Au petit matin, Lucie fut réveillée en sursaut par son téléphone. Elle constata déçue que la place à côté d’elle était vide, Antoine était sans doute allé déjeuner. Lorsqu’elle parvint à mettre la main sur son mobile, celui-ci cessa immédiatement son vacarme. Elle rappela.
- Allo ?
A nouveau l’interlocuteur ne répondit pas. Prise d’une soudaine angoisse, elle posa son visage dans le creux de son oreiller. C’était aujourd’hui. Aujourd’hui ou jamais. Depuis le temps qu’elle se préparait pourquoi soudain toute envie avait disparue ? Pourquoi cette peur sournoise qui lui torturait le ventre ?
- Lucie, ça va ?
Antoine, penché au dessus du lit était déjà habillé. Elle l’admirait et le craignait. Saura-t-il être à la hauteur ? Pourra-t-il déjouer le piège dans lequel elle s’était enfermée ?
- Lucie, répond-moi, tu pleures ?
Sa voix était tendre, son regard était doux, et elle allait être dure. Dure comme jamais elle n’avait été, si c’était encore possible.
- Ca va… Il fait beau ?
- Oui ! On va pouvoir profiter un peu de la piscine si tu veux !
- Tu n’as donc vraiment pas changé ?
- Et pourquoi l’aurais-je fait ?
Lucie estima qu’il n’était pas nécessaire de lui répondre. Elle désirait Antoine, Antoine l’artiste, Antoine le sportif, Antoine et ses phrases qui ne servent à rien…
- Tu viens ?
- Je vais d’abord m’habiller si tu me le permets…
- Pardon…
Antoine quitta la pièce, mi déçu mi intrigué. Il n’y avait que Lucie pour être aussi pudique le lendemain d’une nuit d’amour. Des femmes, il en avait vu d’autres. Il avait touché des corps après le départ de Lucie, il avait tenté de se reconstruire une autre vie… Mais la vie n’était rien sans elle, sans ses jolies boucles brunes qui tombent sur ses épaules, son regard torturé et leur bonheur si simple lorsqu’ils sont ensembles. Il resta quelques temps devant la chambre, et, curieux de ne rien entendre, il poussa légèrement la porte. Il pu distinguer la silhouette de Lucie, nue, penchée sur son sac rouge. Il scruta un peu plus la chambre, et compris alors qu’elle était revenue pour mieux repartir. Il referma précautionneusement la porte, et monta les yeux débordants de larmes dans le salon où il s’écroula sur le canapé.
Lucie boucla son sac, puis s’habilla. Elle souligna ses yeux d’un trait noir puis glissa une enveloppe sous l’oreiller d’Antoine. Elle hésita quelques secondes, retira l’enveloppe, puis la remis. Prise d’une bouffée d’angoisse soudaine, elle se boucha les oreilles et ferma ses yeux. Puis, inspirant profondément, elle se décida à rejoindre Antoine.
Sur la table du petit déjeuner, il y avait toujours cette étrange cuillère qui tient toute seule dans le pot de confiture, deux sets de table, deux bols et un petit pot de lait à l’ancienne… Antoine l’attendait, il tournait lentement son café.
- Bien dormi alors ? demande Lucie d’un ton qui se voulait enjoué.
- On fait aller…
- Où sont tes parents ?
- Partis chercher le pain...
Antoine tripotait nerveusement son morceau de sucre avant de le jeter dans son café.
- Si je t’avais demandé en mariage, tu m’aurais épousé ? lâcha-t’il.
Lucie manqua de s’étouffer avec sa tartine.
- Je te demande pardon ?
- Tu as très bien compris ce que je t’ai dit Lucie.
Antoine scrutait son visage comme s’il espérait trouver les réponses à toutes ses questions. Lucie finit par se sentir gênée par ce soudain silence. Et s’il comprenait avant l’heure ? S’il décidait de l’empêcher de partir ? Et s’il était assez fou pour la suivre dans son aventure ? Alors tous ses plans tomberaient à l’eau, tout ce qu’elle avait construit deviendrait caduc et le tout petit équilibre qu’elle avait mis en place redeviendrait instable.
- Lucie ?
- Oui ?
- Tu ne m’as pas répondu.
- Tu m’as demandé en mariage ?
- Non.
- Alors la question ne se pose pas.
Antoine marqua une pause. Etait-ce le moment ?
- Je n’aurais donc jamais l’occasion de t’épouser ?
- Antoine, ça suffit !
Lucie se leva de table, et se dirigea vers la fenêtre. Elle croise les bras, autour de son ventre, si fort qu’on aurait pu croire qu’elle avait froid.
- Je te demande pardon, dit Antoine en la serrant à la taille.
Il fut parcouru d’un frisson lorsqu’il sentit les mains de Lucie délicatement pousser les siennes. Il ne s’était pas trompé. Elle allait vraiment repartir, sans laisser d’adresse. Son cœur s’emballa, mais il s’interdit tout commentaire. C’était le choix de Lucie. S’il devait souffrir, il souffrirait, pourvu qu’elle soit heureuse.
- Merde !
Lucie interrompit la torpeur dans laquelle ils étaient tous deux plongés lorsqu’elle entendit son téléphone sonner. Elle couru dans les escaliers pour le récupérer dans la petite chambre, et manqua de s’écrouler sur le paillasson. La sonnerie se tût, et Lucie remonta, le téléphone en main, l’air bougon.
- Pff, c’est ma sœur…
- Tu as l’air ravie… Comment va-t-elle ?
- A vrai dire, je ne sais pas trop…
- Comment ça ? s’enquit Antoine.
- Elle est partie vivre dans le sud, il y a deux ans et demi. Je n’ai pas eu beaucoup de nouvelles. Je sais qu’elle fait une école là-bas. Mais je ne pourrai pas te dire laquelle. Je sais aussi que c’est devenu une véritable petite peste prétentieuse et hautaine…
- Quel magnifique portrait ! Je suis quand même étonné par ce que tu me dis, vous qui étiez si proches !
- Nous aussi, nous étions très proches Antoine…
Il ne prit pas la peine de répondre. En lui, tout fondait. Son âme dégoulinait. C’était comme si un four à chaleur tournante s’occupait de ses organes les uns après les autres. Tout se détruisait, à petit feu. Il était le plus malheureux des hommes, et pourtant s’interdisait de le montrer à celle qu’il aimait tant. Pourquoi parlait-elle au passé ? Qu’est-ce qui avait changé entre eux ? Pourquoi la vie est elle si désagréable quand on est loin de ceux qu’on aime ?
[A suivre...]
Quelques mots, quelques phrases, parfois plus... Des envies d'écriture, des textes, des articles, des nouvelles...
mardi 26 mars 2013
jeudi 21 mars 2013
Aime moi (4)
- Enfin seuls… dit-elle dans un soupir de soulagement.
- C’est toi qui voulait venir chez moi… répondit Antoine sur la défensive.
- Je ne te reproche rien, j’aime beaucoup tes parents tu le sais… Mais ça fait plaisir aussi de se retrouver seule avec toi. Après tout ce temps…
La voix de Lucie s’étrangla. Elle n’osa pas croiser le regard d’Antoine, de peur peut-être d’y trouver des reproches. Pour couper court à cette angoisse soudaine, Antoine mit un cd de Jean Ferrat dans sa chaîne Hifi, et les premières notes de Que serais-je sans toi envahirent la pièce.
- Tu joues encore ? demanda Lucie comme pour sortir de son silence.
- Je compose deux fois plus depuis que tu es partie…
- Alors je m’en vais…
Le sourire aux lèvres, elle fit mine de s’éloigner. Il l’attrapa par les hanches, la souleva et la fit retomber sur le lit. Ils éclatèrent tout deux de rire, et se regardèrent avec toute la tendresse qu’ils se portaient l’un et l’autre.
- Joue pour moi s’il te plait… lui demanda-t-elle en essuyant les larmes au coin de ses yeux.
- Bon alors je coupe Ferrat, j’espère qu’il ne m’en voudra pas…
Antoine chercha la télécommande, puis sa guitare. Il s’installa en face de Lucie, en tailleur sur le lit. Il chercha son regard et se plongea dedans. Quelques accords, deux trois arpèges, il se mit à chanter. Lucie ferma les yeux, et se laisser porter par les douces paroles de son ami.
Une petite douleur au fond de mon cœur
Juste là cachée,
Futile mais réelle,
Belle mais inutile,
Secrète…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Pas de larmes, pas de cris,
Juste un sourire qui faiblit,
Mais l’espoir,
Encore…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une blessure, petite torture,
De l’amour sans doute,
Beaucoup d’amour,
Si fort…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une absence si grande,
Une attente fidèle,
Un besoin d’elle,
Immense…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Juste là, inutile,
Réelle,
Futile,
Secrète, mais vraie…
La chanson se termina sur un accord mineur. Le silence s’installa entre les deux anciens amants. Alors Lucie décida qu’il était temps.
- Je sais que j’ai eu tort…
- Et si on faisait comme si de rien n’était ?
- Tu es toujours aussi peu courageux Antoine. Et pourtant… Pourtant tu es artiste, tu sais prendre en photo la lumière, tu sais jouer de la musique à merveille, tu es champion de natation… De quoi as-tu peur ? Qu’est-ce qui te pousse encore à rester chez toi à vingt-trois ans ? Pourquoi m’as-tu attendu ?
- Ca ne t’est jamais venu à l’idée que je puisse t’aimer plus fort que tout ? Que mes passions devant ton amour, c’est de la rigolade ? Que mon seul et unique rêve était de passer ma vie entière avec toi ?
- On avait 15 ans Antoine…
- Tu m’as aimé ? Tu m’aimes encore ou pas ?
Le cœur d’Antoine s’affolait. Il ne fallait surtout pas la blesser, elle avait l’air d’un petit ange trop fragile pour ces mots là. Surtout, surtout ne pas se disputer…
- Quand ma mère est décédée à son tour, j’ai pensé que plus jamais je ne saurais aimer. Alors je suis partie.
- Et qu’as-tu fais pendant ces trois ans ?
- Je te promets que tu le sauras.
- Et pourquoi es-tu revenue ? demande Antoine.
- Parce qu’il fallait que tu comprennes… répondit Lucie.
Antoine était loin d’être satisfait de ces réponses. Mais à quoi bon insister ? Lucie avait toujours aimé garder une part de mystère, c’était ainsi qu’elle avait su le séduire. Il prit à nouveau la télécommande et ralluma sa chaîne.
- Voici mes toutes dernières compos au piano. Tu es la première à les entendre…
Les notes de musique envahirent à nouveau la chambre. Allongés l’un en face de l’autre, ils se regardèrent longuement. Puis Antoine déposa un baiser sur les lèvres de Lucie. Comme elle ne bougea pas, il lui glissa à l’oreille quelques mots doux, caressa sa nuque, ses joues… Lucie lui rendit ses caresses, ses baisers… Ils firent l’amour, lumière éteinte, en silence, les visages humides des larmes qui coulaient sans contrôle. Lorsque quelques heures plus tard ils s’endormirent, blottis l’un contre l’autre, Antoine glissa un dernier mot à l’oreille de Lucie : « pourquoi ? ».
- C’est toi qui voulait venir chez moi… répondit Antoine sur la défensive.
- Je ne te reproche rien, j’aime beaucoup tes parents tu le sais… Mais ça fait plaisir aussi de se retrouver seule avec toi. Après tout ce temps…
La voix de Lucie s’étrangla. Elle n’osa pas croiser le regard d’Antoine, de peur peut-être d’y trouver des reproches. Pour couper court à cette angoisse soudaine, Antoine mit un cd de Jean Ferrat dans sa chaîne Hifi, et les premières notes de Que serais-je sans toi envahirent la pièce.
- Tu joues encore ? demanda Lucie comme pour sortir de son silence.
- Je compose deux fois plus depuis que tu es partie…
- Alors je m’en vais…
Le sourire aux lèvres, elle fit mine de s’éloigner. Il l’attrapa par les hanches, la souleva et la fit retomber sur le lit. Ils éclatèrent tout deux de rire, et se regardèrent avec toute la tendresse qu’ils se portaient l’un et l’autre.
- Joue pour moi s’il te plait… lui demanda-t-elle en essuyant les larmes au coin de ses yeux.
- Bon alors je coupe Ferrat, j’espère qu’il ne m’en voudra pas…
Antoine chercha la télécommande, puis sa guitare. Il s’installa en face de Lucie, en tailleur sur le lit. Il chercha son regard et se plongea dedans. Quelques accords, deux trois arpèges, il se mit à chanter. Lucie ferma les yeux, et se laisser porter par les douces paroles de son ami.
Une petite douleur au fond de mon cœur
Juste là cachée,
Futile mais réelle,
Belle mais inutile,
Secrète…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Pas de larmes, pas de cris,
Juste un sourire qui faiblit,
Mais l’espoir,
Encore…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une blessure, petite torture,
De l’amour sans doute,
Beaucoup d’amour,
Si fort…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Une absence si grande,
Une attente fidèle,
Un besoin d’elle,
Immense…
Une petite douleur au fond de mon cœur,
Juste là, inutile,
Réelle,
Futile,
Secrète, mais vraie…
La chanson se termina sur un accord mineur. Le silence s’installa entre les deux anciens amants. Alors Lucie décida qu’il était temps.
- Je sais que j’ai eu tort…
- Et si on faisait comme si de rien n’était ?
- Tu es toujours aussi peu courageux Antoine. Et pourtant… Pourtant tu es artiste, tu sais prendre en photo la lumière, tu sais jouer de la musique à merveille, tu es champion de natation… De quoi as-tu peur ? Qu’est-ce qui te pousse encore à rester chez toi à vingt-trois ans ? Pourquoi m’as-tu attendu ?
- Ca ne t’est jamais venu à l’idée que je puisse t’aimer plus fort que tout ? Que mes passions devant ton amour, c’est de la rigolade ? Que mon seul et unique rêve était de passer ma vie entière avec toi ?
- On avait 15 ans Antoine…
- Tu m’as aimé ? Tu m’aimes encore ou pas ?
Le cœur d’Antoine s’affolait. Il ne fallait surtout pas la blesser, elle avait l’air d’un petit ange trop fragile pour ces mots là. Surtout, surtout ne pas se disputer…
- Quand ma mère est décédée à son tour, j’ai pensé que plus jamais je ne saurais aimer. Alors je suis partie.
- Et qu’as-tu fais pendant ces trois ans ?
- Je te promets que tu le sauras.
- Et pourquoi es-tu revenue ? demande Antoine.
- Parce qu’il fallait que tu comprennes… répondit Lucie.
Antoine était loin d’être satisfait de ces réponses. Mais à quoi bon insister ? Lucie avait toujours aimé garder une part de mystère, c’était ainsi qu’elle avait su le séduire. Il prit à nouveau la télécommande et ralluma sa chaîne.
- Voici mes toutes dernières compos au piano. Tu es la première à les entendre…
Les notes de musique envahirent à nouveau la chambre. Allongés l’un en face de l’autre, ils se regardèrent longuement. Puis Antoine déposa un baiser sur les lèvres de Lucie. Comme elle ne bougea pas, il lui glissa à l’oreille quelques mots doux, caressa sa nuque, ses joues… Lucie lui rendit ses caresses, ses baisers… Ils firent l’amour, lumière éteinte, en silence, les visages humides des larmes qui coulaient sans contrôle. Lorsque quelques heures plus tard ils s’endormirent, blottis l’un contre l’autre, Antoine glissa un dernier mot à l’oreille de Lucie : « pourquoi ? ».
[A suivre...]
dimanche 17 mars 2013
Aime moi (3)
Antoine s’excusa. Antoine bredouilla. Antoine manqua de trébucher dans l’escalier en sortant du bâtiment. Parce qu’il la regardait. Elle était tellement belle ! Il se demanda à plusieurs reprises où il avait bien pu dénicher une telle déesse. Il lui prit son sac, d’autorité. Toujours le même, « rouge comme notre amour » disait-elle. Aujourd’hui le sac avait un peu vieillit, un peu déteint.
- C’est une bonne idée d’avoir fait repousser tes cheveux, tenta-t-il pour briser le silence qui s’installait.
- Merci… répondit-elle en baissant les yeux.
La conversation ne s’installait pas. Il y avait eu trop de silences, trop de non dits, trop d’attente pour qu’il en soit autrement. Antoine aurait aimé lui dire qu’il ne lui en voulait pas, que ça avait été son choix et qu’il ne la jugeait pas. Mais cette femme qui marchait à ses côtés lui semblait inconnue. Il avait passé son adolescence avec la petite fille, il ne connaissait rien de la femme. Il avait prévu des retrouvailles difficiles et ne s’était pas trompé. Il lui ouvrit la portière de sa vieille 205. Il cru à cet instant voir un sourire sur le visage de sa bien aimée.
- Pourquoi tu ris ? demanda-t-il, sautant sur l’occasion.
- Depuis le temps, je la pensais à la casse moi la Juju ! répondit-elle.
- Je n’ai pas eu cœur à m’en séparer, et vu qu’elle roule plutôt bien…
« Juju », elle s’était rappelé du nom qu’ils avaient donné à la voiture lorsqu’il l’avait achetée. Les dates se bousculaient dans sa tête, et, pendant qu’il conduisait, il tentait de refaire le puzzle de leur histoire.
- Depuis combien de temps ? demanda-t-il brusquement.
- De quoi ?
- Depuis combien de temps nous nous connaissons ?
- Sept ans, j’avais quinze ans…
Il aurait donné n’importe quoi pour que le silence ne se réinstalle pas entre eux, ne les éloigne pas encore plus…
- Tiens au fait, 2-0 pour l’Olympique Lyonnais, ajouta-t-il
- Tu t’intéresses au foot maintenant ?
- Depuis que je suis entré dans cette voiture pour venir te chercher oui…
- Tu t’attendais à quoi Antoine ?
- Peut-être à une explication…
- Tu l’auras, je te le promets.
Elle l’embrassa sur la joue et il fut tellement surpris qu’il faillit sortir de la route. Ils finirent tout deux le voyage en silence, un silence lourd, gêné, mais qui ne les étonnait plus. Pour Lucie, tout ce passait exactement comme elle l’avait prévu.
- Je te préviens, ma maman a eu un peu de mal quand je lui ai annoncé que tu venais… dit Antoine en sortant le gros sac rouge du coffre. Dis donc, tu as emmené combien de bouquins ?
- J’ai pris ce qu’il me fallait, voir un petit peu plus, on ne sait jamais… Quant à ta mère, je m’en doute un peu, et ne t’inquiète pas, je ne lui en voudrais pas !
Elle lui fit un clin d’œil ravageur, et, sous le regard médusé d’Antoine, elle franchit le pas de la porte, et s’annonça en un « bonjour » retentissant. Antoine vit alors sa mère descendre les petites marches qui menaient à l’entrée, embrasser Lucie et l’inviter à monter dans le salon. Il resta longtemps planté là, le gros sac rouge à bout de bras, les regardant disparaître dans la maison. Il eut soudain très envie de pleurer, mais ne sachant pas trop pourquoi, il se ressaisit, et finit par entrer à son tour dans le domicile familiale. Il entendit alors les deux femmes rire, il posa le sac de Lucie devant la porte de sa chambre et s’empressa de les rejoindre. Lorsqu’il pénétra dans la pièce, Lucie lui adressa un regard plein de mélancolie et de tendresse. Il savait qu’elle aurait beaucoup de choses à lui dire, mais en attendant, il allait falloir rester un peu avec les parents, pour rattraper le temps perdu. Son père d’ailleurs arriva, quelques minutes après, dans un vacarme assourdissant. Il avait fait tomber ses clés sur le beau vase de l’entrée qui avait éclaté en milles morceaux. Au lieu de s’énerver, tout le monde avait rit de bon cœur et l’ambiance à la maison rassura peu à peu Antoine. Il eut très envie de remercier sa mère d’avoir tellement pris sur elle pour à nouveau accepter Lucie.
La journée se passa à merveille. Lucie était bavarde, les parents d’Antoine étaient guillerets, ils avaient fait le premier barbecue de l’année, ils étaient tous allés se promener près des étangs où Antoine avait pris de nombreuses photographies. Ils étaient ensuite retournés à la maison, pour regarder un film. Les heures défilaient à une vitesse affolante, et après le dîner, Antoine regarda ses parents d’un air entendu, pris la main de Lucie et l’entraîna dans sa chambre au sous sol. Il s’allongea sur son lit et Lucie le rejoignit, prenant bien soin de garder ses distances.
- C’est une bonne idée d’avoir fait repousser tes cheveux, tenta-t-il pour briser le silence qui s’installait.
- Merci… répondit-elle en baissant les yeux.
La conversation ne s’installait pas. Il y avait eu trop de silences, trop de non dits, trop d’attente pour qu’il en soit autrement. Antoine aurait aimé lui dire qu’il ne lui en voulait pas, que ça avait été son choix et qu’il ne la jugeait pas. Mais cette femme qui marchait à ses côtés lui semblait inconnue. Il avait passé son adolescence avec la petite fille, il ne connaissait rien de la femme. Il avait prévu des retrouvailles difficiles et ne s’était pas trompé. Il lui ouvrit la portière de sa vieille 205. Il cru à cet instant voir un sourire sur le visage de sa bien aimée.
- Pourquoi tu ris ? demanda-t-il, sautant sur l’occasion.
- Depuis le temps, je la pensais à la casse moi la Juju ! répondit-elle.
- Je n’ai pas eu cœur à m’en séparer, et vu qu’elle roule plutôt bien…
« Juju », elle s’était rappelé du nom qu’ils avaient donné à la voiture lorsqu’il l’avait achetée. Les dates se bousculaient dans sa tête, et, pendant qu’il conduisait, il tentait de refaire le puzzle de leur histoire.
- Depuis combien de temps ? demanda-t-il brusquement.
- De quoi ?
- Depuis combien de temps nous nous connaissons ?
- Sept ans, j’avais quinze ans…
Il aurait donné n’importe quoi pour que le silence ne se réinstalle pas entre eux, ne les éloigne pas encore plus…
- Tiens au fait, 2-0 pour l’Olympique Lyonnais, ajouta-t-il
- Tu t’intéresses au foot maintenant ?
- Depuis que je suis entré dans cette voiture pour venir te chercher oui…
- Tu t’attendais à quoi Antoine ?
- Peut-être à une explication…
- Tu l’auras, je te le promets.
Elle l’embrassa sur la joue et il fut tellement surpris qu’il faillit sortir de la route. Ils finirent tout deux le voyage en silence, un silence lourd, gêné, mais qui ne les étonnait plus. Pour Lucie, tout ce passait exactement comme elle l’avait prévu.
- Je te préviens, ma maman a eu un peu de mal quand je lui ai annoncé que tu venais… dit Antoine en sortant le gros sac rouge du coffre. Dis donc, tu as emmené combien de bouquins ?
- J’ai pris ce qu’il me fallait, voir un petit peu plus, on ne sait jamais… Quant à ta mère, je m’en doute un peu, et ne t’inquiète pas, je ne lui en voudrais pas !
Elle lui fit un clin d’œil ravageur, et, sous le regard médusé d’Antoine, elle franchit le pas de la porte, et s’annonça en un « bonjour » retentissant. Antoine vit alors sa mère descendre les petites marches qui menaient à l’entrée, embrasser Lucie et l’inviter à monter dans le salon. Il resta longtemps planté là, le gros sac rouge à bout de bras, les regardant disparaître dans la maison. Il eut soudain très envie de pleurer, mais ne sachant pas trop pourquoi, il se ressaisit, et finit par entrer à son tour dans le domicile familiale. Il entendit alors les deux femmes rire, il posa le sac de Lucie devant la porte de sa chambre et s’empressa de les rejoindre. Lorsqu’il pénétra dans la pièce, Lucie lui adressa un regard plein de mélancolie et de tendresse. Il savait qu’elle aurait beaucoup de choses à lui dire, mais en attendant, il allait falloir rester un peu avec les parents, pour rattraper le temps perdu. Son père d’ailleurs arriva, quelques minutes après, dans un vacarme assourdissant. Il avait fait tomber ses clés sur le beau vase de l’entrée qui avait éclaté en milles morceaux. Au lieu de s’énerver, tout le monde avait rit de bon cœur et l’ambiance à la maison rassura peu à peu Antoine. Il eut très envie de remercier sa mère d’avoir tellement pris sur elle pour à nouveau accepter Lucie.
La journée se passa à merveille. Lucie était bavarde, les parents d’Antoine étaient guillerets, ils avaient fait le premier barbecue de l’année, ils étaient tous allés se promener près des étangs où Antoine avait pris de nombreuses photographies. Ils étaient ensuite retournés à la maison, pour regarder un film. Les heures défilaient à une vitesse affolante, et après le dîner, Antoine regarda ses parents d’un air entendu, pris la main de Lucie et l’entraîna dans sa chambre au sous sol. Il s’allongea sur son lit et Lucie le rejoignit, prenant bien soin de garder ses distances.
[A suivre...]
jeudi 14 mars 2013
Aime moi (2)
Après être montée dans son train de justesse, Lucie s’était endormie sur l’épaule d’un passager qui n’avait pas osé la réveiller. Elle finit par émerger, une demi-heure avant son arrivée en gare. Elle s’était morfondue en excuses, et pour lui faire comprendre qu’il ne lui en voulait pas, le passager lui dit qu’elle était très belle. Lucie se sentit rougir, et se contenta de lever les yeux au ciel. Elle mit en marche son baladeur et au bout de quelques minutes, elle se tourna vers son voisin :
- Vous voulez écouter ? dit-elle en tendant un des écouteurs, si bien qu’il ne pouvait guère refuser.
- Heu oui qu’est ce que c’est ?
- Peu importe, ça vous plaira. Moi c’est Lucie, et vous ?
- Mathéo.
Ils se regardèrent un long moment, se laissant envahir par les notes de guitare et la voix douce et rauque dans leurs oreilles.
- Qui est-ce ? insista Mathéo.
- C’est un album écrit par l’homme que j’aime pour la femme qu’il aimait.
- Vous êtes souvent mystérieuse comme ça ou c’est votre technique de séduction ?
- Vous aimez ?
- La musique ou la technique ? A vrai dire, j’aime beaucoup les deux…
- Tant mieux alors.
A nouveau, le silence s’installa entre les deux compagnons de voyage. Le piano avait remplacé la guitare, et la voix s’était tue, comme pour laisser au contrôleur le temps d’annoncer la prochaine gare.
- C’est ici que je sors, dit Lucie en rangeant précipitamment ses affaires. Vous permettez ?
Mathéo lui rendit, non sans regret, son écouteur.
- Je n’ai même pas ton numéro de téléphone ! tenta-t-il
- On se tutoie déjà ? A quoi te servirait donc un numéro puisqu’en rentrant ta mère va laver ton jeans avec le petit bout de papier sur lequel je l’aurais écrit, si bien que l’encre aura été effacée et le numéro sera illisible, expliqua Lucie.
- Aucun risque ma mère est décédée, lâcha Mathéo.
Elle sortit un stylo de son sac à main, gribouilla les chiffres sur un coin de serviette en papier, le déposa rapidement sur la table et s’enfuit presque vers la sortie du train. Elle était arrivée.
Le cœur d’Antoine battait à la chamade. Pourquoi juste aujourd’hui, à cette heure là ? Il frappa du poing contre son volant, mais la colère n’y ferait rien. Il était coincé derrière un tracteur, impossible de doubler. Il était en retard à présent et s’en voulait de ne pas être parti avant. A défaut de pouvoir avancer plus vite, il augmenta le volume de la radio. Aux informations, on annonçait un crash d’avion, un tremblement de terre, un attentat et 2-0 pour l’Olympique Lyonnais.
Déçue, Lucie prit les escalators pour descendre dans la gare. Elle se prit à douter : et s’il ne venait pas ? Il était sans doute en retard. Etait-ce une habitude ? Elle eu beau fouiller dans sa mémoire, impossible de s’en rappeler. Soudain, le téléphone.
- Allo ? Allo ?
L’interlocuteur avait déjà raccroché. Lucie regarda l’appareil, circonspecte. C’était sans doute Mathéo, qui vérifiait qu’elle lui avait donné le bon numéro et qui l’appelait en anonyme. Elle se demanda ce qui lui avait pris de passer comme ça son numéro de téléphone à un inconnu. Sa dernière phrase ? Sûrement. Et puis, après tout, il lui avait plu avec ses yeux en amande et ses cheveux bouclés. On aurait dit un ange. Ou un petit diable. Peut-être un peu des deux. Et puis, Lucie croisa enfin le regard d’Antoine. Au bout de l’allée qui menait vers le centre de la gare. Il était debout, l’air un peu penaud. « Ne cours pas… » se répéta intérieurement Lucie. Elle l’observa un peu. Il avait l’air plus vieux, plus mûr. La barbe qu’il laissait apparemment pousser lui donnait un air sérieux et espiègle à la fois. Ses yeux n’avaient pas changé. D’un bleu profond, tirés vers le bas. Ils lui donnaient toujours un regard triste. Il avait, comme à son habitude, protégé ses mains par des gants. Un musicien maniaque, mais précautionneux. Comme elle aimait ses mains ! Elle eu soudain envie de le toucher, de l’embrasser, de l’aimer comme avant. De se sentir protégée, de se lover tout contre son torse. Elle eu envie de le prendre dans ses bras. Mais lorsqu’elle parvint à lui, elle l’embrassa sur les deux joues et lui dit « bonjour ».
- Vous voulez écouter ? dit-elle en tendant un des écouteurs, si bien qu’il ne pouvait guère refuser.
- Heu oui qu’est ce que c’est ?
- Peu importe, ça vous plaira. Moi c’est Lucie, et vous ?
- Mathéo.
Ils se regardèrent un long moment, se laissant envahir par les notes de guitare et la voix douce et rauque dans leurs oreilles.
- Qui est-ce ? insista Mathéo.
- C’est un album écrit par l’homme que j’aime pour la femme qu’il aimait.
- Vous êtes souvent mystérieuse comme ça ou c’est votre technique de séduction ?
- Vous aimez ?
- La musique ou la technique ? A vrai dire, j’aime beaucoup les deux…
- Tant mieux alors.
A nouveau, le silence s’installa entre les deux compagnons de voyage. Le piano avait remplacé la guitare, et la voix s’était tue, comme pour laisser au contrôleur le temps d’annoncer la prochaine gare.
- C’est ici que je sors, dit Lucie en rangeant précipitamment ses affaires. Vous permettez ?
Mathéo lui rendit, non sans regret, son écouteur.
- Je n’ai même pas ton numéro de téléphone ! tenta-t-il
- On se tutoie déjà ? A quoi te servirait donc un numéro puisqu’en rentrant ta mère va laver ton jeans avec le petit bout de papier sur lequel je l’aurais écrit, si bien que l’encre aura été effacée et le numéro sera illisible, expliqua Lucie.
- Aucun risque ma mère est décédée, lâcha Mathéo.
Elle sortit un stylo de son sac à main, gribouilla les chiffres sur un coin de serviette en papier, le déposa rapidement sur la table et s’enfuit presque vers la sortie du train. Elle était arrivée.
Le cœur d’Antoine battait à la chamade. Pourquoi juste aujourd’hui, à cette heure là ? Il frappa du poing contre son volant, mais la colère n’y ferait rien. Il était coincé derrière un tracteur, impossible de doubler. Il était en retard à présent et s’en voulait de ne pas être parti avant. A défaut de pouvoir avancer plus vite, il augmenta le volume de la radio. Aux informations, on annonçait un crash d’avion, un tremblement de terre, un attentat et 2-0 pour l’Olympique Lyonnais.
Déçue, Lucie prit les escalators pour descendre dans la gare. Elle se prit à douter : et s’il ne venait pas ? Il était sans doute en retard. Etait-ce une habitude ? Elle eu beau fouiller dans sa mémoire, impossible de s’en rappeler. Soudain, le téléphone.
- Allo ? Allo ?
L’interlocuteur avait déjà raccroché. Lucie regarda l’appareil, circonspecte. C’était sans doute Mathéo, qui vérifiait qu’elle lui avait donné le bon numéro et qui l’appelait en anonyme. Elle se demanda ce qui lui avait pris de passer comme ça son numéro de téléphone à un inconnu. Sa dernière phrase ? Sûrement. Et puis, après tout, il lui avait plu avec ses yeux en amande et ses cheveux bouclés. On aurait dit un ange. Ou un petit diable. Peut-être un peu des deux. Et puis, Lucie croisa enfin le regard d’Antoine. Au bout de l’allée qui menait vers le centre de la gare. Il était debout, l’air un peu penaud. « Ne cours pas… » se répéta intérieurement Lucie. Elle l’observa un peu. Il avait l’air plus vieux, plus mûr. La barbe qu’il laissait apparemment pousser lui donnait un air sérieux et espiègle à la fois. Ses yeux n’avaient pas changé. D’un bleu profond, tirés vers le bas. Ils lui donnaient toujours un regard triste. Il avait, comme à son habitude, protégé ses mains par des gants. Un musicien maniaque, mais précautionneux. Comme elle aimait ses mains ! Elle eu soudain envie de le toucher, de l’embrasser, de l’aimer comme avant. De se sentir protégée, de se lover tout contre son torse. Elle eu envie de le prendre dans ses bras. Mais lorsqu’elle parvint à lui, elle l’embrassa sur les deux joues et lui dit « bonjour ».
[A suivre...]
mardi 12 mars 2013
Aime moi (1)
Comme un nouveau feeling avec ce nouveau roman. Eh oui, encore un. Celui là me plaît vraiment, les personnages sont clairs dans ma tête, je sais où je veux aller et comment y aller. Il n'y a plus qu'à espérer que ça vous plaise ! Bonne lecture !
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Lucie préparait ses valises, en silence. Elle fit plusieurs fois le tour de la petite chambre d’étudiante qu’elle occupait depuis près de quatre ans. Jetant de fréquents coups d’œil à sa montre, elle s’appliquait à ranger méthodiquement les pantalons, puis les chaussettes, les pulls et la trousse de toilette dans le sac rouge posé sur son lit. Vingt-deux ans de vie dans une valise à roulette et un sac à main noir. Celui-là, c’était Antoine qui lui avait offert. Le seul fait de penser son nom lui donna des frissons, et, pour la première fois depuis le début de son projet, elle sentit la peur lui taillader le ventre. Elle regarda une dernière fois autour d’elle, puis dans un soupir claqua la porte et ferma à double tour.
A cet instant, Antoine ouvrit la porte du réfrigérateur, sortit le jus de pomme que son père s’appliquait à fabriquer chaque automne, se servit un verre et se dirigea vers la fenêtre. Des champs, des champs à perte de vue. Et un soleil, rayonnant pour ce mois de mai qui avait été si ingrat jusqu’à lors. Encore deux heures à attendre.
- A quoi tu penses, Tonin ?
Antoine sursauta. Sa mère avait toujours le don d’apparaître à des instants où l’on s’y attendait le moins.
- Je me disais qu’on pourrait peut-être envisager de finir le muret de la maison, cet été après mes examens… répondit-il.
- D’accord, à une seule condition…
Au ton de sa mère, Antoine comprit qu’elle allait lui proposer quelque chose qu’il ne pourrait pas lui accorder.
- Je t’écoute… lui dit-il anxieux.
- Tu demandes Lucie en mariage avant l’année prochaine !
A ses mots elle éclata de rire et alluma le poste de télévision.
- Je ne trouve pas ça spécialement drôle…
Il reposa son verre encore plein, descendit rapidement les marches de l’escalier qui le menait au sous sol, là où ses parents lui avaient installé sa chambre lorsqu’il avait eu 18 ans. C’était il y a cinq ans. Il essuya d’un geste rageur les larmes qui coulaient le long de ses joues, prit sa guitare et commença à jouer.
Le campus était très étendu, et il fallait le traverser pour atteindre les différentes lignes de tramway. Lucie prit tout son temps, flâna le long des pelouses où de nombreux étudiants désoeuvrés se prélassaient. Il était encore trop tôt, cela ne servait à rien de se presser. La sangle de son sac lui coupait son épaule nue, elle regretta presque d’avoir choisi un haut si léger, mais ce soleil de mois de mai l’avait trop tenté. Lorsqu’elle parvint enfin à son arrêt, elle sortit ses écouteurs et se laissa emporter par les notes que lui offrait son lecteur. Elle ferma les yeux, et se glissa parmi ses souvenirs.
Elle avait 18 ans, lorsqu’ils étaient partis. Enfin partis, c’est ce qu’avait annoncé sa tante. Elle revenait du lycée, par une journée aussi belle que celle-là. Sur le chemin, elle s’était sentie légère, futile, peut-être même amoureuse. Elle avait ouvert la porte en chantonnant, et s’était vite rendue compte que quelque chose ne tournait pas rond.
- Sophie ?
La présence de sa tante dans la maison familiale l’avait surprise, puis inquiétée. Le visage ravagé de Sophie ne laissait rien présager de bon.
- Ils sont partis ma Lulu…
Du reste, Lucie ne voyait que du flou. Elle se rappelle de Sophie lui tombant dans les bras, expliquant entre deux sanglots l’accident, la voiture, et le coma dans lequel restait sa mère. Elle se souvient de son cri, ce hurlement plus fort qu’elle, qu’elle avait poussé en comprenant que plus jamais elle ne serrerait son père dans ses bras.
Lucie ouvrit les yeux, le visage envahit par la tristesse coulant le long de ses joues. La plaie qui s’était ouverte en elle il y a quatre ans ne se refermait pas. Elle jeta à nouveau un rapide coup d’œil à sa montre, cette fois c’était bien l’heure. Elle monta dans le premier tramway, emportant derrière elle son gros sac rouge, rouge comme les souvenirs qui lui brûlaient la tête et le cœur.
Antoine reposa sa guitare. Dans une heure elle sera là. Il ouvrit un livre, le referma. Il avait mal à la tête. Que lui dira-t-il ? Qu’il l’aime ? Ou bien était-ce trop rapide ? Depuis combien de temps se connaissaient-ils déjà ? Six ans, sept ans ? Depuis combien de temps s’étaient-ils perdus de vue ? Lorsqu’il avait vu son numéro s’afficher sur son téléphone portable, il n’y avait pas cru. Et lorsqu’il avait décroché, il avait d’abord pensé qu’elle s’était trompée. Elle n’avait pas confirmé ses doutes, au contraire, elle lui avait demandé si elle pouvait le rejoindre, pour deux jours. Surpris ça oui, il l’avait été. Après tant d’années de silence, d’angoisse, de manque, qu’avait-elle à lui dire ? Il avait accepté, bien évidement, et lorsqu’il avait annoncé la nouvelle à sa mère, il avait vu son visage s’assombrir.
- Parce que tu crois vraiment qu’elle va revenir ? avait-elle dit d’un ton sévère.
- Je crois juste qu’elle n’a jamais disparue.
Ce jour là il avait ressorti tous les albums de photographie. Il avait décidé d’expliquer à ses parents la jolie fille qu’il avait rencontrée ce jour de mars, à côté de son lycée. Il leur avait montré Lucie, lorsqu’elle avait encore ses cheveux longs et bouclés, il leur avait présenté Lucie lorsqu’elle avait décidé de les couper très courts, il leur avait raconté Lucie, son sourire, ses éclats de rire, son visage, son bonheur. Il leur avait expliqué sa vie, à cette époque, qui ne rimait qu’avec le prénom de sa bien aimée : Lucie. Elle était pour lui son souffle, sa raison de vivre. Et ils l’avaient compris, ils l’avaient entendu, écouté.
- Tonin ?
Une fois de plus, Antoine fut interrompu de sa rêverie par sa mère qui ne savait toujours pas frapper à sa porte après vingt-trois ans de vie commune.
- Oui ?
- Excuse moi…
- Ce n’est rien.
Il aurait voulu lui crier qu’il l’avait détesté de l’entendre dire ça. Il avait envie de lui hurler qu’elle ne le comprendrait peut-être jamais mais que c’était ainsi, que lui ne changerait pas.
- Tu m’en veux ?
Elle insistait. Antoine pensa qu’il était inutile de lui mentir.
- Oui…Tu sais maman, j’aimerais qu’on fasse comme si de rien n’était. J’aimerais qu’elle soit toujours la bienvenue, comme avant. Qu’elle soit toujours et encore la fille que tu n’as jamais eue. J’aimerais que tu l’aimes, comme avant.
Elle poussa un soupir, peut-être de la tristesse, sans doute du désarroi. Elle hausse les épaules et quitta la chambre, lâchant juste :
- Ton père devrait bientôt arriver.
Antoine s’approcha de son ordinateur. Son frère, Bastien, lui avait laissé un email. « Hello frangin ! Comment vas-tu ? Avec Lisa on a pensé que tu pourrais venir passer quelques jours après tes examens ici. Qu’en penses-tu ? J’attends de tes nouvelles ! ». Il ferma la fenêtre, prit sa veste, ses clés de voiture et lâcha un « j’y vais ! » avant de refermer derrière lui la porte d’entrée.
A cet instant, Antoine ouvrit la porte du réfrigérateur, sortit le jus de pomme que son père s’appliquait à fabriquer chaque automne, se servit un verre et se dirigea vers la fenêtre. Des champs, des champs à perte de vue. Et un soleil, rayonnant pour ce mois de mai qui avait été si ingrat jusqu’à lors. Encore deux heures à attendre.
- A quoi tu penses, Tonin ?
Antoine sursauta. Sa mère avait toujours le don d’apparaître à des instants où l’on s’y attendait le moins.
- Je me disais qu’on pourrait peut-être envisager de finir le muret de la maison, cet été après mes examens… répondit-il.
- D’accord, à une seule condition…
Au ton de sa mère, Antoine comprit qu’elle allait lui proposer quelque chose qu’il ne pourrait pas lui accorder.
- Je t’écoute… lui dit-il anxieux.
- Tu demandes Lucie en mariage avant l’année prochaine !
A ses mots elle éclata de rire et alluma le poste de télévision.
- Je ne trouve pas ça spécialement drôle…
Il reposa son verre encore plein, descendit rapidement les marches de l’escalier qui le menait au sous sol, là où ses parents lui avaient installé sa chambre lorsqu’il avait eu 18 ans. C’était il y a cinq ans. Il essuya d’un geste rageur les larmes qui coulaient le long de ses joues, prit sa guitare et commença à jouer.
Le campus était très étendu, et il fallait le traverser pour atteindre les différentes lignes de tramway. Lucie prit tout son temps, flâna le long des pelouses où de nombreux étudiants désoeuvrés se prélassaient. Il était encore trop tôt, cela ne servait à rien de se presser. La sangle de son sac lui coupait son épaule nue, elle regretta presque d’avoir choisi un haut si léger, mais ce soleil de mois de mai l’avait trop tenté. Lorsqu’elle parvint enfin à son arrêt, elle sortit ses écouteurs et se laissa emporter par les notes que lui offrait son lecteur. Elle ferma les yeux, et se glissa parmi ses souvenirs.
Elle avait 18 ans, lorsqu’ils étaient partis. Enfin partis, c’est ce qu’avait annoncé sa tante. Elle revenait du lycée, par une journée aussi belle que celle-là. Sur le chemin, elle s’était sentie légère, futile, peut-être même amoureuse. Elle avait ouvert la porte en chantonnant, et s’était vite rendue compte que quelque chose ne tournait pas rond.
- Sophie ?
La présence de sa tante dans la maison familiale l’avait surprise, puis inquiétée. Le visage ravagé de Sophie ne laissait rien présager de bon.
- Ils sont partis ma Lulu…
Du reste, Lucie ne voyait que du flou. Elle se rappelle de Sophie lui tombant dans les bras, expliquant entre deux sanglots l’accident, la voiture, et le coma dans lequel restait sa mère. Elle se souvient de son cri, ce hurlement plus fort qu’elle, qu’elle avait poussé en comprenant que plus jamais elle ne serrerait son père dans ses bras.
Lucie ouvrit les yeux, le visage envahit par la tristesse coulant le long de ses joues. La plaie qui s’était ouverte en elle il y a quatre ans ne se refermait pas. Elle jeta à nouveau un rapide coup d’œil à sa montre, cette fois c’était bien l’heure. Elle monta dans le premier tramway, emportant derrière elle son gros sac rouge, rouge comme les souvenirs qui lui brûlaient la tête et le cœur.
Antoine reposa sa guitare. Dans une heure elle sera là. Il ouvrit un livre, le referma. Il avait mal à la tête. Que lui dira-t-il ? Qu’il l’aime ? Ou bien était-ce trop rapide ? Depuis combien de temps se connaissaient-ils déjà ? Six ans, sept ans ? Depuis combien de temps s’étaient-ils perdus de vue ? Lorsqu’il avait vu son numéro s’afficher sur son téléphone portable, il n’y avait pas cru. Et lorsqu’il avait décroché, il avait d’abord pensé qu’elle s’était trompée. Elle n’avait pas confirmé ses doutes, au contraire, elle lui avait demandé si elle pouvait le rejoindre, pour deux jours. Surpris ça oui, il l’avait été. Après tant d’années de silence, d’angoisse, de manque, qu’avait-elle à lui dire ? Il avait accepté, bien évidement, et lorsqu’il avait annoncé la nouvelle à sa mère, il avait vu son visage s’assombrir.
- Parce que tu crois vraiment qu’elle va revenir ? avait-elle dit d’un ton sévère.
- Je crois juste qu’elle n’a jamais disparue.
Ce jour là il avait ressorti tous les albums de photographie. Il avait décidé d’expliquer à ses parents la jolie fille qu’il avait rencontrée ce jour de mars, à côté de son lycée. Il leur avait montré Lucie, lorsqu’elle avait encore ses cheveux longs et bouclés, il leur avait présenté Lucie lorsqu’elle avait décidé de les couper très courts, il leur avait raconté Lucie, son sourire, ses éclats de rire, son visage, son bonheur. Il leur avait expliqué sa vie, à cette époque, qui ne rimait qu’avec le prénom de sa bien aimée : Lucie. Elle était pour lui son souffle, sa raison de vivre. Et ils l’avaient compris, ils l’avaient entendu, écouté.
- Tonin ?
Une fois de plus, Antoine fut interrompu de sa rêverie par sa mère qui ne savait toujours pas frapper à sa porte après vingt-trois ans de vie commune.
- Oui ?
- Excuse moi…
- Ce n’est rien.
Il aurait voulu lui crier qu’il l’avait détesté de l’entendre dire ça. Il avait envie de lui hurler qu’elle ne le comprendrait peut-être jamais mais que c’était ainsi, que lui ne changerait pas.
- Tu m’en veux ?
Elle insistait. Antoine pensa qu’il était inutile de lui mentir.
- Oui…Tu sais maman, j’aimerais qu’on fasse comme si de rien n’était. J’aimerais qu’elle soit toujours la bienvenue, comme avant. Qu’elle soit toujours et encore la fille que tu n’as jamais eue. J’aimerais que tu l’aimes, comme avant.
Elle poussa un soupir, peut-être de la tristesse, sans doute du désarroi. Elle hausse les épaules et quitta la chambre, lâchant juste :
- Ton père devrait bientôt arriver.
Antoine s’approcha de son ordinateur. Son frère, Bastien, lui avait laissé un email. « Hello frangin ! Comment vas-tu ? Avec Lisa on a pensé que tu pourrais venir passer quelques jours après tes examens ici. Qu’en penses-tu ? J’attends de tes nouvelles ! ». Il ferma la fenêtre, prit sa veste, ses clés de voiture et lâcha un « j’y vais ! » avant de refermer derrière lui la porte d’entrée.
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