dimanche 7 octobre 2012

Rivages (3)

Quelques minutes plus tard, Lucie referme la porte de la petite boutique. En remontant la rue, elle se laisse aller à penser, quelques secondes : « Tu dois être au jardin. Peut-être que tu penses à moi. Peut-être que tu t’en fous. Tu dois être en train de te battre avec les fraises et les escargots. Tu as mis cet horrible tablier rouge que je t’ai offert un jour. Pourquoi ? Tu dois être au jardin. Tu creuses pour oublier. Ou pire. Tu creuses pour y enterrer tes souvenirs. Tu dois être au jardin. Moi, je suis là tu vois. Je suis bien. ». Elle ne prête pas attention à ce petit garçon qui passe sur son vélo rouge et qui la salue de la main, ni à cet homme aux yeux verts qui ouvrent ses volets. Elle est absorbée, obsédée même. Comme en transe. Que changerais tu toi ? Que changerais tu ?
Plus loin, elle s’arrête, reprend ses esprits. Face à l’océan qui gronde. Son téléphone à la main. Les embruns coulent sur son visage. Le vent souffle dans ses longs cheveux bouclés. Elle enlève ses chaussures, respire profondément. Et puis, de toutes ses forces, de toute sa douleur, de toute sa colère, elle lance son téléphone à la mer. Le plus loin possible. Le plus fort possible. Ensuite, elle reste là, quelques minutes. Les larmes se mêlent aux embruns sur son visage. Elle souffle : « c’est fini ».
D’un pas presque léger, elle rejoint l’hôtel. Il faudra songer à manger aussi. Peut-être. Plus tard.
Martine observe. La jeune fille est revenue. C’est étrange, elle ressent comme de la compassion pour elle. Peut-être ira-t-elle la déranger un peu plus tard pour lui conseiller un bon restaurant ? La meilleure crêperie du village ? Son mari aurait dit : « Martine, tu ne devrais pas être aussi curieuse avec tes clients ! ». Mais son mari est sans doute à l’heure qu’il est en train de donner de bons conseils à une autre femme. Alors, curieuse ou pas, Martine décide de rejoindre la demoiselle, devant la porte de sa chambre.
-    Vous avez l’air d’avoir froid, souhaitez-vous que je vous montre l’allumage du chauffage ?
-    Merci, c’est gentil, je vais plutôt mettre un pull…
Lucie se passerait bien de cette discussion. Elle préfèrerait entrer dans sa chambre, se coucher sur le lit, et pleurer toute les larmes de son corps avant de s’endormir. Mais elle comprend Martine, quelle idée aussi de venir en Bretagne hors saison !
-    Il y a de très bons restaurants dans le coin, je doute qu’ils soient tous ouverts cependant… Vous êtes en voiture ?
-    Non, je suis venue en bus… Vous ne faites pas hôtel-restaurant ?
-    Hors saison, je me passe de mon cuisinier, la crise, vous comprenez… Mais venez donc manger chez moi, quand il y en a pour un, il y en a pour deux !
-    C’est gentil, mais je crois que je me passerai de dîner ce soir… lâcha Lucie.
-    C’est comme vous voulez, mais mon invitation tient jusqu’à l’heure du dîner si vous changez d’avis !
A ces mots, Martine se retire et permet à Lucie de pénétrer dans sa chambre. Elle se laisse tomber sur son lit, submergée par un trop plein d’émotions. Elle songe à l’accueil des gens dans le village, à son départ précipité, elle songe à ceux qui voudront l’appeler, elle songe à cette page qu’elle vient de tourner… Peu à peu, elle sombre dans le sommeil, entre rêves et cauchemars…
Une heure plus tard, Lucie est réveillée en sursaut par un bruit indéfinissable derrière sa porte. Émergeant à peine, elle met un certain temps à se rappeler où elle se trouve, et à comprendre que ce bruit assourdissant est celui d’un miaulement.
Elle ouvre la porte, le petit chat noir entre et se précipite sur le lit. Il se roule dans les draps, en ronronnant bruyamment.
-    T’es gonflé toi !
Le chaton la regarde, prend l’air penaud. Lucie ne peut s’empêcher de lui gratter la tête et lui caresser le ventre. Puis, l’animal prend sa main pour proie, et les deux acolytes se lancent dans un jeu un peu loufoque. Lucie rit. Elle prend le petit chat dans ses bras et décide de rejoindre la gérante de l’hôtel pour le repas du soir, s’il est encore temps.

1 commentaire:

  1. J'aime bien (même si j'ai pas commenté sur les derniers textes...), mais j'attends toujours la trame de l'histoire en fait!
    Sinon, c'est juste un peu bizarre quand tu sautes d'un personnage à l'autre en narration (Lucie - Martine - Lucie) sans véritable espacement. Du coup on a des fois du mal à savoir de qui on parle.

    Sinon, effectivement y'a aussi des chats en Bretagne! ;-)

    RépondreSupprimer