mercredi 20 novembre 2013

Nouvelle Prix Don Quichotte Edition 2013

Voici la nouvelle que j'ai envoyé pour participer au prix Don Quichotte Edition 2013. Le thème était "Passage(s)". Pour cette nouvelle, j'avais décidé de reprendre un texte déjà écrit, de l'approfondir et l'améliorer. La nouvelle n'a pas été retenue. 

http://donquichotterueil.blogspot.fr

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 Randonnée mortelle


Nous avions décidé de faire le tour du Mont Blanc. Enfin, c’est toi qui avais décidé. Comme chaque année, tu avais sélectionné la semaine de nos vacances, la première du mois d’août, tu m’avais proposé deux ou trois destinations, et tu avais finalement fait le choix à ma place. Mon avis ne te passionnait pas plus que ça, de toute façon « tu t’en fiches non ? ». J’avoue que l’idée, cette fois-ci, ne m’avait pas totalement déplu.

Ainsi, cette année ce serait le tour du Mont Blanc. Départ des Houches, environs cinq heures de marche chaque jour, parfois plus. Compter mille mètres de dénivelé quotidiens. Nous étions bons marcheurs, cela ne m’angoissait pas particulièrement. La météo s’annonçait idéale, mais je dois convenir que je redoutais un peu les nuits en refuge. Dormir les uns sur les autres, entre ceux qui ronflent et ceux qui bougent sans cesse, ça ne me disait trop rien. Mais tu avais insisté, comme à ton habitude, avec cette autorité dans la voix qui fait qu’on ne peut rien te refuser.

Nous étions partis un dimanche, on avait pris la 205, la radio à plein tubes nous annonçait en boucle les catastrophes venues des quatre coins du monde. Tu avais râlé à propos de la vitesse dans les virages, tu avais demandé à ce qu’on s’arrête à la station d’essence, seulement une heure après notre départ. Je m’étais un peu fâché : « tu n’aurais pas pu y penser avant de partir ! »… Ce sont les seuls mots que nous avions échangé.

Premier jour de marche, col de Voza. Huit cent quarante mètres de dénivelé. C’était une belle étape de mise en jambe. On s’était parlé. Peu. Mais on avait commencé à faire le point. Plus on montait, et plus les reproches fusaient. Mais ils étaient sourds, cinglants, et à peine chuchotés, de peur d’en dire trop. Lorsque nous avons franchi la petite passerelle au dessus du torrent, le silence était lourd. Lourd de conséquences. Lourd de ce que nous venions de nous dire. Lourd de tout ce qu’il restait à annoncer. A cracher. Car du venin, il y en avait entre nous. La montée du col du Tricot, nous avait permis d’oublier un peu. Enfin c’est ce que j’espérais croire.

La première nuit fut plutôt calme. Je fus même, il faut bien l’avouer, agréablement surpris. Bien que le Tour du Mont Blanc soit spécialement fréquenté en été, notre itinéraire semblait à l’abri des hordes de touristes inconscients en mal d’aventure et d’adrénaline. Comme pour célébrer ce plaisir de nous retrouver seuls, nous avions fait l’amour, froidement, sans goût, presque par obligation. Parce que nous étions un couple. Cela me rassurait. Sentir ta peau contre la mienne, tes seins contre mon torse, ton souffle qui accélère, tes mains qui me cherchent… J’avais fermé les yeux, pour ne surtout pas croiser ton regard. J’y aurais vu tous les reproches et la haine que je t’inspirais. Pourtant, à cet instant, je rêvais encore d’une vie meilleure.

Le lendemain, il pleuvait. Les éléments semblaient s’être ligués contre nous pour ajouter de l’humeur à la morosité ambiante. Mais tu t’es voulue enjouée, et nous nous sommes pris à rire en dévalant les pentes herbeuses vers le refuge de Nant-Borrant. De nombreuses fois nous avons glissé, nos pantalons étaient trempés, et nos joues mouillées. Lors de notre pique-nique, là, à l’abri sous nos capes, nous avons ressassé des souvenirs, les voyages, nos amis, les fêtes du samedi soir, la construction de la maison, le petit jardin que tu aimais bichonner, et puis cette balançoire, sur laquelle aucun enfant n’a jamais pu s’asseoir. Le silence est revenu, nous avons repris la route. Nos pas étaient lourds, lourds de conséquences. A l’arrivée au refuge, même la soupe de lentilles ne nous a pas réchauffés. La nuit fut longue, froide et pleine de cauchemars.

Nous avons continué notre chemin, à cinq heures, vers la Croix du Bonhomme. Pour éviter les heures les plus chaudes de la journée, il nous fallait partir tôt. J’avais mal à la tête, tu avais un léger rhume. Le rhume t’a toujours rendue susceptible. Tu n’as pas ouvert la bouche, de toute la montée. J’avoue, j’étais agacé. Par tes reniflements incessants. Et ta façon de geindre, après chaque éternuement. J’avais envie de te demander qui avait eu l’idée d’un tel périple. Mais je te connaissais trop bien. Enfin, je pensais… Le vent n’arrangea en rien notre humeur, et le temps semblait s’écouler de plus en plus lentement. La douleur liée à nos efforts était exacerbée par notre énervement respectif. J’avais alors fait un constat simple et sans appel : tout en toi m’insupportait. En arrivant à l’hôtel de La Nova, mon humeur fut encore plus altérée par la quantité de touristes devant le self, réclamant des frites, en tongs et en shorts de plage.

Le soir même, alors que nous avions péniblement réussi à obtenir une chambre pour deux, tu m’as demandé si nous pouvions plutôt prendre le bus de Courmayeur à Lavachey pour te reposer un peu. J’ai évidement accepté. Tu t’es endormie, rapidement, la tête tournée vers le mur, comme pour ne surtout pas me contredire.  J’ai laissé la lumière, un peu, pour t’observer. Tes cheveux que j’avais tant aimé n’étaient que broussaille, les rides creusées par le temps donnaient à ton visage une impression de sévérité et de dureté, alors qu’il avait été si doux jadis. Tes mains semblaient cruelles, prêtes à griffer. Elles qui m’avaient donné tant de plaisir déjà... Même dans ton sommeil, tout en toi m’effrayait. Lorsque j’ai décidé d’éteindre, malgré mon corps tout tremblant des révélations que je venais de me faire, j’ai glissé à ton oreille ces quelques mots : « pourquoi ne m’as-tu jamais fait d’enfant ? ». Dans le noir, il m’a semblé clairement percevoir tes yeux s’ouvrir. J’ai préféré m’abstenir de tout commentaire supplémentaire.

J’ai oublié les détails des jours suivants. Je me souviens du glacier Pré du Bar, et de quelques marmottes croisées. Je me rappelle de ce trajet en bus où tu t’es sentie mal. Je me souviens surtout de l’ambiance, morose, et d’avoir vu quelques larmes sur ton visage. Je me souviens des cailloux, jetés avec force dans la rivière, mais aussi de ce petit radeau, que nous avions fabriqué. Peut-être le seul et unique moment de complicité que nous avions vécu pendant ce trekking. Je me souviens que même le chant des oiseaux me semblait triste, et que tes yeux bleus ne cessaient de briller.  J’ai eu peur d’y croiser plus de colère que de tristesse. Ce que tu ne savais pas, c’est que moi aussi, je t’en voulais.

Lors de notre huitième étape, nous avions une vue imprenable sur la vallée de Chamonix. Nous nous sommes arrêtés, malgré la pluie, qui s’amusait à arroser régulièrement chaque journée de marche, comme pour nous narguer encore un peu plus. Tu m’as regardé. Longuement. L’eau ruisselait sur ton visage. Et avec ce ton cassant dont tu as seule le secret, tu as juste annoncé : « c’est fini Antoine, c’est fini entre nous ». J’ai pris un poignard dans le cœur. Je t’ai regardé. J’ai eu envie de te gifler. Ou pire. Je n’ai rien dit. Dans mes poches, mes poings se sont serrés. Nous nous sommes regardés, longuement, comme deux étrangers. J’ai pensé aux conséquences de tes paroles. J’ai imaginé ce qu’elles impliquaient. Mes yeux brûlaient de haine et mon corps tout entier transpirait de douleur. Tu as baissé les yeux, et puis, nous avons continué.

La dernière étape a tout fait basculer. J’aurais pu rentrer chez moi, construire une nouvelle vie. Apprendre à aimer une autre femme. Il était trop tard pour construire une famille, mais était-ce vraiment impossible d’apprendre encore à être heureux ? J’ai pris peur. J’ai compris que je t’aimais. Que je ne voulais pas te perdre. Mais que je t’avais perdu depuis bien longtemps. Notre incapacité commune à faire un enfant avait à tout jamais rompu les liens de notre amour. J’ai commencé à renoncer. A renoncer à être heureux. Renoncer à vivre dans un monde où tu ne serais pas plus ma femme. Renoncer à ce que tu ne m’appartiennes plus… J’ai renoncé, tu en as subi les conséquences.

 Juste avant de franchir les échelles d’Argentières, j’ai bien vu que tu avais peur. Ca glissait, il y avait le vide, il fallait être prudent. Tu avais hésité longuement, face au panneau : « Passage dangereux : ne pas emprunter par temps mauvais ». Je n’ai pas pris la peine d’argumenter. Tu avais décidé, comme à ton habitude. Tu as seule été maîtresse de ton destin. Et puis, il y a eu cet instant, redoutable.

Tes deux mains sur les échelles, tu avais démarré l’ascension. J’étais resté un peu, en contrebas, pour ne pas te gêner. En réalité, je t’observais. Je me délectais pour une dernière fois de la vue de tes fesses, si belles, si rondes, que j’avais tant aimé caressé. Et puis...

Tu as glissé. Le temps d’une seconde, tu as dit : « Antoine, aide-moi ! ». Je t’ai regardé. Le temps s’est arrêté. Tu es tombée. Tu as hurlé. J’ai entendu le choc et puis, plus rien. J’aurais pu paniquer, appeler les secours, courir pour t’aider. J’ai attendu, quelques minutes. J’ai écouté le silence, qui criait dans mes oreilles. Je suis parti. Et j’ai fini la randonnée. Cette mortelle randonnée, c’est toi qui l’avais choisie. Je suis rentré chez moi. Chez nous. Non, chez moi. Maintenant, j’attends...

mercredi 23 octobre 2013

25 ans !

Octobre, le 23, un samedi. Les feuilles tombent en pagailles, les arbres sont colorés, le soleil joue cache-cache derrière les nuages. Un petit garçon fait du vélo. Un petit vélo rouge, qui roule vite. La semaine dernière, tonton avait enlevé les petites roues.  De sa voix haut-perchée, le petit garçon appelle ses parents qui marchent loin derrière. Ils sont fiers. L’enfant rit de bon cœur à la vue d’un écureuil, puis reprend sa course effrénée avec le vent, sans doute. 

Octobre, le 23, un dimanche. Une maison blanche, les rideaux tirés. Le magnolia a perdu toute sa parure, et on a déjà mis un peu de chauffage. Du bout de la rue déjà, on entend les basses qui semblent sortir de sous terre. Le petit garçon a bien grandi. Un mètre quatre-vingt, quelques kilos en plus, et une passion démesurée pour la musique électronique. On peut toujours entrer dans la chambre, il n’entendra rien. Le casque vissé sur les oreilles, il se prend à mixer les morceaux les plus divers, et pourquoi pas un jour, créer lui-même sa propre musique…

Octobre, le 23, un lundi. Je te découvre. Toi, le petit garçon d’hier, à peine sorti de l’adolescence. Notre premier anniversaire ensemble. Les voyages en train, les allers-retours, les premières disputes, les premiers cinés, les premières vacances.  Je te découvre, toi et tes passions, toi et ton calme olympien, toi et ta gentillesse, et ta douceur infinie. Je découvre un homme, qui laisse pousser ses cheveux, sa moustache, qui cherche à me plaire mais qui n’a pas besoin de le faire. Un homme qui me plaît, enfin. Je nous imagine, mariés, unis, pour la vie. J’ai des rêves de princesse et toi, as-tu les mêmes dis-moi ?

Octobre, le 23, un mercredi. Un grand appartement, des murs blancs, trois chambres, un beau bureau. Ton matériel de musique est enfin à sa place. Le petit vélo rouge n'est plus vraiment le même. Cent dix mètres carrés de bonheur. Tu es parti travailler, pendant ce temps j’écris. Octobre le 23, c’est souvent les vacances, mais surtout c’est l’automne. Dehors il pleut, je ressasse des souvenirs. Cette bague glissée au doigt, ces vacances entre amis, nos joies, nos déceptions et surtout nos folies. J’ai hâte que tu reviennes, hâte que tu découvres les surprises que je t’ai préparées pour ce nouvel anniversaire. Octobre, le 23, un mercredi. Je passe ma main sur mon ventre qui s’arrondit. Ne rentre pas trop tard, papa…

dimanche 22 septembre 2013

Plus de doute...

Des envies nouvelles, un gros pull bien chaud…
Un chocolat en terrasse, rentrer précipitamment parce qu’il pleut…
Un bain tiède, le soir, et se détendre dans la mousse…
On file plus rapidement au lit, on ne regarde pas le film jusqu’au bout…
Le chat se pelotonne contre nous, et ronronne à la moindre caresse…
Les cartons s’entassent dans l’appartement, comme les feuilles mortes sur mon pare-brise…
On ne se reconnaît plus, on a envie d’hiberner…
Les écureuils grimpent sous nos fenêtres, les araignées viennent faire un tour à l’intérieur…
On allume le chauffage, et puis on l’éteint…
Le soleil semble un peu moins fort, pourtant il brille dans l’appartement…

Maintenant, c’est sûr…

Au début on n’y croyait pas trop, on n’en avait même pas vraiment envie…
On pensait qu’on rêvait, que ce n’était pas vrai, et qui finalement rien n’allait changer…
Et puis des évidences, la rentrée des classes, les cartables neufs, les crayons bien taillés…
Les bottes que l’on ressort, et le besoin de s’emmitoufler…
On se met à y penser, à imaginer, à fantasmer…
On est heureux finalement qu'il soit présent, on prierait presque pour qu’il reste plus longtemps…
On aimerait manger des plats consistants, des raclettes, des fondues…
On a le sourire aux lèvres, tous les jours, on ne se pose même pas la question…
Le bonheur est là, sous la petite couverture grise du canapé…
Bientôt, les premiers flocons viendront lécher les vitres du nouvel appartement, les enfants s’exclameront en regardant par les fenêtres, il faudra rentrer du travail de nuit et ressortir les écharpes.
En attendant, les feuilles crissent sous nos pas, et les arbres se parent de milles et unes couleurs… 

Oui, pas de doute, l’automne est là…

samedi 14 septembre 2013

Aime moi (11)

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-    Il a voulu mourir ! J’en suis sûre et c’est à cause de cette garce de Lucie !
La mère d’Antoine ne décolérait pas. Son fils était dans le coma depuis plus de soixante-douze heures, elle n’avait dormi que trois heures en tout sur les trois derniers jours, et aujourd’hui, son mari subissait son manque de sommeil et sa rage contre celle qui avait bouleversé à tout jamais la vie de son plus jeune fils.
-    Jeanne, il a mordu une ligne blanche continue, c’est tout. C’est un hasard, un concours de circonstances, et en aucun cas il n’a voulu mettre fin à ses jours. Tu devrais aller te reposer. Veux-tu que je te fasse couler un bain ?
Pour toute réponse, la mère d’Antoine leva les yeux au ciel et indiqua du doigt le téléphone. Puis son regard se remplit de larmes et elle tomba dans les bras de son mari.
-    Je peux tout aussi bien décrocher le téléphone. Tu sais, l’hôpital ne risque pas d’appeler tout de suite, ils nous ont dit de rentrer nous reposer, et nous savons très bien que cela peut durer. Courage mon amour, il s’en sortira j’en suis sûr. C’est un battant ! Viens donc t’allonger un peu…
Il emmena sa femme jusqu’au lit, et, tandis qu’elle sanglotait encore, il l’enveloppa dans une  couverture grise toute douce. Puis, il la berça, doucement, tel un enfant en bas-âge, jusqu’à ce qu’elle ferme les yeux et s’endorme. Lorsque sa respiration devint plus régulière, il quitta la chambre et descendit au sous sol, dans celle d’Antoine.
Sa guitare n’était pas dans son étui, l’ordinateur était encore allumé et les draps froissés. Sa femme n’avait pas eu le courage d’y mettre les pieds depuis l’accident. Il inspira profondément et ouvrit la petite lucarne qui servait de fenêtre.
Etait-ce le bruit du papier qui s’envole qui avait attiré son regard ? Ou avait-il remarqué immédiatement la feuille sur les draps bleus du lit ? Il s’avança doucement et ramassa la lettre qu’avait déposée Lucie, trois jours auparavant.
Antoine,
J’ai commis des erreurs irréparables. Je ne suis pas sûre de savoir recoudre les plaies que j’ai pu ouvrir chez toi. Je ne suis pas sûre de pouvoir reconstruire tout ce que j’ai détruit. Mais j’ai envie d’essayer. Pour toi. Pour nous. Ou alors, très égoïstement, pour moi. Je pars. Sur nos traces. A la recherche de nos secrets, de nos non-dits. Je pars, et si tu le souhaites, suis-moi. Je te laisserai des indices. Et je l’espère un jour, on se retrouvera.
A très vite. Je t’aime, pour toujours.
Lucie.

D’un revers de la main, le père d’Antoine essuya les larmes qui coulaient le long de ses joues. Puis, il froissa la feuille et jeta la boule de papier dans la corbeille du jeune garçon, juste en dessous du bureau.

-    Je te déteste ! Tu n’avais pas le droit de l’abandonner !
-    Mathéo ça suffit, calme-toi ! Réveille-toi !
Olivier secoua vivement son ami. Mathéo se débattait comme un forcené sur son lit, les yeux révulsés. La lampe du chevet en avait déjà fait les frais. Mais Olivier savait qu’il dormait. Il avait eu affaire à ses crises à de nombreuses reprises, et cela ne le surprenait plus. L’objectif premier était de réveiller son ami, avant qu’il ne se fasse mal. L’espace d’un instant, Olivier se prit à remercier le destin d’avoir eu l’intelligence d’emprunter une clé de son appartement à son ami, sans jamais lui rendre jusqu’à aujourd’hui. Il attrapa fermement les deux mains de son ami, les plaqua sur le haut du lit et lui pinça le nez. A court d’air, Mathéo cessa d’hurler et sembla retrouver ses esprits. Il regarda longuement son ami, gardant le silence, qui se faisait soudain pesant dans la pièce.
-    Ca va ? s’inquiéta immédiatement Olivier.
-    Ca va… Que fais-tu là ? souffla Mathéo, encore un peu secoué.
-    Je n’ai pas cru une seule seconde à ton histoire de dentiste…
-    Tu me connais bien alors… Comment es-tu entré ?
-    Comme toutes les autres fois, avec la clé que je te promets de te rendre chaque fois…
-    Tu sais que tu es vraiment le meilleur ami que j’ai pu rencontrer jusqu’à aujourd’hui ?
Le silence s’installa entre les deux jeunes hommes. Olivier lâcha progressivement les mains de Mathéo, comme s’il craignait que celui-ci recommence à cauchemarder. Il s’allongea à ses côtés, ils se regardèrent longuement dans les yeux.
-    C’était quoi cette fois ? chuchota Olivier.
-    Sophie a appelé hier. J’ai encore pété un portable…
-    Tu vas vraiment la détester toute ta vie ?
-    Tant qu’Elsa ne sera pas à mes côté oui…
-    Pourquoi ?
-    Elle n’avait pas le droit de nous faire ça…
-    Elle avait parfaitement le droit de faire ça, et tu le sais…
Mathéo ne prit pas la peine de répondre. Il savait qu’Olivier avait raison. Il savait que Sophie ne pouvait pas s’occuper de deux enfants, il savait aussi que si elle en avait eu les moyens, elle l’aurait fait… Le monde de Mathéo s’était écroulé à la mort de ses parents, et la séparation avec sa petite sœur avait fini d’ébranler toutes ses convictions de jeune garçon.


[A suivre...]

lundi 19 août 2013

Le blog prend la pause ?

Pas d'article depuis deux mois.

Manque d'inspiration ?
Peur de la page blanche ?

Non, simplement d'autres projets en tête, et finalement peu de temps pour écrire sur le blog.

Un roman ?
Qui sait...

En attendant, il faudra patienter.

A bientôt ?

dimanche 30 juin 2013

Noces de coton...

C'était un regard, comme ça, jeté derrière l'épaule. Un regard inquiet, mais aussi rassurant. Un regard pour chercher du soutien, ou un sourire. Un regard presque anodin, mais qui, ce jour-là, avait toute son importance. 

Il faisait chaud. Nous avions attendu longuement. Presque un an en fait. Les préparatifs s'étaient faits dans la joie, mais aussi parfois dans l'inquiétude. Il s'était préparé de son côté. Et moi du mien. J'attendais avec impatience le moment des retrouvailles. 
Lorsque nos deux familles se sont réunies, et que j'ai vu son oeil briller, je me suis sentie belle, comme jamais auparavant. 

Puis il y a eu les photos, et l'attente, sur le parvis de la mairie. De la bonne humeur, un soleil éclatant et une chaleur... écrasante. Tout le monde semblait gai, content d'être là, pour célébrer ce moment si important pour nous. 
Lorsque enfin nous avons franchit la porte de la salle, mon coeur a fait des bonds incroyables dans ma poitrine, sous le bustier. La petite main de Nathan dans la mienne, la musique qui ne démarre pas au bon endroit, l'adjointe au maire qui mourrait littéralement de chaud... 

Il a pris place, à mes côtés. Nous avons écouté d'une oreille le déroulement, nous avons lu nos textes, l'émotion était là. "Lorsque tu seras vieux, et que je serai vieille"... Longtemps ces mots résonneront dans ma tête, comme un refrain, presque un sacerdoce. 

Ensuite, ça m'a pris. J'ai eu envie de savoir. J'ai eu envie de voir. Ou simplement de vous voir. Et je me suis retournée. 
J'ai trouvé mes parents, un clin d'oeil de mon papa, un sourire de ma maman. 
J'y ai vu mes grands-parents, mon papi fier comme un roi, et ma mamie heureuse d'être là. 
J'y ai vu nos six témoins, tellement sincères et heureux pour nous. 
J'y ai vu mes futurs beaux parents, et les larmes dans les yeux de Joëlle. 
J'y ai vu des sourires, du soutien, du bonheur. J'y ai vu le plaisir d'être là, et de l'amour, beaucoup d'amour. 

Alors, j'ai repris le fil du texte de l'adjointe au maire, et, remplie de tout cet amour que vous aviez su me donner, j'ai dit oui, sans hésiter, sans attendre une seconde, sans même sourciller... Car oui, le bonheur reste à venir, et oui, nous avons un million, peut-être plus, de souvenirs devant... 

C'était il y a un an...

dimanche 9 juin 2013

En ce temps-là...

Le temps. 
Pas celui que l'on regarde avec inquiétude tous les matins dehors. Non. Pas le mauvais, ni le beau. Pas de pluie, ni de soleil, pas celui-ci non, n'en parlons plus. 

Le temps. Celui qui passe. Qui s'émiette. Qui s'entête. Celui qui tourne, qui déboule, qui s'écoule. Le temps, qui passe, inexorablement. Le temps et la montre, qui ne s'arrêtent jamais. Ce temps la même qui brise les cœurs et fait couler les yeux.

Mais qui guérit aussi. Le temps, à qui il faut laisser du temps. Ce temps qui panse les blessures, qui force l'oublie, qui efface les chagrins. Le temps qui nous permet de nous relever, ou de nous assoir un peu, pour ne plus y penser. Ce temps là qui nous soigne, et qui nous éloigne de nos plus grands malheurs. 

Le temps et ses chiffres encore. Soixante secondes, un an, des siècles ou neuf mois... Le temps et ses symboles, une victoire sur cent mètres, trente-cinq années de mariage, ou quatre-vingt-dix ans de vie... Les anniversaires, la pendule sur le mur du salon, le réveil, tous les matins et le bruit incessant de la trotteuse qui fuit, en marquant les secondes. 

Le temps. Qui ne passe pas. Celui qui rend impatient, nerveux. Ce temps si énervant qui s'arrête, lorsqu'on ne le veut pas, et qui se met à courir pour qu'on ne le rattrape pas. Ce temps qui se joue de nous, de nos promesses, ce temps qui nous fait croire, alors qu'il n'en est rien. Ce temps qui s'allonge, irrémédiablement, lorsqu'on attend une fin. 

Celui qui nous rend fous. Qui nous rend malades, pressés, stressés. Ce temps qui nous rend dingues, au point de ne plus savoir où on en est. Qui accélère le dimanche soir, et ralentit pendant les trajets des vacances. Ce temps qui régit nos vies, et nos humeurs, ce temps qui fait de nous ce que nous sommes finalement. 

Le temps. Celui qu'il faut pour venir à bout d'un projet. Celui qui nous autorise à s'allonger dans une baignoire et ne rien faire, pendant un certain temps. Celui qui nous pousse à pique-niquer dans l'herbe, à regarder un match de tennis, sans se soucier de savoir s'il passe ou non. Celui qui nous invite à l'arrêter, juste à temps... Ce temps-là même qui nous permet d'avoir du temps. 

Manquer de temps. Ne pas pouvoir finir à temps. Arrêter le temps. En deux temps trois mouvements... Et surtout, de temps en temps,  prendre le temps. Pour soi... Le temps d'un instant.

dimanche 26 mai 2013

26 Mai 2013

Des mots, encore des mots...
Des phrases aussi, solides, pleines de sens,
Mais muettes...
Des syllabes et des rimes, des pieds et des vers,
Des lettres...
Un texte.
Et puis des images,
L'envie d’en parler, de retrouver l’espoir,
D’y croire...
La vie,
Qu'on croque à pleines dents,
Ou qu’on insulte impunément,
La vie et l’amour
En grand...
Et le temps qui avance,
Le temps qui passe,
Qui s'attarde,
Qui nous nargue...
Ce temps qui fait peur,
Ce temps qui menace, qui agace,
Se prélasse...
Ce temps qui passe.
Et ceux qui restent
Ce temps qui passe,
Et qui dépasse
Nos points de repères,
Là.
Des mots, encore des mots,
Pour Elles.
Elles qui nous rassurent,
Elles qui nous prennent la main,
Elles qui ont ce regard
Qui nous font oublier demain.
Elles, nos mamans,
Et surtout Elle, que j’aime tant.
Des mots, encore des mots...
Des phrases, muettes et pleines de sens...
Une phrase, solide et en silence...
Deux mots, qu’on ne dit pas,
Deux mots, qu’on chuchote parfois.

Chut... Je t’aime.

samedi 11 mai 2013

Aime moi (11)

Un grand lit, en bois foncé, avec un baldaquin. Elle avait toujours aimé ces lits un peu grandiloquents, qui lui faisaient faire un tour dans ses rêves de petite fille. Sur sa droite, un petit chevet, dans les mêmes teintes, avec un réveil à l’ancienne, qu’on peut remonter. Au sol, le parquet semblait avoir un siècle d’histoires à raconter. La vieille armoire qui contenait les vêtements de Lucie avait elle aussi traversé les âges. Finalement, c’est ce qu’ils avaient aimé, lorsqu’ils y avaient passé quelques jours avec Antoine. Les histoires que racontent les vieilles choses. Là-bas, dans un coin, à côté de son sac de voyage rouge, un joli arrosoir, vert anis. En l’observant attentivement, Lucie comprit alors ce qu’elle avait à faire.
-    C’est là ! pensa-t-elle tout haut.
Elle caressa les courbes de l’objet. Elle avait toujours aimé collectionner les arrosoirs. Leurs formes rondes, parfois rebondies, l’excentricité de certains, la sobriété pour d’autres. Les arrosoirs étaient comme les gens finalement. Tous différents, mais Lucie aurait aimé pouvoir tous les rencontrer un jour. Oui, c’était là. Il comprendrait tout de suite. Plus d’hésitation possible. Elle fouilla dans son grand sac, en sortit une enveloppe. Elle l’enroula soigneusement, retira le pommeau de l’arrosoir, non sans avoir caressé au préalable son énorme réservoir, et glissa l’enveloppe dans le goulot. Elle remit la pomme d’arrosage en place et s’éloigna, le sourire aux lèvres, pour admirer son œuvre. Il devinerait. Il fallait qu’il devine. Sinon, cela ne mènerait à rien. Mais après tout, c’était ce qu’elle voulait savoir non ? Si ça valait le coup…
Ne trouvant pas le sommeil, sans doute trop excitée par ce qu’elle venait d’accomplir, Lucie décida de sortir marcher un peu, malgré la nuit, et le vent glacé qui soufflait depuis le début de soirée. Dehors, elle fit quelques pas, et s’installa près d’une mare, dans l’adorable petit jardin que proposait la maison d’hôtes. Les grenouilles s’étaient tues depuis une heure déjà, comme pour permettre aux touristes de profiter pleinement de leur sommeil.
-    Bonsoir Lucie, je peux vous aider ? fit une voix éraillée de femme.
Lucie sursauta et se retourna. Une femme d’une soixantaine d’année se tenait derrière elle, légèrement voûtée, les mains jointes comme si elle s’apprêtait à prier.
-    Bonsoir Hélène. Vous m’avez fait peur !
Hélène était la tenante de l’établissement. Elle avait passé quarante ans de sa vie à plier des draps, récupérer des objets laissés par les touristes de passage et conseiller des itinéraires plus sympathiques les uns que les autres pour les balades dans le coin. Sans oublier le petit jardin, qu’elle cultivait avec amour et passion pour les arbres, les fleurs mais aussi les animaux. Hélène aimait les chats, il y en avait des dizaines qui réclamaient chaque jour leur pitance le matin dès six heures devant la porte de sa maison. Elle aimait dire parfois qu’elle habitait avec ses invités, car son chez-elle jouxtait la maison d’hôtes, de sorte qu’en sortant de son salon, elle pouvait immédiatement entrer dans la pièce principale du bâtiment, qui contenait guides touristiques, vieux canapés, petite bouilloire et quelques vieux romans, de quoi satisfaire les touristes de passage et autres habitués. Elle avait croisé pour la première fois Lucie et Antoine en mille neuf cent… mille… elle ne savait plus très bien, en tous cas ils étaient bien jeunes, mais ils avaient tout de suite sympathisé. Hélène avait été surprise de revoir Lucie, seule, se présenter hier à l’accueil et demander la chambre Arrosoir.
-    Vous ne trouvez pas le sommeil ? Il y a d’autres oreillers sur l’armoire si vous avez besoin…
-    Non, ne vous inquiétez pas, tout est parfait comme d’habitude. J’ai juste un peu de vague à larmes…
-    On dit plutôt à l’âme non ?
-    N’est-ce pas ce que j’ai dit ?
Hélène scruta le visage de Lucie. Lorsqu’elle l’avait rencontré pour la première fois, elle l’avait trouvé très belle. Son visage encore juvénile rayonnait d’un bonheur sans limite, et d’une envie incroyable de croquer la vie à pleines dents. Aujourd’hui, son visage de jeune femme semblait déjà marqué par un vécu trop lourd à porter…
-    Il fait plutôt froid ce soir, dit-elle comme pour ne pas laisser le silence les envelopper.
-    Oui, mais j’aime toujours autant cet endroit, répondit Lucie.
-    Vous croyez qu’un jour je trouverai quelqu’un pour prendre le relai ?
-    Le relai de quoi ?
-    Je n’ai pas envie que cette maison devienne un hôtel luxueux, avec spa ou jacuzzi. Je ne veux pas que des touristes américains viennent y manger des hamburgers… J’aimerais tellement garder l’esprit, l’authenticité du lieu. C’est toute ma vie ici, je n’ai connu rien d’autre, et je n’ai pas d’enfants pour le transmettre.
A ces mots, la voix d’Hélène se brisa. Comment une femme aussi magnifique n’avait-elle pas pu trouver d’homme pour lui faire de beaux enfants et transmettre son amour des belles choses ?
-    Hélène, vous trouverez. Il y a encore des gens sur terre qui aime la vie telle qu’elle est : toute simple et pleine de petits bonheurs. Je vous le promets.
-    Où est Antoine, Lucie ?
« On y arrive », pensa Lucie. Au loin, une chouette s’envola dans un hululement strident. Le vacarme produit, qui venait de déchirer le silence fit frissonner Lucie. Dans sa tête, elle posa bien ses mots, construisit sa phrase, pour ne pas se tromper. Puis, elle dit :
-    J’espère qu’il repassera, par ici, très bientôt… Mais surtout, surtout ne lui dites pas que je suis venue. Je peux compter sur vous ?
-    Motus, et bouche cousue.
Comme pour accompagner ses propres paroles, Hélène fit un trait invisible sur ses lèvres. Malgré l’âge qui marquait son visage, Lucie y trouva complicité, facétie et surtout, beaucoup d’humanité. Elles discutèrent encore, une bonne heure, de la vie qui allait et venait, de ces hommes politiques qu’elles ne comprenaient pas, de la brocante sur la place du village le lendemain, de la mer, des envies de voyage, et du temps qui passe. Rassérénée, Lucie remercia Hélène, la salua, et retourna dans sa chambre, où le sommeil l’emporta vers des contrées inattendues et nostalgiques.

[Fin du chapitre... Et de la publication...]

lundi 6 mai 2013

Celui qu'on ne doit jamais déplacer...

 Petite pause dans mon roman, et en attendant, petit texte sympa, léger, comme je les aime... :)
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Au commencement, on n'y prête pas attention. Il y en a plein, alors c'est normal, et puis ce n'est que le début... L'euphorie des premiers moments est là, on trouve tout formidable, même si on trébuche dessus, on trouve tout génial même si c'est un énorme chantier. 
Et puis, petit à petit, tout se range, tout s'organise. On devient plus efficace, moins rêveurs. Lui, il est posé là, à côté du bureau, ça nous énerve un peu, on voudrait lui trouver un place, mais on laisse passer. Quand on donne un coup de pied dedans, ça fait très mal, on jure, mais on ne dit surtout rien, pour ne pas gâcher ces moments si tendres, ces premiers moments si intenses, dans le premier appartement à deux.

Mais un jour, c'est la fois de trop. Il prend des proportions gigantesques. On ne voit plus que lui. La chambre semble envahie elle seule par cet unique et énorme carton. La vie ne tourne plus qu'autour de lui. On pense carton, on dort carton, on rêve carton... Alors on prend son courage à deux mains, et on tente de le déplacer. On y arrive, il trouve une place contre le radiateur. Une certaine satisfaction se fait ressentir. Puis la douleur, un mal de dos terrible, et un arrêt de travail pour un carton...

Le temps passe, les mois, le carton reste là. Il devient l'objet de disputes récurrentes. Sera-t-il un jour trié ? Rangé avec les autres ? Jeté ? On s'agace, on s'énerve. Le carton est là, près du radiateur, il gêne quand on passe l'aspirateur, il gêne quand on voudrait ranger autre chose à sa place, il gêne même quand on regarde seulement dans sa direction... Mais on n'ose plus le déplacer à nouveau, la douleur dans le bas du dos est un souvenir trop douloureux. Alors on bouillonne, souvent on extériorise. L'idylle du début devient petit à petit un enfer quotidien. L'enfer du carton plein, l'enfer du carton qui traîne et qui ne sera jamais vidé... On craque, on pleure, on crise. On se promet. On se promet un tri, un changement. On se promet promet des efforts. On se promet ce que l'un comme l'autre on voudrait entendre.... La vie reprend son cours normal.

Et le carton est toujours là, bien ancré sur le plancher, inébranlable. On le regarde et on sourit. L'appartement en lui-même semble emplit de soleil. Pourtant dehors, il pleut. Les petits détails qui nous rendaient dingue deviennent des raisons de se réjouir. C'est comme si tout était harmonie, calme, sérénité. On s'y sent bien dans cet appartement. On s'y sent chez-soi... 

Et si ? Et si un jour il nous prenait l'envie de trier ce carton ? Et si un jour, on entrait dans l'appartement, sans retrouver ce tas de cours devant le radiateur ? Et si un jour, le carton était déplacé ? Rangé ? Caché ?
Peut-être qu'il y aurait comme un soulagement... Mais ce serait alors un grand bouleversement !

samedi 27 avril 2013

Aime moi (10)

Deux tours de clé. Les volets ouverts. L’appartement silencieux. Mathéo soupira, posa son sac de sport sous le petit meuble de l’entrée, et se dirigea vers son frigo. Vide. Comme l’appartement. Comme sa tête. Comme sa vie. Ou presque. Il avait Olivier. Olivier qui ne le lâchait jamais. Qui était toujours là, qui le secouait, qui le rappelait à la vie. Qui lui donnait envie de se lever le matin. Avec qui il avait eu cette histoire un peu bizarre, mais qui ne les avait pas séparés. Au contraire. Olivier. Un pote comme on n’en rencontre peu.
-    Merde mon téléphone !
Mathéo se précipita sur l’appareil qui clignotait rapidement. Trois appels manqués. Fébrilement, il consulta la liste. Deux numéros cachés, Et un qu’il ne connaissait que trop bien. Il soupira. Pas de message sur le répondeur. Il hésita longuement, avant d’appuyer sur la touche de rappel.
-    Bonjour Sophie…
-    Bonjour mon grand, comment vas-tu ? Je viens aux nouvelles puisque tu ne m’en donne jamais !
-    Je vais bien. Je suis en vacances actuellement. Et là je rentre d’une petite session de grimpe avec Olivier.
-    …
-    Quoi ?
-    Non, rien,  je m’attendais à un : «  et toi comment vas-tu ? » !
-    Sophie ne me force pas, tu as déjà bien de la chance que je te rappelle !
-    De la chance ? Si c’est pour que tu fasses ta tête de mule, ce n’était pas forcément nécessaire !
-    Si c’est pour qu’on se fâche une fois de plus, je raccroche. A bientôt Sophie, porte-toi bien !
De rage, Mathéo jeta son téléphone à travers la pièce. Il détestait cette femme. Pourtant, c’était la seule famille qui lui restait. La seule ? Non, il y avait Elsa, quelque part. Elsa qui lui avait été arraché, à cause de Sophie. Elsa et son beau regard bleu, ses yeux innocent, son sourire de petite fille. Il prit la photo sur la table du salon entre les mains.
-    Je te retrouverai, je te retrouverai...
Avant qu’il ait le temps de s’inquiéter de cette nouvelle crise de folie, son téléphone sonna à nouveau. Chassant l’envie de le jeter par la fenêtre d’un revers de la main, Mathéo souffla profondément et décrocha.
-    Mathéo Milera, j’écoute ?
-    Vous êtes bien monsieur Milera ? demanda une voix féminine.
-    Oui, c’est moi-même, je viens de me présenter. A qui ai-je l’honneur ?
-    Mathéo ?
-    C’est moi ! Que voulez-vous ? s’emporta le jeune homme.
Sa mystérieuse interlocutrice avait déjà raccroché.
-    Merde !
Fou d’une rage presque incontrôlable, Mathéo lança violemment son téléphone contre le mur, qui explosa en une multitude de petites pièces. Il enfuit quelques secondes sa tête dans ses mains.  Puis, il reprit son calme, farfouilla dans son bureau, retrouve son ancien téléphone, récupéra la carte Sim à terre et la glissa à l’intérieur. Il appuya sur le bouton marche et le posa soigneusement sur le petit meuble de l’entrée.
-    Et un de plus, pensa-t-il tout haut.
Qui était donc cette appelante anonyme ? Immédiatement, il pensa à la jeune fille du train. Son cœur se mit à battre plus vite, et il se rendit compte qu’il transpirait. Mais très vite, sa raison lui revint. Il n’avait jamais donné son nom, ni son numéro. Et comme pour étayer son constat, il déplia la serviette en papier, et enregistra le numéro noté, d’une main maladroite. En guise de nom, et puisque sa mémoire lui faisait défaut, il entra « la fille du train ».
Puis il alla se coucher, tout habillé et enfouit sa tête dans son oreiller.

A des kilomètres de là, Bastien, les yeux rivés sur son écran, apprenait l’accident de son frère Antoine, et le coma dans lequel il se trouvait à présent. Comme pour se rassurer, il caressa longuement le ventre de sa femme, Lisa, qui attendait depuis peu un heureux évènement.
- Si tu es d’accord, il sera le parrain…
Lisa jugea bon de ne rien ajouter. Le silence entre eux exprimait à lui seul toute la peine qui régnait dans leur appartement.

Le silence était aussi éloquent dans la chambre d’hôtes que Lucie occupait depuis son départ de chez Antoine. Avait-elle fait le bon choix ? Les questions se bousculaient dans sa tête, et elle l’avait imaginé cent fois lire sa lettre. Aurait-il le courage de faire ce qu’elle lui avait demandé ? Pourquoi fallait-il que tout soit toujours compliqué pour elle ? Couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, elle fit l’inventaire de ce qui l’entourait.

[A suivre...]

samedi 20 avril 2013

Aime moi (9)

-    Merde, j’ai pas pris mon téléphone ! râla Mathéo après dix minutes de route.
-    Hein ?
Olivier baissa le son. Mathéo répéta.
-    Tu es obligé d’être vulgaire ? Tu fais ça aussi à l’école ?
-    Alors déjà je parle comme je veux, ensuite tu n’es pas venu pour me faire la morale mais pour qu’on grimpe ensembles et enfin je ne sais pas si je dois faire demi tour ou pas…
-    Tu attends un appel ?
-    Non. Sûrement pas pendant les vacances.
-    Alors pourquoi tu doutes ?
-    On va vraiment se disputer comme un vieux couple tout le long du trajet ou tu as quand même envie de passer une bonne journée ?
A nouveau, le silence s’installa entre les deux hommes. Mathéo ne comprenait pas lui-même sa mauvaise humeur. Sans doute la conséquence d’un sommeil trop peu réparateur. Il se força à se concentrer sur le paysage. Peu à peu, la forêt s’effaçait pour laisser place à la roche et les falaises. Rapidement, presque irrémédiablement, il se sentit apaisé. La montagne lui avait toujours fait cet effet. C’est pour cela que presque tout naturellement il s’était mis à l’escalade il y a cinq ans de cela. Il avait rencontré Olivier dans le club où il s’était inscrit, et ils s’étaient rapidement liés d’une amitié forte et sincère. Olivier supportait les coups de sang de son ami sans broncher, tandis que Mathéo acceptait l’hyperactivité d’Olivier sans ciller. « Le couple idéal », pensa-t-il en ricanant.

-    Prend le bac au-dessus de toi, ça a l’air de bien tenir !
En bas de la voie, Olivier devait hurler pour se faire entendre. Le vent soufflait fort, mais l’escalade avait adouci l’atmosphère entre les deux amis. Olivier savait très bien pourquoi son ami se comportait parfois ainsi. Sa mauvaise humeur récurrente n’était pas un mystère pour lui. Mais il refusait de le laisser aller à sa déprime, et le secouait fréquemment afin qu’il aille de l’avant. « Un jour il me remerciera » se prenait-il à penser parfois. Voyant Mathéo en difficulté, Olivier tendit la corde d’un coup sec pour lui éviter une chute trop violente. Mathéo chuta, sur quelques mètres, et le prénom qu’il cria ne parvint malgré le vent jusqu’aux oreilles d’Olivier.
-    Ca va ? s’enquit ce dernier.
-    Oué, j’ai un peu flippé c’est tout. Je repars !
-    Ok !
« Elsa ». Il avait crié « Elsa ». Olivier songea alors que Mathéo était loin, très loin d’être guéri de sa tristesse, et que la route était encore longue sur le chemin du bonheur.

Les deux amis ne dirent mot dans la voiture au retour. Non contents de leurs performances, ils n’en étaient pas moins épuisés. Olivier, qui avait pris le volant, alluma la radio.
… circulation. On nous apprend qu’un grave accident a eu lieu sur la nationale 42, à hauteur du bois de la Volière. Le choc frontal impliquait deux véhicules, et parmi les victimes, un des chauffeurs est grièvement blessé et a été transféré à l’hôpital de la Charité. Et toute suite, le sport avec…
-    Pourquoi tu éteins ? demanda Mathéo, de façon presque agressive.
-    Je déteste allumer la radio et tomber sur une info comme ça, ça me fout le bourdon, et j’ai toujours l’impression que c’est un mauvais présage.
-    T’es timbré toi !
Olivier sourit, et n’osa pas rétorquer que des deux, il n’était certainement pas le plus atteint.
-    On remet ça demain ? préféra-t-il demander pour changer de sujet.
-    Non demain j’ai un rendez-vous chez le dentiste, j’ai un sacré mal de dents depuis quelques jours…
Au ton que Mathéo avait employé, Olivier sut tout de suite que son ami lui mentait. Il préféra ne pas relever, et se gara devant l’immeuble.
- Tu veux monter ? interrogea Mathéo, sans grande conviction.
- Non je vais te laisser tranquille, on se voit jeudi alors ?
- Va pour jeudi ! Merci pour la journée, c’était top !
Ils se serrèrent chaleureusement la main et se prirent dans les bras. Ils avaient pris l’habitude d’agir ainsi à chaque fois qu’ils se séparaient, depuis le jour où Olivier avait subit une opération lourde, il y a trois années de cela.
 
[ A suivre...]

dimanche 14 avril 2013

Prix Don Quichotte

Ce concours de nouvelles ouvre à nouveau ses portes cette année, et le sujet sera :
"Passage (s)"

Un nouveau défi d'écriture dans lequel je me lance volontiers ! Pour des raisons liées au règlement de ce concours, je vais retirer le texte : "Randonnée mortelle" de ce blog, afin de pouvoir m'en servir en toute liberté pour écrire ma nouvelle. 

Par ailleurs, la publication d'"Aime moi" va ralentir quelque peu, afin de me laisser plus de temps d'écriture libre. 

Merci, chers lecteurs, de votre compréhension et de votre soutien ! A très vite !

Aime moi (8)

On frappa à la porte. Mathéo s’éveilla en sursaut. Il entendit hurler :
-    Qu’est-ce que tu fous, il est neuf heures !
Hein ? Quoi ? Neuf heures ? Ah non, c’est vrai, ce sont les vacances. C’est sans doute Olivier pour aller grimper. Mathéo ne prit pas la peine d’enfiler un t-shirt, se leva précipitamment et alla ouvrir à son ami.
-    Pas trop tôt ! Quelle mauvaise mine ! T’as bu ou quoi ?
-    Olivier, il faudra que tu m’expliques un jour comment tu fais pour être branché sur cent milles volts dès le matin… Non je n’ai pas bu, et oui j’ai mauvaise mine car j’ai passé une drôle de nuit. Entre, tu vas prendre un café en m’attendant, comme tu peux l’imaginer je suis loin d’être prêt.
Non sans faire une ultime remarque quelque peu désobligeante, Olivier suivit son ami à l’intérieur de l’appartement. Ca sentait le renfermé. Depuis combien de temps Mathéo n’avait-il pas aéré ? Il fit rapidement le tour de la pièce, et d’un regard il repéra les chaussettes sales, le bol de pâtes à moitié vide, les copies étalées par terre et les mouchoirs utilisés.
-    Ca te dérange si j’ouvre un peu ?
-    Fais comme chez toi ! hurla Mathéo. Et ne me parle plus, j’entends rien sous la douche !
-    Et mon café ?
Comme aucune réponse ne vint à ses oreilles, Olivier ouvrit les rideaux et la fenêtre en grand. Quelle idée de vivre cloîtré comme ça ! Surtout quand on aime le grand air comme Mathéo. Olivier avait parfois bien du mal à comprendre son ami. Un peu maniaque, il entreprit de jeter les déchets qui envahissaient le sol et la table basse. Son regard fut alors attiré par une serviette chiffonnée. Il pouvait distinguer nettement les dix chiffres, ces fameux chiffres qui permettent de se joindre un peu partout et n’importe quand. Il sourit et reposa la serviette au même endroit sur la table.
-    Tu as fait du café ?
Olivier sursauta en entendant la voix toute proche de Mathéo. Il se retourna pour voir celui-ci en train de s’essuyer les cheveux à l’aide d’une grande serviette bleue.
-    Bah quoi ? Tu as fait une bêtise ? Il est trop fort ? insista Mathéo.
-    Non, je n’ai pas eu le temps d’en faire, je rangeais ton petit bordel, pardonne moi l’expression. Et si ça ne te dérange pas, j’aimerais bien que tu mettes un slip.
Mathéo haussa les épaules et pris la direction de sa chambre. Pendant ce temps, Olivier s’attela à faire du café dans la cafetière italienne de son ami. Elle était si vieille qu’il se prit à penser aux innombrables anecdotes qu’elle raconterait si elle pouvait parler.
-    Tu as fait des rencontres récemment ? ne put s’empêcher de demander Olivier.
-    Rien d’extraordinaire pourquoi ? interrogea Mathéo qui avait enfilé un jean.
Son torse nu laissait entrevoir un tatouage juste au dessus de sa hanche.
-    Rien, il y a un numéro qui traîne sur ta table. Parmi tant d’autres choses tu me diras !
-    Ah oui, c’est une fille que j’ai vu dans le train. Je ne sais même pas pourquoi je lui ai demandé son téléphone.
La réponse plutôt sèche de Mathéo déconcerta Olivier qui préféra ne rien ajouter. Il prit deux tasses propres dans les placards de la cuisine de son ami et amena le café dans le salon.
-    Bon, qu’est ce qu’on se fait aujourd’hui ? demanda Mathéo.
-    On pourrait aller au rocher du Lion, il n’a pas trop plu ces derniers temps, ça devrait être sec. On pourrait tenter la Solitude, en 7a si ça te branche. Il y a deux relais.
-    Je pense que niveau solitude je donne assez bien, mais tu me diras, un peu plus ou un peu moins…
-    Hé ! C’est toi qui le veut bien Mathéo, n’essaye pas de m’apitoyer, c’est toi qui décide de ta vie, pas les autres !
-    Ne te fâche pas, je faisais un peu d’humour noir, c’est tout. Bon, je suis prêt, on y va ?
A ces mots, Mathéo se leva, empoigna le sac qui traînait dans l’entrée, pris les clés de sa voiture. Olivier le suivit en silence, alluma la radio, trop fort pour permettre toute discussion. Et ce n’était sans doute pas un hasard.

[A suivre...]

lundi 8 avril 2013

Aime moi (7)

 2

Deux tours de clé. Les volets fermés. L’appartement silencieux. Mathéo soupira, posa son sac sur le petit meuble de l’entrée, et se dirigea vers son frigo. Vide. Comme l’appartement. Comme sa tête. Comme sa vie.
Un paquet de pâte, l’eau qu’on met à bouillir, la télé qu’on allume. Le bruit de fond qui rassure, le robinet qui fuit et qui agace… Les mêmes pas, au même endroit, aux mêmes moments. Les mêmes gestes, dénués de sens. Et pas un mot à prononcer. A personne.
Sur la petite table du salon, une photo qui traine. Une fillette tend la main vers le ciel, sans doute pour attraper un quelconque insecte. Le ciel est bleu, la prise est idyllique, trop belle pour être réelle. Un peu comme un flash, sur un instant de bonheur trop vite effacé. Pas la peine d’ouvrir ces foutus volets, ils protègent au moins du bruit de la rue.
Mathéo s’affala dans le canapé, le bol de coquillettes au beurre bien calé entre ces jambes. Il repensa à sa journée, à sa jolie rencontre avec cette fille. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Julie ? « T’es vraiment un gros débile, tu croises une fille magnifique et tu ne retiens même pas son prénom ! ». Il extirpa péniblement la serviette en papier de son jean trop serré.
-    Il faudra que je pense à faire du shopping un de ces quatre ! dit-il tout haut comme pour palier l’angoisse qui le prenait subitement.
Il manipula nerveusement son téléphone, tapa les premiers chiffres, effaça, recommença l’opération à maintes reprises. Finalement il abandonna. A quoi bon, cette fille là devait sans doute rejoindre son fiancé, sans doute un musicien bellâtre qui ne séduit que parce qu’il est bon au piano ou une guitare entre les mains. D’un autre côté, il avait aimé la musique qu’elle lui avait fait écouter. Il essaya de se rappeler de la mélodie, et chanta distraitement l’air.
-    Tu deviens dingue mon pauvre Mathéo !
Pour se ressaisir, il prit son sac, l’ouvrit et en sortit un paquet de copies de ses élèves de CE2, réalisée la semaine avant les vacances scolaires. L’enseignement. Finalement c’était peut-être ça qui l’avait sauvé. Le plaisir de transmettre, de voir cette lumière qui s’allumait parfois dans le regard des enfants. Ce bonheur qu’il avait chaque matin quand il pénétrait dans sa classe et observait les murs couverts des productions de ses élèves. Il aimait son métier, passionnément, sans doute la seule chose qu’il savait aimer finalement. Du haut de ses 25 ans, il était encore jeune dans la profession, aussi il s’était retrouvé dans une école de village, à une heure de train de chez lui. Mais peu lui importait. Ces voyages lui permettaient de préparer sa classe à l’aller, et de décompresser au retour. Parfois, il écrivait. Parfois il lisait. Parfois il observait simplement les autres passagers. Lorsqu’il passait le portail de l’école, il se ressentait toujours cette petite fierté. Son métier l’équilibrait, lui rendait un peu de la raison qu’il perdait au fur et à mesure du temps qui passe.
Il se plongea dans la première rédaction du tas de copies : « à ton tour, écris un conte à la manière de cet auteur ». Chloé avait relativement bien travaillé, la structure était respectée, l’orthographe avait été corrigée au fur et à mesure de la réécriture. Le texte manquait un peu de piment, de magie, mais Mathéo gratifia son travail d’un B+ prometteur. Lorsqu’il commença la lecture de la copie de Maxime, son regard se fixa longuement sur la première phrase : « Les contes de fées n’existent pas ».
-    Tu ne crois pas si bien dire mon bonhomme ! ne put s’empêcher de s’exclamer Mathéo.
Soudain, il se sentit désarmé. Accablé même. Une profonde et terrible tristesse l’envahit, sans crier gare. Il ne put corriger la suite. Il s’allongea sur le canapé, et pleura. Le visage de la fillette sur la photo restait rayonnant, insouciant, à milles lieues d’imaginer le chagrin qui régnait dans la pièce. Puis, doucement, presque imperceptiblement, Mathéo s’endormit, ignorant son téléphone qui clignotait silencieusement, annonçant la venue d’un message.

[...]

lundi 1 avril 2013

Aime moi (6)

Lucie s’éloigna pour rappeler sa sœur. Elle n’osait pas avouer à Antoine que sa réaction était surtout due au fait qu’elle espérait découvrir qui était son mystérieux interlocuteur. Quel intérêt peut-on bien trouver à appeler quelqu’un sans dire un mot ? Entendre le son de sa voix ? Elle n’avait aucun prétendant susceptible de commettre une telle absurdité. A part Antoine bien sûr ! Elle sourit en se faisant cette remarque et composa le numéro de sa petite sœur.
-    Marie ? C’est Lucie…
-    Tu pourrais décrocher quand je t’appelle !
-    Excuse-moi… Comment vas-tu ?
-  Plutôt bien, écoute, je n’ai pas beaucoup de temps, mais j’ai quelque chose de très important à t’annoncer.
-    Tu es enceinte ?
-    Tu as fini d’être sarcastique ?
-    Désolée, je me suis levée du pied gauche…

Antoine observait Lucie. Il ne la quittait pas des yeux. Il analysait ses moindres faits et gestes. Il la dévorait du regard. Il savait qu’il fallait qu’il en profite. Dans quelques heures, elle l’embrasserait sur les deux joues, elle lui tirerait la langue et entrerait dans son train avec son sac de voyage rouge. Et l’intégralité de ses affaires. Antoine avait compris qu’elle partait, car il avait vu tout ce qu’elle avait emmené. Il la connaissait par cœur, et elle n’avait pas emmené tous ses livres seulement pour un week-end. Et puis il y avait ce carnet, son carnet de notes qu’elle ne transportait que pour les grandes occasions. Soudain, Antoine remarqua l’agitation de Lucie. Il s’approcha un peu, pour saisir la conversation : « Il t’a demandé quand ? … Vous avez bien réfléchi ? … Je ne peux rien te garantir… Allo ? Je ne t’entends plus… Marie ? »

Lucie raccrocha, et s’assit sur le premier objet à sa portée. Elle regarda Antoine, qui l’interrogeait du regard.
-    Ma sœur se mari…
-    Félicitations !
-    Tu me prends pour une bille ? Elle est plus jeune que moi !
-    Et alors ? Elle fait peut être les choses dans l’ordre elle…
Immédiatement, Antoine regretta ses paroles. La colère de Lucie ne se fit pas attendre. Elle était tellement impulsive. Et tellement belle lorsqu’elle était fâchée… Antoine ne cessa de l’admirer, malgré les remontrances, malgré le déluge de reproches… Qu’importe après tout, elle allait partir, ce serait la fin d’une histoire, la fin d’une petite parenthèse dans sa petite vie bien trop inutile pour avoir un réel sens. Alors oui, qu’elle s’énerve après lui, qu’elle le gronde, qu’elle le réprimande, après tout, cela n’avait aucune importance… Pourvu qu’elle soit là, qu’il puisse la regarder, l’entendre et l’aimer, en silence.

Finalement, Lucie était partie. A l’heure prévue. Dans le train prévu. Elle l’avait longuement embrassé sur le quai de la gare. Elle lui avait tiré la langue. Mais elle n’avait dit mots. Elle ne lui avait pas précisé qu’elle ne reviendrait pas de ce long voyage. Elle n’avait eu le courage de lui dire que cet au revoir ne signifiait qu’un adieu. En rentrant, il trouverait la lettre. En rentrant, il comprendrait, peut-être…

Sur le chemin du retour, Antoine serrait les mains sur son volant si fort qu’il commençait à avoir mal. Qu’importe la douleur physique, puisqu’à présent plus rien n’avait de sens. Elle n’avait pas eu le courage de lui dire « à tout jamais ». Pourquoi l’avait-elle revu ? Elle n’avait répondu à aucune de ses questions, pourtant elle l’avait promis… Des larmes plein les yeux, des pensées plein la tête, lorsqu’il passa la ligne blanche continue, il ne s’en rendit même pas compte… Et lorsque la voiture d’en face le heurta de plein fouet, il ressentit d’abord la douleur, puis son esprit s’apaisa, pour quelques heures, il sombra…

[Fin du chapitre...]

mardi 26 mars 2013

Aime moi (5)

Au petit matin, Lucie fut réveillée en sursaut par son téléphone. Elle constata déçue que la place à côté d’elle était vide, Antoine était sans doute allé déjeuner. Lorsqu’elle parvint à mettre la main sur son mobile, celui-ci cessa immédiatement son vacarme. Elle rappela.
-    Allo ?
A nouveau l’interlocuteur ne répondit pas. Prise d’une soudaine angoisse, elle posa son visage dans le creux de son oreiller. C’était aujourd’hui. Aujourd’hui ou jamais. Depuis le temps qu’elle se préparait pourquoi soudain toute envie avait disparue ? Pourquoi cette peur sournoise qui lui torturait le ventre ?
-    Lucie, ça va ?
Antoine, penché au dessus du lit était déjà habillé. Elle l’admirait et le craignait. Saura-t-il être à la hauteur ? Pourra-t-il déjouer le piège dans lequel elle s’était enfermée ?
-    Lucie, répond-moi, tu pleures ?
Sa voix était tendre, son regard était doux, et elle allait être dure. Dure comme jamais elle n’avait été, si c’était encore possible.
-    Ca va… Il fait beau ?
-    Oui ! On va pouvoir profiter un peu de la piscine si tu veux !
-    Tu n’as donc vraiment pas changé ?
-    Et pourquoi l’aurais-je fait ?
Lucie estima qu’il n’était pas nécessaire de lui répondre. Elle désirait Antoine, Antoine l’artiste, Antoine le sportif, Antoine et ses phrases qui ne servent à rien…
-    Tu viens ?
-    Je vais d’abord m’habiller si tu me le permets…
-    Pardon…
Antoine quitta la pièce, mi déçu mi intrigué. Il n’y avait que Lucie pour être aussi pudique le lendemain d’une nuit d’amour.  Des femmes, il en avait vu d’autres. Il avait touché des corps après le départ de Lucie, il avait tenté de se reconstruire une autre vie… Mais la vie n’était rien sans elle, sans ses jolies boucles brunes qui tombent sur ses épaules, son regard torturé et leur bonheur si simple lorsqu’ils sont ensembles. Il resta quelques temps devant la chambre, et, curieux de ne rien entendre, il poussa légèrement la porte. Il pu distinguer la silhouette de Lucie, nue, penchée sur son sac rouge. Il scruta un peu plus la chambre, et compris alors qu’elle était revenue pour mieux repartir. Il referma précautionneusement la porte, et monta les yeux débordants de larmes dans le salon où il s’écroula sur le canapé.

Lucie boucla son sac, puis s’habilla. Elle souligna ses yeux d’un trait noir puis glissa une enveloppe sous l’oreiller d’Antoine. Elle hésita quelques secondes, retira l’enveloppe, puis la remis. Prise d’une bouffée d’angoisse soudaine, elle se boucha les oreilles et ferma ses yeux. Puis, inspirant profondément, elle se décida à rejoindre Antoine. 

Sur la table du petit déjeuner, il y avait toujours cette étrange cuillère qui tient toute seule dans le pot de confiture, deux sets de table, deux bols et un petit pot de lait à l’ancienne… Antoine l’attendait, il tournait lentement son café.
-    Bien dormi alors ? demande Lucie d’un ton qui se voulait enjoué.
-    On fait aller…
- Où sont tes parents ?
- Partis chercher le pain...
Antoine tripotait nerveusement son morceau de sucre avant de le jeter dans son café.
-    Si je t’avais demandé en mariage, tu m’aurais épousé ? lâcha-t’il.
Lucie manqua de s’étouffer avec sa tartine.
-    Je te demande pardon ?
-    Tu as très bien compris ce que je t’ai dit Lucie.
Antoine scrutait son visage comme s’il espérait trouver les réponses à toutes ses questions. Lucie finit par se sentir gênée par ce soudain silence. Et s’il comprenait avant l’heure ? S’il décidait de l’empêcher de partir ? Et s’il était assez fou pour la suivre dans son aventure ? Alors tous ses plans tomberaient à l’eau, tout ce qu’elle avait construit deviendrait caduc et le tout petit équilibre qu’elle avait mis en place redeviendrait instable.
-    Lucie ?
-    Oui ?
-    Tu ne m’as pas répondu.
-    Tu m’as demandé en mariage ?
-    Non.
-    Alors la question ne se pose pas.
Antoine marqua une pause. Etait-ce le moment ?
-    Je n’aurais donc jamais l’occasion de t’épouser ?
-    Antoine, ça suffit !
Lucie se leva de table, et se dirigea vers la fenêtre. Elle croise les bras, autour de son ventre, si fort qu’on aurait pu croire qu’elle avait froid.
-    Je te demande pardon, dit Antoine en la serrant à la taille.
Il fut parcouru d’un frisson lorsqu’il sentit les mains de Lucie délicatement pousser les siennes. Il ne s’était pas trompé. Elle allait vraiment repartir, sans laisser d’adresse. Son cœur s’emballa, mais il s’interdit tout commentaire. C’était le choix de Lucie. S’il devait souffrir, il souffrirait, pourvu qu’elle soit heureuse.
-    Merde !
Lucie interrompit la torpeur dans laquelle ils étaient tous deux plongés lorsqu’elle entendit son téléphone sonner. Elle couru dans les escaliers pour le récupérer dans la petite chambre, et manqua de s’écrouler sur le paillasson. La sonnerie se tût, et Lucie remonta, le téléphone en main, l’air bougon.
-    Pff, c’est ma sœur…
-    Tu as l’air ravie… Comment va-t-elle ?
-    A vrai dire, je ne sais pas trop…
-    Comment ça ? s’enquit Antoine.
-    Elle est partie vivre dans le sud, il y a deux ans et demi. Je n’ai pas eu beaucoup de nouvelles. Je sais qu’elle fait une école là-bas. Mais je ne pourrai pas te dire laquelle. Je sais aussi que c’est devenu une véritable petite peste prétentieuse et hautaine…
-    Quel magnifique portrait ! Je suis quand même étonné par ce que tu me dis, vous qui étiez si proches !
-    Nous aussi, nous étions très proches Antoine…
Il ne prit pas la peine de répondre. En lui, tout fondait. Son âme dégoulinait. C’était comme si un four à chaleur tournante s’occupait de ses organes les uns après les autres. Tout se détruisait, à petit feu. Il était le plus malheureux des hommes, et pourtant s’interdisait de le montrer à celle qu’il aimait tant. Pourquoi parlait-elle au passé ? Qu’est-ce qui avait changé entre eux ? Pourquoi la vie est elle si désagréable quand on est loin de ceux qu’on aime ?

[A suivre...]

jeudi 21 mars 2013

Aime moi (4)

-    Enfin seuls… dit-elle dans un soupir de soulagement.
-    C’est toi qui voulait venir chez moi… répondit Antoine sur la défensive.
-    Je ne te reproche rien, j’aime beaucoup tes parents tu le sais… Mais ça fait plaisir aussi de se retrouver seule avec toi. Après tout ce temps…
La voix de Lucie s’étrangla. Elle n’osa pas croiser le regard d’Antoine, de peur peut-être d’y trouver des reproches.  Pour couper court à cette angoisse soudaine, Antoine mit un cd de Jean Ferrat dans sa chaîne Hifi, et les premières notes de  Que serais-je sans toi  envahirent la pièce.
-    Tu joues encore ? demanda Lucie comme pour sortir de son silence.
-    Je compose deux fois plus depuis que tu es partie…
-    Alors je m’en vais…
Le sourire aux lèvres, elle fit mine de s’éloigner. Il l’attrapa par les hanches, la souleva et la fit retomber sur le lit. Ils éclatèrent tout deux de rire, et se regardèrent avec toute la tendresse qu’ils se portaient l’un et l’autre.
-    Joue pour moi s’il te plait… lui demanda-t-elle en essuyant les larmes au coin de ses yeux.
-    Bon alors je coupe Ferrat, j’espère qu’il ne m’en voudra pas…
Antoine chercha la télécommande, puis sa guitare. Il s’installa en face de Lucie, en tailleur sur le lit. Il chercha son regard et se plongea dedans. Quelques accords, deux trois arpèges, il se mit à chanter. Lucie ferma les yeux, et se laisser porter par les douces paroles de son ami.
Une petite douleur au fond de mon cœur
Juste là cachée,
Futile mais réelle,
Belle mais inutile,
Secrète…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Pas de larmes, pas de cris,
Juste un sourire qui faiblit,
Mais l’espoir,
Encore…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une blessure, petite torture,
De l’amour sans doute,
Beaucoup d’amour,
Si fort…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une absence si grande,
Une attente fidèle,
Un besoin d’elle,
Immense…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Juste là, inutile,
Réelle,
Futile,
Secrète, mais vraie…
La chanson se termina sur un accord mineur. Le silence s’installa entre les deux anciens amants. Alors Lucie décida qu’il était temps.
-    Je sais que j’ai eu tort…
-    Et si on faisait comme si de rien n’était ?
-    Tu es toujours aussi peu courageux Antoine. Et pourtant… Pourtant tu es artiste, tu sais prendre en photo la lumière, tu sais jouer de la musique à merveille, tu es champion de natation… De quoi as-tu peur ? Qu’est-ce qui te pousse encore à rester chez toi à vingt-trois ans ? Pourquoi m’as-tu attendu ?
-    Ca ne t’est jamais venu à l’idée que je puisse t’aimer plus fort que tout ? Que mes passions devant ton amour, c’est de la rigolade ? Que mon seul et unique rêve était de passer ma vie entière avec toi ?
-    On avait 15 ans Antoine…
-    Tu m’as aimé ? Tu m’aimes encore ou pas ?
Le cœur d’Antoine s’affolait. Il ne fallait surtout pas la blesser, elle avait l’air d’un petit ange trop fragile pour ces mots là. Surtout, surtout ne pas se disputer…
-    Quand ma mère est décédée à son tour, j’ai pensé que plus jamais je ne saurais aimer. Alors je suis partie.
-    Et qu’as-tu fais pendant ces trois ans ?
-    Je te promets que tu le sauras.
-    Et pourquoi es-tu revenue ? demande Antoine.
-    Parce qu’il fallait que tu comprennes… répondit Lucie.
Antoine était loin d’être satisfait de ces réponses. Mais à quoi bon insister ? Lucie avait toujours aimé garder une part de mystère, c’était ainsi qu’elle avait su le séduire. Il prit à nouveau la télécommande et ralluma sa chaîne.
-    Voici mes toutes dernières compos au piano. Tu es la première à les entendre…
Les notes de musique envahirent à nouveau la chambre. Allongés l’un en face de l’autre, ils se regardèrent longuement. Puis Antoine déposa un baiser sur les lèvres de Lucie. Comme elle ne bougea pas, il lui glissa à l’oreille quelques mots doux, caressa sa nuque, ses joues… Lucie lui rendit ses caresses, ses baisers… Ils firent l’amour, lumière éteinte, en silence, les visages humides des larmes qui coulaient sans contrôle. Lorsque quelques heures plus tard ils s’endormirent, blottis l’un contre l’autre, Antoine glissa un dernier mot à l’oreille de Lucie : « pourquoi ? ».

[A suivre...]

dimanche 17 mars 2013

Aime moi (3)

Antoine s’excusa. Antoine bredouilla. Antoine manqua de trébucher dans l’escalier en sortant du bâtiment. Parce qu’il la regardait. Elle était tellement belle ! Il se demanda à plusieurs reprises où il avait bien pu dénicher une telle déesse. Il lui prit son sac, d’autorité. Toujours le même, « rouge comme notre amour » disait-elle. Aujourd’hui le sac avait un peu vieillit, un peu déteint.
-    C’est une bonne idée d’avoir fait repousser tes cheveux, tenta-t-il pour briser le silence qui s’installait.
-    Merci… répondit-elle en baissant les yeux.
La conversation ne s’installait pas. Il y avait eu trop de silences, trop de non dits, trop d’attente pour qu’il en soit autrement. Antoine aurait aimé lui dire qu’il ne lui en voulait pas, que ça avait été son choix et qu’il ne la jugeait pas. Mais cette femme qui marchait à ses côtés lui semblait inconnue. Il avait passé son adolescence avec la petite fille, il ne connaissait rien de la femme. Il avait prévu des retrouvailles difficiles et ne s’était pas trompé. Il lui ouvrit la portière de sa vieille 205. Il cru à cet instant voir un sourire sur le visage de sa bien aimée.
-    Pourquoi tu ris ? demanda-t-il, sautant sur l’occasion.
-    Depuis le temps, je la pensais à la casse moi la Juju ! répondit-elle.
-    Je n’ai pas eu cœur à m’en séparer, et vu qu’elle roule plutôt bien…
« Juju », elle s’était rappelé du nom qu’ils avaient donné à la voiture lorsqu’il l’avait achetée. Les dates se bousculaient dans sa tête, et, pendant qu’il conduisait, il tentait de refaire le puzzle de leur histoire.
-    Depuis combien de temps ? demanda-t-il brusquement.
-    De quoi ?
-    Depuis combien de temps nous nous connaissons ?
-    Sept ans, j’avais quinze ans…
Il aurait donné n’importe quoi pour que le silence ne se réinstalle pas entre eux, ne les éloigne pas encore plus…
-    Tiens au fait, 2-0 pour l’Olympique Lyonnais, ajouta-t-il
-    Tu t’intéresses au foot maintenant ?
-    Depuis que je suis entré dans cette voiture pour venir te chercher oui…
-    Tu t’attendais à quoi Antoine ?
-    Peut-être à une explication…
-    Tu l’auras, je te le promets.
Elle l’embrassa sur la joue et il fut tellement surpris qu’il faillit sortir de la route. Ils finirent tout deux le voyage en silence, un silence lourd, gêné, mais qui ne les étonnait plus. Pour Lucie, tout ce passait exactement comme elle l’avait prévu.
-    Je te préviens, ma maman a eu un peu de mal quand je lui ai annoncé que tu venais… dit Antoine en sortant le gros sac rouge du coffre. Dis donc, tu as emmené combien de bouquins ?
-    J’ai pris ce qu’il me fallait, voir un petit peu plus, on ne sait jamais… Quant à ta mère, je m’en doute un peu, et ne t’inquiète pas, je ne lui en voudrais pas !
Elle lui fit un clin d’œil ravageur, et, sous le regard médusé d’Antoine, elle franchit le pas de la porte, et s’annonça en un « bonjour » retentissant. Antoine vit alors sa mère descendre les petites marches qui menaient à l’entrée, embrasser Lucie et l’inviter à monter dans le salon. Il resta longtemps planté là, le gros sac rouge à bout de bras, les regardant disparaître dans la maison. Il eut soudain très envie de pleurer, mais ne sachant pas trop pourquoi, il se ressaisit, et finit par entrer à son tour dans le domicile familiale. Il entendit alors les deux femmes rire, il posa le sac de Lucie devant la porte de sa chambre et s’empressa de les rejoindre. Lorsqu’il pénétra dans la pièce, Lucie lui adressa un regard plein de mélancolie et de tendresse. Il savait qu’elle aurait beaucoup de choses à lui dire, mais en attendant, il allait falloir rester un peu avec les parents, pour rattraper le temps perdu. Son père d’ailleurs arriva, quelques minutes après, dans un vacarme assourdissant. Il avait fait tomber ses clés sur le beau vase de l’entrée qui avait éclaté en milles morceaux. Au lieu de s’énerver, tout le monde avait rit de bon cœur et l’ambiance à la maison rassura peu à peu Antoine. Il eut très envie de remercier sa mère d’avoir tellement pris sur elle pour à nouveau accepter Lucie.
La journée se passa à merveille. Lucie était bavarde, les parents d’Antoine étaient guillerets, ils avaient fait le premier barbecue de l’année, ils étaient tous allés se promener près des étangs où Antoine avait pris de nombreuses photographies. Ils étaient ensuite retournés à la maison, pour regarder un film. Les heures défilaient à une vitesse affolante, et après le dîner, Antoine regarda ses parents d’un air entendu, pris la main de Lucie et l’entraîna dans sa chambre au sous sol. Il s’allongea sur son lit et Lucie le rejoignit, prenant bien soin de garder ses distances.

[A suivre...]

jeudi 14 mars 2013

Aime moi (2)

Après être montée dans son train de justesse, Lucie s’était endormie sur l’épaule d’un passager qui n’avait pas osé la réveiller. Elle finit par émerger, une demi-heure avant son arrivée en gare. Elle s’était morfondue en excuses, et pour lui faire comprendre qu’il ne lui en voulait pas, le passager lui dit qu’elle était très belle. Lucie se sentit rougir, et se contenta de lever les yeux au ciel. Elle mit en marche son baladeur et au bout de quelques minutes, elle se tourna vers son voisin :
-    Vous voulez écouter ? dit-elle en tendant un des écouteurs, si bien qu’il ne pouvait guère refuser.
-    Heu oui qu’est ce que c’est ?
-    Peu importe, ça vous plaira. Moi c’est Lucie, et vous ?
-    Mathéo.
Ils se regardèrent un long moment, se laissant envahir par les notes de guitare et la voix douce et rauque dans leurs oreilles.
-    Qui est-ce ? insista Mathéo.
-    C’est un album écrit par l’homme que j’aime pour la femme qu’il aimait.
-    Vous êtes souvent mystérieuse comme ça ou c’est votre technique de séduction ?
-    Vous aimez ?
-    La musique ou la technique ? A vrai dire, j’aime beaucoup les deux…
-    Tant mieux alors.
A nouveau, le silence s’installa entre les deux compagnons de voyage. Le piano avait remplacé la guitare, et la voix s’était tue, comme pour laisser au contrôleur le temps d’annoncer la prochaine gare.
-    C’est ici que je sors, dit Lucie en rangeant précipitamment ses affaires. Vous permettez ?
Mathéo lui rendit,  non sans regret, son écouteur.
-    Je n’ai même pas ton numéro de téléphone ! tenta-t-il
-    On se tutoie déjà ? A quoi te servirait donc un numéro puisqu’en rentrant ta mère va laver ton jeans avec le petit bout de papier sur lequel je l’aurais écrit, si bien que l’encre aura été effacée et le numéro sera illisible, expliqua Lucie.
-    Aucun risque ma mère est décédée, lâcha Mathéo.
Elle sortit un stylo de son sac à main, gribouilla les chiffres sur un coin de serviette en papier, le déposa rapidement sur la table et s’enfuit presque vers la sortie du train. Elle était arrivée.

Le cœur d’Antoine battait à la chamade. Pourquoi juste aujourd’hui, à cette heure là ? Il frappa du poing contre son volant, mais la colère n’y ferait rien. Il était coincé derrière un tracteur, impossible de doubler. Il était en retard à présent et s’en voulait de ne pas être parti avant. A défaut de pouvoir avancer plus vite, il augmenta le volume de la radio. Aux informations, on annonçait un crash d’avion, un tremblement de terre, un attentat et 2-0 pour l’Olympique Lyonnais.

Déçue, Lucie prit les escalators pour descendre dans la gare. Elle se prit à douter : et s’il ne venait pas ? Il était sans doute en retard. Etait-ce une habitude ? Elle eu beau fouiller dans sa mémoire, impossible de s’en rappeler. Soudain, le téléphone.
-    Allo ? Allo ?
L’interlocuteur avait déjà raccroché. Lucie regarda l’appareil, circonspecte. C’était sans doute Mathéo, qui vérifiait qu’elle lui avait donné le bon numéro et qui l’appelait en anonyme. Elle se demanda ce qui lui avait pris de passer comme ça son numéro de téléphone à un inconnu. Sa dernière phrase ? Sûrement. Et puis, après tout, il lui avait plu avec ses yeux en amande et ses cheveux bouclés. On aurait dit un ange. Ou un petit diable. Peut-être un peu des deux. Et puis, Lucie croisa enfin le regard d’Antoine. Au bout de l’allée qui menait vers le centre de la gare. Il était debout, l’air un peu penaud. « Ne cours pas… » se répéta intérieurement Lucie. Elle l’observa un peu. Il avait l’air plus vieux, plus mûr. La barbe qu’il laissait apparemment pousser lui donnait un air sérieux et espiègle à la fois. Ses yeux n’avaient pas changé. D’un bleu profond, tirés vers le bas. Ils lui donnaient toujours un regard triste. Il avait, comme à son habitude, protégé ses mains par des gants. Un musicien maniaque, mais précautionneux. Comme elle aimait ses mains ! Elle eu soudain envie de le toucher, de l’embrasser, de l’aimer comme avant. De se sentir protégée, de se lover tout contre son torse. Elle eu envie de le prendre dans ses bras. Mais lorsqu’elle parvint à lui, elle l’embrassa sur les deux joues et lui dit « bonjour ».

[A suivre...]

mardi 12 mars 2013

Aime moi (1)

Comme un nouveau feeling avec ce nouveau roman. Eh oui, encore un. Celui là me plaît vraiment, les personnages sont clairs dans ma tête, je sais où je veux aller et comment y aller. Il n'y a plus qu'à espérer que ça vous plaise ! Bonne lecture !
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Lucie préparait ses valises, en silence. Elle fit plusieurs fois le tour de la petite chambre d’étudiante qu’elle occupait depuis près de quatre ans. Jetant de fréquents coups d’œil à sa montre, elle s’appliquait à ranger méthodiquement les pantalons, puis les chaussettes, les pulls et la trousse de toilette dans le sac rouge posé sur son lit. Vingt-deux ans de vie dans une valise à roulette et un sac à main noir. Celui-là, c’était Antoine qui lui avait offert. Le seul fait de penser son nom lui donna des frissons, et, pour la première fois depuis le début de son projet, elle sentit la peur lui taillader le ventre. Elle regarda une dernière fois autour d’elle, puis dans un soupir claqua la porte et ferma à double tour.

A cet instant, Antoine ouvrit la porte du réfrigérateur, sortit le jus de pomme que son père s’appliquait à fabriquer chaque automne, se servit un verre et se dirigea vers la fenêtre. Des champs, des champs à perte de vue. Et un soleil, rayonnant pour ce mois de mai qui avait été si ingrat jusqu’à lors. Encore deux heures à attendre.
-    A quoi tu penses, Tonin ?
Antoine sursauta. Sa mère avait toujours le don d’apparaître à des instants où l’on s’y attendait le moins.
-    Je me disais qu’on pourrait peut-être envisager de finir le muret de la maison, cet été après mes examens… répondit-il.
-    D’accord, à une seule condition…
Au ton de sa mère, Antoine comprit qu’elle allait lui proposer quelque chose qu’il ne pourrait pas lui accorder.
-    Je t’écoute… lui dit-il anxieux.
-    Tu demandes Lucie en mariage avant l’année prochaine !
A ses mots elle éclata de rire et alluma le poste de télévision.
-    Je ne trouve pas ça spécialement drôle…
Il reposa son verre encore plein, descendit rapidement les marches de l’escalier qui le menait au sous sol, là où ses parents lui avaient installé sa chambre lorsqu’il avait eu 18 ans. C’était il y a cinq ans. Il essuya d’un geste rageur les larmes qui coulaient le long de ses joues, prit sa guitare et commença à jouer.

Le campus était très étendu, et il fallait le traverser pour atteindre les différentes lignes de tramway. Lucie prit tout son temps, flâna le long des pelouses où de nombreux étudiants désoeuvrés se prélassaient. Il était encore trop tôt, cela ne servait à rien de se presser. La sangle de son sac lui coupait son épaule nue, elle regretta presque d’avoir choisi un haut si léger, mais ce soleil de mois de mai l’avait trop tenté. Lorsqu’elle parvint enfin à son arrêt, elle sortit ses écouteurs et se laissa emporter par les notes que lui offrait son lecteur. Elle ferma les yeux, et se glissa parmi ses souvenirs.
Elle avait 18 ans, lorsqu’ils étaient partis. Enfin partis, c’est ce qu’avait annoncé sa tante. Elle revenait du lycée, par une journée aussi belle que celle-là. Sur le chemin, elle s’était sentie légère, futile, peut-être même amoureuse. Elle avait ouvert la porte en chantonnant, et s’était vite rendue compte que quelque chose ne tournait pas rond.
-    Sophie ?
La présence de sa tante dans la maison familiale l’avait surprise, puis inquiétée. Le visage ravagé de Sophie ne laissait rien présager de bon.
-    Ils sont partis ma Lulu…
Du reste, Lucie ne voyait que du flou. Elle se rappelle de Sophie lui tombant dans les bras, expliquant entre deux sanglots l’accident, la voiture, et le coma dans lequel restait sa mère. Elle se souvient de son cri, ce hurlement plus fort qu’elle, qu’elle avait poussé en comprenant que plus jamais elle ne serrerait son père dans ses bras.
Lucie ouvrit les yeux, le visage envahit par la tristesse coulant le long de ses joues. La plaie qui s’était ouverte en elle il y a quatre ans ne se refermait pas. Elle jeta à nouveau un rapide coup d’œil à sa montre, cette fois c’était bien l’heure. Elle monta dans le premier tramway, emportant derrière elle son gros sac rouge, rouge comme les souvenirs qui lui brûlaient la tête et le cœur.

Antoine reposa sa guitare. Dans une heure elle sera là. Il ouvrit un livre, le referma. Il avait mal à la tête. Que lui dira-t-il ? Qu’il l’aime ? Ou bien était-ce trop rapide ? Depuis combien de temps se connaissaient-ils déjà ? Six ans, sept ans ? Depuis combien de temps s’étaient-ils perdus de vue ? Lorsqu’il avait vu son numéro s’afficher sur son téléphone portable, il n’y avait pas cru. Et lorsqu’il avait décroché, il avait d’abord pensé qu’elle s’était trompée. Elle n’avait pas confirmé ses doutes, au contraire, elle lui avait demandé si elle pouvait le rejoindre, pour deux jours. Surpris ça oui, il l’avait été. Après tant d’années de silence, d’angoisse, de manque, qu’avait-elle à lui dire ? Il avait accepté, bien évidement, et lorsqu’il avait annoncé la nouvelle à sa mère, il avait vu son visage s’assombrir.
-    Parce que tu crois vraiment qu’elle va revenir ? avait-elle dit d’un ton sévère.
-    Je crois juste qu’elle n’a jamais disparue.
Ce jour là il avait ressorti tous les albums de photographie. Il avait décidé d’expliquer à ses parents la jolie fille qu’il avait rencontrée ce jour de mars, à côté de son lycée. Il leur avait montré Lucie, lorsqu’elle avait encore ses cheveux longs et bouclés, il leur avait présenté Lucie lorsqu’elle avait décidé de les couper très courts, il leur avait raconté Lucie, son sourire, ses éclats de rire, son visage, son bonheur. Il leur avait expliqué sa vie, à cette époque, qui ne rimait qu’avec le prénom de sa bien aimée : Lucie. Elle était pour lui son souffle, sa raison de vivre. Et ils l’avaient compris, ils l’avaient entendu, écouté.
-    Tonin ?
Une fois de plus, Antoine fut interrompu de sa rêverie par sa mère qui ne savait toujours pas frapper à sa porte après vingt-trois ans de vie commune.
-    Oui ?
-    Excuse moi…
-    Ce n’est rien.
Il aurait voulu lui crier qu’il l’avait détesté de l’entendre dire ça. Il avait envie de lui hurler qu’elle ne le comprendrait peut-être jamais mais que c’était ainsi, que lui ne changerait pas.
-    Tu m’en veux ?
Elle insistait. Antoine pensa qu’il était inutile de lui mentir.
-    Oui…Tu sais maman, j’aimerais qu’on fasse comme si de rien n’était. J’aimerais qu’elle soit toujours la bienvenue, comme avant. Qu’elle soit toujours et encore la fille que tu n’as jamais eue. J’aimerais que tu l’aimes, comme avant.
Elle poussa un soupir, peut-être de la tristesse, sans doute du désarroi. Elle hausse les épaules et quitta la chambre, lâchant juste :
-    Ton père devrait bientôt arriver.
Antoine s’approcha de son ordinateur. Son frère, Bastien,  lui avait laissé un email. « Hello frangin ! Comment vas-tu ? Avec Lisa on a pensé que tu pourrais venir passer quelques jours après tes examens ici. Qu’en penses-tu ? J’attends de tes nouvelles ! ». Il ferma la fenêtre, prit sa veste, ses clés de voiture et lâcha un « j’y vais ! » avant de refermer derrière lui la porte d’entrée.

[A suivre...]

samedi 26 janvier 2013

Blog en pause !

Je reviendrai, quand l'inspiration sera de retour ! 

A bientôt chers lecteurs !

dimanche 20 janvier 2013

Kernovan

Un nouveau bébé, et pour qu'il continue à grandir, j'ai besoin d'avis, et surtout d'encouragements ! Alors, à vos commentaires !

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Il n’est pas très difficile d’aller à Kernovan. Le vieux Emile qui habite la maison forestière depuis tant d’années doit pourtant souvent guider quelques touristes égarés, ou visiteurs de passage. Alors, inlassablement, il répète :
-    A la sortie de la forêt, c’est tout droit, vous passerez les champs à votre droite, et vous y êtes !
Kernovan : petite bourgade du sud de la Bretagne, à cent mètres de la mer. Il n’y a pas de plage à Kernovan, seulement des falaises abruptes, que les vagues viennent embrasser continuellement au rythme des marées. Ville fleurie à deux reprises, Kernovan marque souvent les esprits par sa beauté, et surtout la simplicité des petites maisons qui l’occupent. Les quelques mille habitants de Kernovan y ont une vie plutôt paisible, bercée par le chant des mouettes et la floraison des roses trémières.  Au centre, on trouve tous les commerces utiles : un  tabac, une boulangerie, un traiteur, une pharmacie et même un petit centre commercial, sans oublier la boutique de l’antiquaire, et le fleuriste.  Un peu plus loin,  un petit parc arboré, et un manège, qui s’installe lorsque l’été arrive. Sur la grande place de la fontaine, la mairie côtoie les deux écoles de Kernovan : l’école maternelle Charles Baudelaire et l’école élémentaire Paul Verlaine. Un grillage vert entoure cette dernière, et lorsque l’on pousse la grille grinçante pour y entrer, on pénètre dans un monde à la fois mystérieux, bruyant et surtout extrêmement complexe.

-    Mais tu te rends compte ? Je suis professeure des écoles moi, pas instit !
En ce jeudi midi, la salle des maîtres était envahie par des odeurs de fromage, de poisson et de compote de pommes.  La plupart des enseignants de l’école Paul Verlaine préféraient manger là, pour pouvoir corriger entre midi et deux et par la même rentrer plus rapidement le soir. Ainsi, les odeurs de tous les plats pré-cuisinés que l’on peut trouver dans le commerce se faisaient sentir dès que l’on pénétrait dans la salle.
-    C’est quand même incroyable que l’administration puisse être autant incapable !
Lisa ne prit pas la peine de répondre. Elle haussa les épaules et se dirigea vers le micro-onde, qui venait enfin de se libérer. Elle n’avait jamais compris ce besoin presque viscéral qu’avaient certains de ses collègues de refuser catégoriquement l’appellation "instit". Après tout, il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de différences, puisque tous les instits  (qui sont passés par l’école normale), sont devenus des professeurs des écoles (avec le temps). Elle regarda Béatrice agiter son arrêté de nomination comme une preuve de l’incapacité du rectorat à faire son travail correctement, et observa les mouvements d’approbation de Luc, Sonia et Valérie.
Lisa s’entendait plutôt bien avec ses collègues. Depuis son arrivée dans l’école il y a trois ans, ils avaient déjà monté ensemble de beaux projets, avaient organisés trois repas de Noël et un pique-nique de fin d’année entre eux. Mais de manière générale, Lisa avait plutôt du mal à supporter la mentalité de prof. Bien qu’elle fasse parti du corps enseignants depuis une dizaine d’année, elle avait une aversion pour tout ce que l’on pourrait appeler les stéréotypes du prof : ceux qui râlent tout le temps, ceux qui ne savent pas faire la part des choses avec leur vie privée, ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de ramasser du bois flotté sur la plage pour le bricolage de Noël quand ils sont en promenade avec leurs familles. Non, ça vraiment, elle avait du mal à comprendre.

[à suivre...]

mercredi 2 janvier 2013

C'est beau, la nuit.

Vingt-deux heures. On a réussi à se garer tout près de la sortie. Un étrange sourire a pris place sur notre visage, comme si c'était l'unique satisfaction de la journée. Il faut dire qu'il n'y a pas grand monde dans ce parking souterrain. On fait quelques pas, on passe la porte. Nous y sommes.

D'abord, l'odeur. La boulangerie Paul a fermé depuis longtemps, on a pourtant l'impression d'humer encore le fumé des petits pains, et la senteur âcre du café. On lève la tête, pour voir le panneau d'affichage, l'odeur du béton nous prend à la gorge. Ca sent la transpiration, la foule qui n'est plus là, le métal, le souffre, la solitude. C'est bon, il est à l'heure.

Quinze minutes à attendre. On regarde sa montre, puis les horloges. Il y en a quatre. Non cinq. On s'amuse à toutes les repérer. Celles qui clignotent en vert, près des grands écrans, celles, plus anciennes, blanches et fluorescentes là haut, sur le vieux bâtiment. Si elles pouvaient nous parler, elles en auraient des choses à dire ! Que diraient-elles, par exemple, de cet homme là, assis dans un coin, le regard triste, les mains sur ces genoux, la tête contre son sac. Est-il là depuis quelques minutes ? Deux heures ? Plus longtemps ? S'est-il arrêté pour se reposer ou bien la vie l'a-t-elle stoppé net  en plein voyage ?

C'est vide. Quelques passants, deux trois hommes et femmes qui ne s'arrêtent pas. On consulte son portable, on écoute de la musique, comme pour se donner une contenance que l'on n'a plus. La foule a disparu, laissant place à ce vide, qui nous embrasse comme la mort. L'anxiété apparaît, et si je les loupais ? Et s'ils n'arrivaient pas, finalement ? L'immensité du bâtiment fait résonner le moindre toussotement. On pourrait presque voir des fantômes, des fantômes voyageurs, et leurs valises hurlantes.

D'habitude il y a ces couples, qui s'embrassent longuement avant de se séparer devant la borne pour oblitérer les billets, il y a ces enfants qui font un caprice parce que leurs petits sacs sont trop lourds, il y a ce jeune homme à lunette, qui passe son temps à lire les magazines directement dans le kiosque et ça énerve la vendeuse... Il y a celle qui mange un sandwich sous vide au poulet en faisant tomber un morceau de tomate, celui qui tend la main pour avoir un euro pour aller aux toilettes, ou encore celle-ci qui console son bébé, dont les cris résonnent dans les hauts plafonds de l'édifice.

A vingt-deux heures, il n'y a plus rien. Juste le grincement des portes automatiques et le cri d'un SDF dehors. A peine un jeune homme qui se ronge les ongles, et ce vieux monsieur qui fait les cents pas en s'appuyant sur sa canne. On regarde les pubs. Ils sont mignons ces bébés tigres. Tiens, je lirai bien ce livre. J'ai envie d'une barre chocolatée. Il est déjà sorti ce film ? La trotteuse de l'horloge verte poursuit sa course du temps, et déjà, l'instant fatidique approche.

Au loin, le bruit d'une fuite vient perturber le silence. Des gouttes d'eau irrégulières tombent dans une flaque, dans un "plic" tonitruant. On se prend à s'intéresser à la structure du bâtiment. C'est incroyable ce mélange d'ancien et de contemporain. Il faudra penser à la replacer dans une conversation lors d'un dîner, peut-être samedi si l'occasion se présente. Sur les bas-reliefs, tout en haut, un petit enfant tire sur les jupes de sa mère. Ici bas, les enfants sont déjà couchés. Bientôt, c'est la rentrée, et avec toutes ces fêtes, il faut reprendre les bonnes habitudes. D'ailleurs, on ferait bien un petit régime. Allez, demain, je m'y mets.

Tout à coup, on se rend compte que la fausse impression de silence est simplement due à une soufflerie assourdissante. Le bâtiment respire. Il respire pour toutes ces âmes qui y passent, jour après jour. Ces mêmes âmes qui défilent, sans prêter attention à ce qui se déroule autour. Ceux qui courent pour ne pas le rater, ceux qui courent pour mieux se retrouver, ceux qui courent pour mieux s'enfuir, qui sait. Des allers, des venus, pas un regard. Alors le soir, quand tout redevient calme, l'édifice souffle, comme pour nous rappeler son imposante existence.

Et puis soudain, du monde. D'abord une jeune fille, qui rejoint le garçon aux ongles rongés. Elle l'embrasse, elle semble heureuse de le retrouver. Lui ? Moins. A suivre. Et cet homme là, qui arrive en souriant. Qui vient-il rejoindre ? Visiblement personne puisqu'à son tour il fait grincer les portes automatiques et sort d'un pas décidé. Bon, on se concentre. Où sont-ils ? On lève la tête, on se met sur la pointe des pieds, comme si le fait de gagner cinq centimètres nous permettait de mieux voir. Des visages inconnus qui défilent, des bagages à roulettes, des sacs à dos... Un homme bouscule une jeune femme. Ils se retournent et s'observent. Un coup de foudre ? Une insulte ? Ils ne se disent rien, l'homme tâte ses poches pour vérifier l'emplacement de son portefeuille. Il repart. Dommage. Ah les voilà ! On s'embrasse, on est comme soulagé de se retrouver.

Après, l'atmosphère redevient calme. Les bruits se font plus rares. Les gens aussi. Demain, dès l'aube, la scène de se théâtre de la vie sera à nouveau pleine d'acteurs. Demain, dès l'aube, les petits pains se vendront bien, et les visages disparaîtront derrière la fumée des tasses de café. Demain, dès l'aube, la vie reprendra son cours. En attendant, paisible, impassible, hormis quelques âmes errantes, elle dort.

C'est beau, une gare, la nuit.