Au petit matin, Lucie fut réveillée en sursaut par son téléphone. Elle constata déçue que la place à côté d’elle était vide, Antoine était sans doute allé déjeuner. Lorsqu’elle parvint à mettre la main sur son mobile, celui-ci cessa immédiatement son vacarme. Elle rappela.
- Allo ?
A nouveau l’interlocuteur ne répondit pas. Prise d’une soudaine angoisse, elle posa son visage dans le creux de son oreiller. C’était aujourd’hui. Aujourd’hui ou jamais. Depuis le temps qu’elle se préparait pourquoi soudain toute envie avait disparue ? Pourquoi cette peur sournoise qui lui torturait le ventre ?
- Lucie, ça va ?
Antoine, penché au dessus du lit était déjà habillé. Elle l’admirait et le craignait. Saura-t-il être à la hauteur ? Pourra-t-il déjouer le piège dans lequel elle s’était enfermée ?
- Lucie, répond-moi, tu pleures ?
Sa voix était tendre, son regard était doux, et elle allait être dure. Dure comme jamais elle n’avait été, si c’était encore possible.
- Ca va… Il fait beau ?
- Oui ! On va pouvoir profiter un peu de la piscine si tu veux !
- Tu n’as donc vraiment pas changé ?
- Et pourquoi l’aurais-je fait ?
Lucie estima qu’il n’était pas nécessaire de lui répondre. Elle désirait Antoine, Antoine l’artiste, Antoine le sportif, Antoine et ses phrases qui ne servent à rien…
- Tu viens ?
- Je vais d’abord m’habiller si tu me le permets…
- Pardon…
Antoine quitta la pièce, mi déçu mi intrigué. Il n’y avait que Lucie pour être aussi pudique le lendemain d’une nuit d’amour. Des femmes, il en avait vu d’autres. Il avait touché des corps après le départ de Lucie, il avait tenté de se reconstruire une autre vie… Mais la vie n’était rien sans elle, sans ses jolies boucles brunes qui tombent sur ses épaules, son regard torturé et leur bonheur si simple lorsqu’ils sont ensembles. Il resta quelques temps devant la chambre, et, curieux de ne rien entendre, il poussa légèrement la porte. Il pu distinguer la silhouette de Lucie, nue, penchée sur son sac rouge. Il scruta un peu plus la chambre, et compris alors qu’elle était revenue pour mieux repartir. Il referma précautionneusement la porte, et monta les yeux débordants de larmes dans le salon où il s’écroula sur le canapé.
Lucie boucla son sac, puis s’habilla. Elle souligna ses yeux d’un trait noir puis glissa une enveloppe sous l’oreiller d’Antoine. Elle hésita quelques secondes, retira l’enveloppe, puis la remis. Prise d’une bouffée d’angoisse soudaine, elle se boucha les oreilles et ferma ses yeux. Puis, inspirant profondément, elle se décida à rejoindre Antoine.
Sur la table du petit déjeuner, il y avait toujours cette étrange cuillère qui tient toute seule dans le pot de confiture, deux sets de table, deux bols et un petit pot de lait à l’ancienne… Antoine l’attendait, il tournait lentement son café.
- Bien dormi alors ? demande Lucie d’un ton qui se voulait enjoué.
- On fait aller…
- Où sont tes parents ?
- Partis chercher le pain...
Antoine tripotait nerveusement son morceau de sucre avant de le jeter dans son café.
- Si je t’avais demandé en mariage, tu m’aurais épousé ? lâcha-t’il.
Lucie manqua de s’étouffer avec sa tartine.
- Je te demande pardon ?
- Tu as très bien compris ce que je t’ai dit Lucie.
Antoine scrutait son visage comme s’il espérait trouver les réponses à toutes ses questions. Lucie finit par se sentir gênée par ce soudain silence. Et s’il comprenait avant l’heure ? S’il décidait de l’empêcher de partir ? Et s’il était assez fou pour la suivre dans son aventure ? Alors tous ses plans tomberaient à l’eau, tout ce qu’elle avait construit deviendrait caduc et le tout petit équilibre qu’elle avait mis en place redeviendrait instable.
- Lucie ?
- Oui ?
- Tu ne m’as pas répondu.
- Tu m’as demandé en mariage ?
- Non.
- Alors la question ne se pose pas.
Antoine marqua une pause. Etait-ce le moment ?
- Je n’aurais donc jamais l’occasion de t’épouser ?
- Antoine, ça suffit !
Lucie se leva de table, et se dirigea vers la fenêtre. Elle croise les bras, autour de son ventre, si fort qu’on aurait pu croire qu’elle avait froid.
- Je te demande pardon, dit Antoine en la serrant à la taille.
Il fut parcouru d’un frisson lorsqu’il sentit les mains de Lucie délicatement pousser les siennes. Il ne s’était pas trompé. Elle allait vraiment repartir, sans laisser d’adresse. Son cœur s’emballa, mais il s’interdit tout commentaire. C’était le choix de Lucie. S’il devait souffrir, il souffrirait, pourvu qu’elle soit heureuse.
- Merde !
Lucie interrompit la torpeur dans laquelle ils étaient tous deux plongés lorsqu’elle entendit son téléphone sonner. Elle couru dans les escaliers pour le récupérer dans la petite chambre, et manqua de s’écrouler sur le paillasson. La sonnerie se tût, et Lucie remonta, le téléphone en main, l’air bougon.
- Pff, c’est ma sœur…
- Tu as l’air ravie… Comment va-t-elle ?
- A vrai dire, je ne sais pas trop…
- Comment ça ? s’enquit Antoine.
- Elle est partie vivre dans le sud, il y a deux ans et demi. Je n’ai pas eu beaucoup de nouvelles. Je sais qu’elle fait une école là-bas. Mais je ne pourrai pas te dire laquelle. Je sais aussi que c’est devenu une véritable petite peste prétentieuse et hautaine…
- Quel magnifique portrait ! Je suis quand même étonné par ce que tu me dis, vous qui étiez si proches !
- Nous aussi, nous étions très proches Antoine…
Il ne prit pas la peine de répondre. En lui, tout fondait. Son âme dégoulinait. C’était comme si un four à chaleur tournante s’occupait de ses organes les uns après les autres. Tout se détruisait, à petit feu. Il était le plus malheureux des hommes, et pourtant s’interdisait de le montrer à celle qu’il aimait tant. Pourquoi parlait-elle au passé ? Qu’est-ce qui avait changé entre eux ? Pourquoi la vie est elle si désagréable quand on est loin de ceux qu’on aime ?
[A suivre...]
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