Elle avait mis son petit pull marin, pour l’occasion. Rayé bleu et blanc. C’était la première fois qu’elle foulait cette plage. Elle avait longtemps hésité avant de venir. N’était-ce pas là un grosse erreur ? La fin d’une idylle tellement envoûtante ? C’est vrai, elle le connaissait depuis longtemps maintenant. Mais la vie virtuelle avait quelque chose de protecteur. Comme si le danger n’existait pas, par écrans interposés. Derrière son clavier, elle n’avait plus peur de dire les choses comme elle le pense, elle était quelqu’un d’autre.
C’est ce « quelqu’un d’autre » qui inquiétait le plus Elisa. Là, sur la plage, peut-être même sous quelques gouttes de pluie, elle ne pourrait plus tricher. Il faudrait trouver les mots justes, sans se tromper, sans faire d’erreur, sans blesser.
Lorsqu’ils branchaient tous deux leur webcam, le monde d’Elisa se transformait. La vie devenait plus amusante, attrayante. Elle prenait tout son intérêt lorsque le visage de son ami apparaissait sur le petit écran. Des sourires, des cœurs formés avec les doigts, des bisous envoyés avec la main… Jamais de contact réel, jamais de parole prononcée à voix haute. Juste des gestes, et le bruit sec du clavier crépitant sous les doigts d’Elisa, et son cœur battant au rythme des touches.
Elle se remémorait ces conversations interminables, lorsque l’on pense que le monde entier dort déjà. Ces conversations qui rassurent et qui font croire qu’on s’aime. Derrière l’écran, elle s’était dévoilée, elle avait facilement pianoté les sept lettres les plus importantes de sa petite vie de jeune femme.
Devant la désapprobation de ses parents, elle avait décidé de désobéir. Pour essayer, pour voir, pour tenter. Braver l’interdit, pour à nouveau trouver ce brin d’excitation, ce plaisir qu’elle ressentait lorsqu’elle s’inventait une vie par boîtes de dialogues interposées. Maintenant qu’elle y était, l’inquiétude avait remplacé le plaisir. Sera-t-il au rendez-vous ?
Elisa observa longuement un vieux monsieur, assis sur un transat, entouré d’enfants qui riaient en creusant le sable. Elle pensa au bonheur qu’il devait ressentir d’être au milieu de cette marmaille. Elle se dit qu’elle aussi, un jour, elle voulait être grand-mère, et se s'installer, pourquoi pas sur cette plage, pour observer ses petits enfants, jouant gaiement.
Elle s’assit, dessinant avec son doigt des formes aléatoires sur le sol. Le vent soufflait fort, et les vagues grondaient, mais elle se sentait légère et futile. Pourtant, au fond, tout au fond d’elle, l’angoisse grandissait. Plus les secondes passaient, plus le battement de son cœur accélérait.
Elle repensa à sa mère, qui lui avait reproché son côté trop fleur bleue. Elle se remémora ces instants indécis avec lui, où ils avaient longuement parlé de cette rencontre. C’est lui qui avait choisi la plage, elle s’était laissée porter. Ce rendez-vous tournait la page d’une histoire, elle espérait pouvoir en construire une autre avec lui. Il était beau, intelligent, musicien, poète… Il avait su la séduire par les mots, par ces phrases envoûtantes qui font parfois couler les yeux. Mais les plus grands poètes ne sont pas forcément les meilleurs amants…
Elisa était assise là, sur ce coin de plage, depuis une petite heure. Le temps semblait s’égrainer, s'envoler, insensible à la peur de la jeune fille, tel le sable entre ses doigts. Elle regarda longuement ces hommes et ces femmes venus fouler la plage, un dimanche après-midi. Elle jeta un œil à sa montre, et effaça ses dessins, lentement, de manière quasi-cérémonieuse. Elle sentit la colère monter en elle. De rage, elle essuya une larme coulant le long de sa joue. Le destin n’avait pas choisi le bonheur pour elle aujourd’hui… Déjà seize heures, c’est sûr, il ne viendra plus…
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