lundi 8 avril 2013

Aime moi (7)

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Deux tours de clé. Les volets fermés. L’appartement silencieux. Mathéo soupira, posa son sac sur le petit meuble de l’entrée, et se dirigea vers son frigo. Vide. Comme l’appartement. Comme sa tête. Comme sa vie.
Un paquet de pâte, l’eau qu’on met à bouillir, la télé qu’on allume. Le bruit de fond qui rassure, le robinet qui fuit et qui agace… Les mêmes pas, au même endroit, aux mêmes moments. Les mêmes gestes, dénués de sens. Et pas un mot à prononcer. A personne.
Sur la petite table du salon, une photo qui traine. Une fillette tend la main vers le ciel, sans doute pour attraper un quelconque insecte. Le ciel est bleu, la prise est idyllique, trop belle pour être réelle. Un peu comme un flash, sur un instant de bonheur trop vite effacé. Pas la peine d’ouvrir ces foutus volets, ils protègent au moins du bruit de la rue.
Mathéo s’affala dans le canapé, le bol de coquillettes au beurre bien calé entre ces jambes. Il repensa à sa journée, à sa jolie rencontre avec cette fille. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Julie ? « T’es vraiment un gros débile, tu croises une fille magnifique et tu ne retiens même pas son prénom ! ». Il extirpa péniblement la serviette en papier de son jean trop serré.
-    Il faudra que je pense à faire du shopping un de ces quatre ! dit-il tout haut comme pour palier l’angoisse qui le prenait subitement.
Il manipula nerveusement son téléphone, tapa les premiers chiffres, effaça, recommença l’opération à maintes reprises. Finalement il abandonna. A quoi bon, cette fille là devait sans doute rejoindre son fiancé, sans doute un musicien bellâtre qui ne séduit que parce qu’il est bon au piano ou une guitare entre les mains. D’un autre côté, il avait aimé la musique qu’elle lui avait fait écouter. Il essaya de se rappeler de la mélodie, et chanta distraitement l’air.
-    Tu deviens dingue mon pauvre Mathéo !
Pour se ressaisir, il prit son sac, l’ouvrit et en sortit un paquet de copies de ses élèves de CE2, réalisée la semaine avant les vacances scolaires. L’enseignement. Finalement c’était peut-être ça qui l’avait sauvé. Le plaisir de transmettre, de voir cette lumière qui s’allumait parfois dans le regard des enfants. Ce bonheur qu’il avait chaque matin quand il pénétrait dans sa classe et observait les murs couverts des productions de ses élèves. Il aimait son métier, passionnément, sans doute la seule chose qu’il savait aimer finalement. Du haut de ses 25 ans, il était encore jeune dans la profession, aussi il s’était retrouvé dans une école de village, à une heure de train de chez lui. Mais peu lui importait. Ces voyages lui permettaient de préparer sa classe à l’aller, et de décompresser au retour. Parfois, il écrivait. Parfois il lisait. Parfois il observait simplement les autres passagers. Lorsqu’il passait le portail de l’école, il se ressentait toujours cette petite fierté. Son métier l’équilibrait, lui rendait un peu de la raison qu’il perdait au fur et à mesure du temps qui passe.
Il se plongea dans la première rédaction du tas de copies : « à ton tour, écris un conte à la manière de cet auteur ». Chloé avait relativement bien travaillé, la structure était respectée, l’orthographe avait été corrigée au fur et à mesure de la réécriture. Le texte manquait un peu de piment, de magie, mais Mathéo gratifia son travail d’un B+ prometteur. Lorsqu’il commença la lecture de la copie de Maxime, son regard se fixa longuement sur la première phrase : « Les contes de fées n’existent pas ».
-    Tu ne crois pas si bien dire mon bonhomme ! ne put s’empêcher de s’exclamer Mathéo.
Soudain, il se sentit désarmé. Accablé même. Une profonde et terrible tristesse l’envahit, sans crier gare. Il ne put corriger la suite. Il s’allongea sur le canapé, et pleura. Le visage de la fillette sur la photo restait rayonnant, insouciant, à milles lieues d’imaginer le chagrin qui régnait dans la pièce. Puis, doucement, presque imperceptiblement, Mathéo s’endormit, ignorant son téléphone qui clignotait silencieusement, annonçant la venue d’un message.

[...]

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