur la droite. J’y avais soigneusement rangé mes chaussures, les unes à côté des autres. Tu sais, je n’en possédais pas beaucoup, quatre paires tout au plus, une par saison finalement. J’y avais mis aussi mon parapluie, un peu de cirage et une brosse à chaussures. A côté du placard, un porte-manteau, avec mon ciré, pour les sorties en mer, et ma veste de ville, pour les courses et l’église.

A gauche, c’était la cuisine. Je m’en souviens très bien, elle était minuscule. Un évier, une gazinière, un petit meuble de rangement, un frigo. J’avais aussi réussi à récupérer un petit four, chez une amie qui ne s’en servait pas. Elle ne savait pas faire la cuisine. Tu te rends compte ? Quand je pense à tous les gâteaux que j’ai pu faire dans ce four ! J’ai toujours aimé cette cuisine. Comme on dit, petite mais fonctionnelle. La seule chose qui m’agaçait, c’était le robinet. Il fuyait. Et dans l’évier en aluminium, ça faisait un bruit assourdissant. Entêtant. Comme pour marquer le temps qui passe. Chaque goutte, c’était comme pour annoncer : « une seconde de moins dans ton existence ». Je me demande si ce n’est pas ce robinet qui m’a poussé à faire tellement de choses dans ma vie. A courir après ce temps qui passe si vite.

Maintenant, je suis vieille. La vie n’a pas perdu son sens, juste un peu de saveur. Les sensations sont différentes, les sentiments aussi. Je ne pourrais plus dormir sur ce vieux matelas que j’avais trouvé au coin d’une rue. Quelqu’un avait sans doute souhaité s’en débarrasser. Il avait finalement occupé ma toute petite chambre pendant quelques années. Au dessus, j’avais collé des photographies, en noir et blanc. Comme pour faire une tête de lit, pour ajouter un peu de luxe dans ma pauvre existence. J’avais mis une affiche aussi, de cinéma. Un film avec un acteur que je trouvais tellement beau ! J’avoue ne plus très bien me souvenir des circonstances de l’obtention de ce petit trésor…

Dans le salon, j’avais mis une table, deux chaises et quelques coussins, que j’avais cousus à la machine. Il y avait une ampoule à nu au plafond. Le soir, je préférais allumer des bougies, finalement c’était peut-être moins cher. Et ça faisait une belle ambiance !

Et puis, quand le bruit de l’eau qui coulait du robinet devenait trop oppressant, lorsque le matelas était trop dur, et la luminosité trop faible, je descendais sur la plage. Oui, celle où nous sommes aujourd’hui. Tu vois, parfois le destin nous enracine quelque part. Moi, je n’ai jamais bougé. J’ai rencontré ton grand-père, nous avons eu ta maman. Nous avons pris un appartement un peu plus grand, juste à l’étage du dessus, mais je garde un souvenir intact du tout premier. Et le dimanche, même quand il pleuvait, on descendait sur la plage, un peu comme aujourd’hui, ramasser des coquillages, et écouter les hommes vivre. Tu sais, à bien y réfléchir, je crois que ce robinet n’a finalement jamais cessé de fuir…

[A suivre...]

lundi 27 août 2012

Le sac rouge (2)

Arrêt sur image 1 : Lucie

« Tu ne seras plus jamais seule ». Et elle y avait cru. Elle avait pensé que tout était devenu simple, et que plus rien ne serait comme avant. Elle avait espéré changer de vie, changer de destin. Cette phrase l’avait bousculée, émue, puis rendue euphorique. Elle s’était mise à nouveau à rire et à croire à demain. Tout  était devenu facile, futile, rayonnant. Elle avait recommencé à tirer deux traits sous ses yeux, avec un crayon noir, elle avait repris son habitude de passer un peu de rouge sur ses lèvres, avec son doigt.
Elle avait choisi d’emménager rapidement avec lui. Pour la facilité. Parce qu’elle travaillait à proximité de son domicile. Pour quitter la folie de sa propre maison aussi. Peut-être. Leur vie à deux était belle, idyllique. Les petits-déjeuners au lit, les massages au milieu de l’après-midi, les mots doux sur le frigo, l’amour qu’ils aimaient faire si souvent, les slows qu’ils dansaient inlassablement, dans les cinquante mètres carrés de leur appartement. Parfois, elle pleurait. Alors, il lui disait simplement de ne pas douter.
Il l’avait demandé en mariage. Un dimanche après-midi un peu trop gris, sur une belle plage. Les pieds dans les bottes, les larmes plein les yeux, elle avait dit oui, avec ce sourire immense qui lui va si bien. Ce jour là, il n’existait plus personne autour d’elle, juste lui, juste eux, dans l’immensité de ce paysage qu’ils aimaient tant.
Benjamin était né. Deux années plus tard. De magnifiques boucles brunes, la mélancolie de sa maman dans les yeux, et la force de caractère de son papa. Ils avaient pris pour habitude de pêcher à pied, le dimanche sur la plage de leurs fiançailles. Le petit garçon aimait découvrir, courir sur la plage avec son papa, il aimait sauter à pieds joints dans les flaques, goûter un peu la mer avec son doigt, comme sa maman, lorsqu’elle met du rouge sur ses lèvres.
Un jour, il est parti. Sans laisser d’adresse. Ni répondre au téléphone. Pourtant, Lucie avait cru à ses promesses. Elle avait cru au changement de destin. Elle avait cru un jour que les vies pouvaient basculer. Lorsqu’il lui avait dit « tu ne seras plus jamais seule », elle avait pensé qu’il s’agissait de lui. Pas de Benjamin. Mais l’enfant lui, était bel et bien là, demandeur d’amour, de tendresse et d’affection. L’enfant était là, et elle ne pouvait pas l’abandonner.
Lucie a continué à l’emmener, là sur la plage des fiançailles. Mais elle a arrêté de tirer deux traits sous ses yeux, et de mettre du rouge sur ses lèvres. Son regard reste infiniment triste. Lorsque l’enfant est à l’école, Lucie regarde par la fenêtre. Espérant croiser des yeux l’auteur de son destin. Pour lui lancer des éclairs, pour lui crier sa colère. Sa tristesse. Sa solitude…
Un dimanche un peu trop gris, Lucie emmena Benjamin sur la plage. La marée était montante, Benjamin mouilla l’intérieur de ses bottes jaunes. Il avait les pieds trempés. Mais peu importe. Là dans l’eau, pendant qu’il cherchait des coquillages, il avait vu son reflet. Et en son concentrant bien sur son image, il avait pu distinguer des traits qui forgeraient définitivement l’armure de son destin : la mélancolie de sa mère dans les yeux, et la force de caractère de son père.

[A suivre...]

dimanche 26 août 2012

Le sac rouge (1)

La mer remonte, déjà. Les pêcheurs à pied s’attarderont encore, une demi-heure peut-être… Aujourd’hui, c’était une belle journée. Il y avait beaucoup à trouver. Les couteaux sortaient facilement, le sable était bien dur. En se penchant un peu plus, on pouvait même chercher de très beaux coquillages.

La mer remonte, déjà. Le soleil certes, n’était pas au rendez-vous, mais finalement, il n’avait pas plu non plus. Pourtant, les plus vieux avaient des douleurs,  ils avaient prévenu. Mais les anciens aussi peuvent se tromper, parfois. Surtout lorsque l’on décide de ne pas les croire.

La mer remonte, déjà. Les promeneurs s’attardent. Il fait si bon de flâner, ne pas compter le temps, ne pas compter les heures. Les vagues viennent lécher les pieds des plus aguerris. Aujourd'hui, on ne travaille pas, alors on a le temps. Surtout, ne pas penser à demain, profiter de l’instant. Les bottes jaunes du petit garçon seront bientôt trempées, mais le moment est si important pour lui…

La mer remonte, déjà. Et toi tu cours. A perdre haleine. Après le temps, la vie, l’amour… Tu cours à en perdre le souffle, tu cours à en fuir tes démons. Tu cours, tu ne t’arrêteras plus… La mer ne te rattrapera jamais. Tu cours, les promeneurs te regardes, mais tu cours, tu disparaîtras au coin d’une rue, et on ne te reverra plus, là sur cette plage, avec ta veste noire, et tes cheveux au vent.

La mer remonte déjà. Petit à petit, les pêcheurs à pied reprennent leurs affaires. Certains ont encore de la route à faire, d’autres ont un plat qui mijote sur le feu… Il faut retrouver son sac, ne pas oublier le seau. Porter la glacière, relâcher quelques prises. Rhabiller les enfants. Marcher vers le parking, en posant les pieds délicatement, pour que le sable n’entre pas à nouveau dans les chaussures.

La mer remonte, déjà. Des visages ce sont croisés. Connus, inconnus. Des regards se sont fait face. Parfois un bonjour, parfois un sourire gêné. Souvent, on baisse les yeux. On n’entre pas dans l’existence d’un autre aussi facilement. Peut-être a-t-on simplement peur que l’autre pénètre dans la notre sans préavis ? Qu’y trouverait-il ? Des secrets inavouables ? Des regrets infinis ? Des amours perdues, retrouvées ? De l’ennui ?

La mer remonte, déjà. Les portières claques. Les grandes familles se séparent, les oncles font des bisous qui piquent, les tantes embrassent les plus petits. Les enfants tendent les mains à travers les vitres, la pluie se met à tomber. Le grand-père assit à l’arrière assure qu’il l’avait bien dit. On sent l’iode. On sent venir le blues. Ce blues qui nous attend là, lorsque l’on rentre, le dimanche soir.

La mer remonte, déjà. Là-bas, sur la plage, un sac. Un joli sac à dos rouge. Perdu. Abandonné. Jeté là. Au milieu de rien. Au milieu des grains de sable qui s’immiscent partout. Au milieu de cette étendue sauvage, enfin désertée. La tirette est encore ouverte, on peut voir l’intérieur de la poche principale. Quelques gâteaux, une bouteille d’eau, une petite pelle, un lapin en peluche, un appareil photo numérique.

La mer remonte, déjà. Là bas, posé, comme une tâche dans le gris du paysage, sous la pluie d’un dimanche un peu maussade, un joli sac à dos rouge, qui ne retrouvera jamais son propriétaire.

[A suivre...]

vendredi 24 août 2012

Un monde virtuel...

Des pieds... Quatre pour être précis. Deux nus. Avec un joli verni à ongles rouge. Et deux emballés dans des chaussettes blanches, qui sont certainement passées à la machine avec des vêtements foncés. On remonte, le long des jambes. Et là... Un ordinateur. Non, deux. Un sur chaque paire. Des mains, quatre, qui tapent sur le clavier. Presque avidement. Comme en recherche de quelque chose. Un peu plus haut, appuyés contre des coussins, deux têtes. Des visages fermés, anxieux. En pleine réflexion.

Pas un bruit dans la pièce, seulement le soufflement des machines qui souffrent de la canicule. Et puis, les doigts sur le clavier.

Lui, se racle la gorge. Juste une fois. Comme pour briser ce silence peut-être un peu trop pesant. Elle cligne des yeux, plusieurs fois, mais ça ne fait pas de bruit.

Le regard rivé sur l'écran, ils communiquent. Pas entre-eux, ça non. Ils communiquent au monde entier. Ils communiquent leurs passions, leurs vagues à l'âme, leur souffrance, ou leur bien être. Ils communiquent le vrai comme le faux, Peu importe, puisqu'ils en parlent.

Deux heures auparavant, ils ont regardé un film. Ensembles. Dans la même position. Les pieds n'ont pas bougé, leurs yeux non plus.  Le film leur a plu. C'était intéressant, prenant, voir angoissant par moment. Juste après le générique de fin, chacun a récupéré son ordinateur. Pour partager. Avec le monde. Pour dire ce qu'ils ont aimé, détesté, ce qui les a surpris, frappé... Mais rien entre-eux, pas un mot, surtout, peut-être la peur de parler trop fort...

Elle, se sent un peu prostrée, plus vraiment vivante. Presque virtuelle. Lui, ne sait pas trop. Il voudrait bien dire une phrase, ajouter quelque chose. Il se racle la gorge, une nouvelle fois.

Pourtant ils s'aiment. Ou alors, ils se sont aimés. Ou bien...  En tout cas, il y a eu quelque chose. Forcément. Pour finir à deux dans un appartement. Pour avoir envie de se faire à manger ensemble, de partager les corvées, de se répartir les tâches... Pour avoir envie de se coucher à deux, de rire à deux... Il y a eu quelque chose c'est sûr.

Elle, cherche sur Internet. Amour... Des citations, des images, une définition. La clé ? "Ce n'est pas dans ta machine que tu trouveras la clé du bonheur jeune fille !". Une pensée furtive pour son grand-père. 
Lui est dérangé par un insecte, un moustique certainement. D'un geste agacé, il le chasse. Et dans son élan, il la bouscule, légèrement, elle, qui partage son coin de lit. Alors il prend conscience. Il se souvient qu'elle existe, qu'elle est à côté de lui, qu'elle a peut-être besoin de lui...
"Pardon...".
Il l'embrasse. Longuement. Langoureusement.
Elle, surprise. Mais heureuse. Furtivement, ses yeux fuient vers l'écran, la messagerie instantanée a ouvert une nouvelle fenêtre. C'est lui, quelques secondes avant le début du baiser. "Veux-tu m'épouser ? "