jeudi 18 octobre 2012

Sortie à la plage...

Ils avaient quand même souhaité descendre. Dès le matin déjà, c’était l’effervescence. Tout le monde s’affairait, les discussions allaient bon train. Fallait-il prévoir du thé ? Du café ? Avait-on pensé au fromage ? Qui portera la glacière jusqu’à la voiture ? Les gosses jouaient dans une chambre, discrètement, comme pour éviter d’ajouter du bruit à l’agitation ambiante. Ca sonnait à la porte toutes les deux minutes, entre les oncles, les tantes, les amis… Chacun avait une phrase à placer, son grain de sel à ajouter.

Moi, je les avais prévenus. Je leur avais dit qu’il allait pleuvoir, que ma hanche ne me trahit jamais. Ils n’avaient rien voulu savoir. C’est vrai, c’est plutôt rare d’arriver à se réunir par les temps qui courent. J’ai l’impression que c’était plus simple avant. Aujourd’hui, il faut confirmer par email, reconfirmer avec le téléphone portable, on est même autorisé à annuler au dernier moment à grands coups de sms.

J’étais là, assis sur mon fauteuil, attendant qu’on m’interroge, qu’on me prenne à parti. Mais il y a longtemps que j’appartiens à la grande famille des meubles de cette maison. Je suis tout au plus le vieux grincheux, et pourtant, je ne me plains pas souvent. Mais c’est comme ça, passé un certain âge, on encombre, on est supporté, on fini par être un poids… Et c’est terrible…

La petite Chloé avait quand même couru vers moi, les bras grands ouverts, en lâchant un « papi t’aime » du haut de ses deux ans. J’avoue, ça m’a presque ému. Pour un peu, je dirai que j’étais bouleversé. Mais ça n’a pas duré. La petite a fait tomber une télécommande, les adultes ont sursauté, et j’ai eu droit à un « tu pourrais quand même la surveiller ! ».

Voilà. J’étais assis là, en attendant qu’on se préoccupe de moi. J’ai attendu le signal, il était temps de partir. On m’a aidé à monter dans la voiture. On m’a aidé à mettre ma ceinture. On m’a demandé trois fois si j’étais bien installé. Et puis on était tous descendu à la plage, en cortège digne des plus beaux mariages de mon époque. Je me suis alors pris à rêver de ma femme, de ses belles boucles brunes, de sa mauvaise foi, de son regard perçant et de son sourire, figé à jamais sur les photos souvenirs qui ornent la chambre que j’occupe aujourd’hui.

Quand j’ai ouvert les yeux, nous étions arrivés. Immédiatement, presque inexorablement, je me suis senti apaisé par le bruit de l’océan. Nous marchions lentement, peut être que finalement tout ce petit monde s’était adapté à mon pas de vieillard. J’ai regardé autour de moi. Il y avait du monde, malgré le temps, la jeune fille aux livres, là contre son rocher, un couple d’amoureux et puis cette femme. Elle devait bien avoir mon âge, vu la couleur de ses cheveux. Des jolies lunettes, comme on sait bien les faire aujourd’hui. Des mains ridées, qui bougeaient au rythme de ses lèvres. Elle s’adressait à un ado, qui avait les mêmes yeux qu’elle. Qui sait ce qu’elle pouvait bien lui raconter ?

Nous sommes restés longtemps. Moi sur le fauteuil, à regarder les gamins courir, et me présenter fièrement leurs trouvailles. A part eux, personne ne m’a parlé. Pas un sourire, pas un regard. Ils avaient voulu cette journée sous le signe des retrouvailles. Ainsi, ils m’avaient oublié un peu, comme un fardeau qu’on traîne puis qu’on laisse dans un coin. Nous avions fini par tous repartir, malgré les supplications des enfants, et l’eau avait alors commencé à tomber du ciel…
Enfin bon, moi, je leur avais bien dit qu’il allait pleuvoir…

2 commentaires:

  1. Aha! Celui là je l'aime beaucoup. Très juste (euh peut-être un poil trop incisif vis à vis des réactions de la famille) et très important parce qu'on pense assez peu à ce qu'ils vivent, ce que nous vivrons aussi (touchons du bois) d'ici une soixantaine d'années.

    Très bon en tout cas :)

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  2. J'aime beaucoup le couplet sur les nouvelles technologies. Du vécu ??? ;)

    Mimi

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