samedi 27 avril 2013

Aime moi (10)

Deux tours de clé. Les volets ouverts. L’appartement silencieux. Mathéo soupira, posa son sac de sport sous le petit meuble de l’entrée, et se dirigea vers son frigo. Vide. Comme l’appartement. Comme sa tête. Comme sa vie. Ou presque. Il avait Olivier. Olivier qui ne le lâchait jamais. Qui était toujours là, qui le secouait, qui le rappelait à la vie. Qui lui donnait envie de se lever le matin. Avec qui il avait eu cette histoire un peu bizarre, mais qui ne les avait pas séparés. Au contraire. Olivier. Un pote comme on n’en rencontre peu.
-    Merde mon téléphone !
Mathéo se précipita sur l’appareil qui clignotait rapidement. Trois appels manqués. Fébrilement, il consulta la liste. Deux numéros cachés, Et un qu’il ne connaissait que trop bien. Il soupira. Pas de message sur le répondeur. Il hésita longuement, avant d’appuyer sur la touche de rappel.
-    Bonjour Sophie…
-    Bonjour mon grand, comment vas-tu ? Je viens aux nouvelles puisque tu ne m’en donne jamais !
-    Je vais bien. Je suis en vacances actuellement. Et là je rentre d’une petite session de grimpe avec Olivier.
-    …
-    Quoi ?
-    Non, rien,  je m’attendais à un : «  et toi comment vas-tu ? » !
-    Sophie ne me force pas, tu as déjà bien de la chance que je te rappelle !
-    De la chance ? Si c’est pour que tu fasses ta tête de mule, ce n’était pas forcément nécessaire !
-    Si c’est pour qu’on se fâche une fois de plus, je raccroche. A bientôt Sophie, porte-toi bien !
De rage, Mathéo jeta son téléphone à travers la pièce. Il détestait cette femme. Pourtant, c’était la seule famille qui lui restait. La seule ? Non, il y avait Elsa, quelque part. Elsa qui lui avait été arraché, à cause de Sophie. Elsa et son beau regard bleu, ses yeux innocent, son sourire de petite fille. Il prit la photo sur la table du salon entre les mains.
-    Je te retrouverai, je te retrouverai...
Avant qu’il ait le temps de s’inquiéter de cette nouvelle crise de folie, son téléphone sonna à nouveau. Chassant l’envie de le jeter par la fenêtre d’un revers de la main, Mathéo souffla profondément et décrocha.
-    Mathéo Milera, j’écoute ?
-    Vous êtes bien monsieur Milera ? demanda une voix féminine.
-    Oui, c’est moi-même, je viens de me présenter. A qui ai-je l’honneur ?
-    Mathéo ?
-    C’est moi ! Que voulez-vous ? s’emporta le jeune homme.
Sa mystérieuse interlocutrice avait déjà raccroché.
-    Merde !
Fou d’une rage presque incontrôlable, Mathéo lança violemment son téléphone contre le mur, qui explosa en une multitude de petites pièces. Il enfuit quelques secondes sa tête dans ses mains.  Puis, il reprit son calme, farfouilla dans son bureau, retrouve son ancien téléphone, récupéra la carte Sim à terre et la glissa à l’intérieur. Il appuya sur le bouton marche et le posa soigneusement sur le petit meuble de l’entrée.
-    Et un de plus, pensa-t-il tout haut.
Qui était donc cette appelante anonyme ? Immédiatement, il pensa à la jeune fille du train. Son cœur se mit à battre plus vite, et il se rendit compte qu’il transpirait. Mais très vite, sa raison lui revint. Il n’avait jamais donné son nom, ni son numéro. Et comme pour étayer son constat, il déplia la serviette en papier, et enregistra le numéro noté, d’une main maladroite. En guise de nom, et puisque sa mémoire lui faisait défaut, il entra « la fille du train ».
Puis il alla se coucher, tout habillé et enfouit sa tête dans son oreiller.

A des kilomètres de là, Bastien, les yeux rivés sur son écran, apprenait l’accident de son frère Antoine, et le coma dans lequel il se trouvait à présent. Comme pour se rassurer, il caressa longuement le ventre de sa femme, Lisa, qui attendait depuis peu un heureux évènement.
- Si tu es d’accord, il sera le parrain…
Lisa jugea bon de ne rien ajouter. Le silence entre eux exprimait à lui seul toute la peine qui régnait dans leur appartement.

Le silence était aussi éloquent dans la chambre d’hôtes que Lucie occupait depuis son départ de chez Antoine. Avait-elle fait le bon choix ? Les questions se bousculaient dans sa tête, et elle l’avait imaginé cent fois lire sa lettre. Aurait-il le courage de faire ce qu’elle lui avait demandé ? Pourquoi fallait-il que tout soit toujours compliqué pour elle ? Couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, elle fit l’inventaire de ce qui l’entourait.

[A suivre...]

samedi 20 avril 2013

Aime moi (9)

-    Merde, j’ai pas pris mon téléphone ! râla Mathéo après dix minutes de route.
-    Hein ?
Olivier baissa le son. Mathéo répéta.
-    Tu es obligé d’être vulgaire ? Tu fais ça aussi à l’école ?
-    Alors déjà je parle comme je veux, ensuite tu n’es pas venu pour me faire la morale mais pour qu’on grimpe ensembles et enfin je ne sais pas si je dois faire demi tour ou pas…
-    Tu attends un appel ?
-    Non. Sûrement pas pendant les vacances.
-    Alors pourquoi tu doutes ?
-    On va vraiment se disputer comme un vieux couple tout le long du trajet ou tu as quand même envie de passer une bonne journée ?
A nouveau, le silence s’installa entre les deux hommes. Mathéo ne comprenait pas lui-même sa mauvaise humeur. Sans doute la conséquence d’un sommeil trop peu réparateur. Il se força à se concentrer sur le paysage. Peu à peu, la forêt s’effaçait pour laisser place à la roche et les falaises. Rapidement, presque irrémédiablement, il se sentit apaisé. La montagne lui avait toujours fait cet effet. C’est pour cela que presque tout naturellement il s’était mis à l’escalade il y a cinq ans de cela. Il avait rencontré Olivier dans le club où il s’était inscrit, et ils s’étaient rapidement liés d’une amitié forte et sincère. Olivier supportait les coups de sang de son ami sans broncher, tandis que Mathéo acceptait l’hyperactivité d’Olivier sans ciller. « Le couple idéal », pensa-t-il en ricanant.

-    Prend le bac au-dessus de toi, ça a l’air de bien tenir !
En bas de la voie, Olivier devait hurler pour se faire entendre. Le vent soufflait fort, mais l’escalade avait adouci l’atmosphère entre les deux amis. Olivier savait très bien pourquoi son ami se comportait parfois ainsi. Sa mauvaise humeur récurrente n’était pas un mystère pour lui. Mais il refusait de le laisser aller à sa déprime, et le secouait fréquemment afin qu’il aille de l’avant. « Un jour il me remerciera » se prenait-il à penser parfois. Voyant Mathéo en difficulté, Olivier tendit la corde d’un coup sec pour lui éviter une chute trop violente. Mathéo chuta, sur quelques mètres, et le prénom qu’il cria ne parvint malgré le vent jusqu’aux oreilles d’Olivier.
-    Ca va ? s’enquit ce dernier.
-    Oué, j’ai un peu flippé c’est tout. Je repars !
-    Ok !
« Elsa ». Il avait crié « Elsa ». Olivier songea alors que Mathéo était loin, très loin d’être guéri de sa tristesse, et que la route était encore longue sur le chemin du bonheur.

Les deux amis ne dirent mot dans la voiture au retour. Non contents de leurs performances, ils n’en étaient pas moins épuisés. Olivier, qui avait pris le volant, alluma la radio.
… circulation. On nous apprend qu’un grave accident a eu lieu sur la nationale 42, à hauteur du bois de la Volière. Le choc frontal impliquait deux véhicules, et parmi les victimes, un des chauffeurs est grièvement blessé et a été transféré à l’hôpital de la Charité. Et toute suite, le sport avec…
-    Pourquoi tu éteins ? demanda Mathéo, de façon presque agressive.
-    Je déteste allumer la radio et tomber sur une info comme ça, ça me fout le bourdon, et j’ai toujours l’impression que c’est un mauvais présage.
-    T’es timbré toi !
Olivier sourit, et n’osa pas rétorquer que des deux, il n’était certainement pas le plus atteint.
-    On remet ça demain ? préféra-t-il demander pour changer de sujet.
-    Non demain j’ai un rendez-vous chez le dentiste, j’ai un sacré mal de dents depuis quelques jours…
Au ton que Mathéo avait employé, Olivier sut tout de suite que son ami lui mentait. Il préféra ne pas relever, et se gara devant l’immeuble.
- Tu veux monter ? interrogea Mathéo, sans grande conviction.
- Non je vais te laisser tranquille, on se voit jeudi alors ?
- Va pour jeudi ! Merci pour la journée, c’était top !
Ils se serrèrent chaleureusement la main et se prirent dans les bras. Ils avaient pris l’habitude d’agir ainsi à chaque fois qu’ils se séparaient, depuis le jour où Olivier avait subit une opération lourde, il y a trois années de cela.
 
[ A suivre...]

dimanche 14 avril 2013

Prix Don Quichotte

Ce concours de nouvelles ouvre à nouveau ses portes cette année, et le sujet sera :
"Passage (s)"

Un nouveau défi d'écriture dans lequel je me lance volontiers ! Pour des raisons liées au règlement de ce concours, je vais retirer le texte : "Randonnée mortelle" de ce blog, afin de pouvoir m'en servir en toute liberté pour écrire ma nouvelle. 

Par ailleurs, la publication d'"Aime moi" va ralentir quelque peu, afin de me laisser plus de temps d'écriture libre. 

Merci, chers lecteurs, de votre compréhension et de votre soutien ! A très vite !

Aime moi (8)

On frappa à la porte. Mathéo s’éveilla en sursaut. Il entendit hurler :
-    Qu’est-ce que tu fous, il est neuf heures !
Hein ? Quoi ? Neuf heures ? Ah non, c’est vrai, ce sont les vacances. C’est sans doute Olivier pour aller grimper. Mathéo ne prit pas la peine d’enfiler un t-shirt, se leva précipitamment et alla ouvrir à son ami.
-    Pas trop tôt ! Quelle mauvaise mine ! T’as bu ou quoi ?
-    Olivier, il faudra que tu m’expliques un jour comment tu fais pour être branché sur cent milles volts dès le matin… Non je n’ai pas bu, et oui j’ai mauvaise mine car j’ai passé une drôle de nuit. Entre, tu vas prendre un café en m’attendant, comme tu peux l’imaginer je suis loin d’être prêt.
Non sans faire une ultime remarque quelque peu désobligeante, Olivier suivit son ami à l’intérieur de l’appartement. Ca sentait le renfermé. Depuis combien de temps Mathéo n’avait-il pas aéré ? Il fit rapidement le tour de la pièce, et d’un regard il repéra les chaussettes sales, le bol de pâtes à moitié vide, les copies étalées par terre et les mouchoirs utilisés.
-    Ca te dérange si j’ouvre un peu ?
-    Fais comme chez toi ! hurla Mathéo. Et ne me parle plus, j’entends rien sous la douche !
-    Et mon café ?
Comme aucune réponse ne vint à ses oreilles, Olivier ouvrit les rideaux et la fenêtre en grand. Quelle idée de vivre cloîtré comme ça ! Surtout quand on aime le grand air comme Mathéo. Olivier avait parfois bien du mal à comprendre son ami. Un peu maniaque, il entreprit de jeter les déchets qui envahissaient le sol et la table basse. Son regard fut alors attiré par une serviette chiffonnée. Il pouvait distinguer nettement les dix chiffres, ces fameux chiffres qui permettent de se joindre un peu partout et n’importe quand. Il sourit et reposa la serviette au même endroit sur la table.
-    Tu as fait du café ?
Olivier sursauta en entendant la voix toute proche de Mathéo. Il se retourna pour voir celui-ci en train de s’essuyer les cheveux à l’aide d’une grande serviette bleue.
-    Bah quoi ? Tu as fait une bêtise ? Il est trop fort ? insista Mathéo.
-    Non, je n’ai pas eu le temps d’en faire, je rangeais ton petit bordel, pardonne moi l’expression. Et si ça ne te dérange pas, j’aimerais bien que tu mettes un slip.
Mathéo haussa les épaules et pris la direction de sa chambre. Pendant ce temps, Olivier s’attela à faire du café dans la cafetière italienne de son ami. Elle était si vieille qu’il se prit à penser aux innombrables anecdotes qu’elle raconterait si elle pouvait parler.
-    Tu as fait des rencontres récemment ? ne put s’empêcher de demander Olivier.
-    Rien d’extraordinaire pourquoi ? interrogea Mathéo qui avait enfilé un jean.
Son torse nu laissait entrevoir un tatouage juste au dessus de sa hanche.
-    Rien, il y a un numéro qui traîne sur ta table. Parmi tant d’autres choses tu me diras !
-    Ah oui, c’est une fille que j’ai vu dans le train. Je ne sais même pas pourquoi je lui ai demandé son téléphone.
La réponse plutôt sèche de Mathéo déconcerta Olivier qui préféra ne rien ajouter. Il prit deux tasses propres dans les placards de la cuisine de son ami et amena le café dans le salon.
-    Bon, qu’est ce qu’on se fait aujourd’hui ? demanda Mathéo.
-    On pourrait aller au rocher du Lion, il n’a pas trop plu ces derniers temps, ça devrait être sec. On pourrait tenter la Solitude, en 7a si ça te branche. Il y a deux relais.
-    Je pense que niveau solitude je donne assez bien, mais tu me diras, un peu plus ou un peu moins…
-    Hé ! C’est toi qui le veut bien Mathéo, n’essaye pas de m’apitoyer, c’est toi qui décide de ta vie, pas les autres !
-    Ne te fâche pas, je faisais un peu d’humour noir, c’est tout. Bon, je suis prêt, on y va ?
A ces mots, Mathéo se leva, empoigna le sac qui traînait dans l’entrée, pris les clés de sa voiture. Olivier le suivit en silence, alluma la radio, trop fort pour permettre toute discussion. Et ce n’était sans doute pas un hasard.

[A suivre...]

lundi 8 avril 2013

Aime moi (7)

 2

Deux tours de clé. Les volets fermés. L’appartement silencieux. Mathéo soupira, posa son sac sur le petit meuble de l’entrée, et se dirigea vers son frigo. Vide. Comme l’appartement. Comme sa tête. Comme sa vie.
Un paquet de pâte, l’eau qu’on met à bouillir, la télé qu’on allume. Le bruit de fond qui rassure, le robinet qui fuit et qui agace… Les mêmes pas, au même endroit, aux mêmes moments. Les mêmes gestes, dénués de sens. Et pas un mot à prononcer. A personne.
Sur la petite table du salon, une photo qui traine. Une fillette tend la main vers le ciel, sans doute pour attraper un quelconque insecte. Le ciel est bleu, la prise est idyllique, trop belle pour être réelle. Un peu comme un flash, sur un instant de bonheur trop vite effacé. Pas la peine d’ouvrir ces foutus volets, ils protègent au moins du bruit de la rue.
Mathéo s’affala dans le canapé, le bol de coquillettes au beurre bien calé entre ces jambes. Il repensa à sa journée, à sa jolie rencontre avec cette fille. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Julie ? « T’es vraiment un gros débile, tu croises une fille magnifique et tu ne retiens même pas son prénom ! ». Il extirpa péniblement la serviette en papier de son jean trop serré.
-    Il faudra que je pense à faire du shopping un de ces quatre ! dit-il tout haut comme pour palier l’angoisse qui le prenait subitement.
Il manipula nerveusement son téléphone, tapa les premiers chiffres, effaça, recommença l’opération à maintes reprises. Finalement il abandonna. A quoi bon, cette fille là devait sans doute rejoindre son fiancé, sans doute un musicien bellâtre qui ne séduit que parce qu’il est bon au piano ou une guitare entre les mains. D’un autre côté, il avait aimé la musique qu’elle lui avait fait écouter. Il essaya de se rappeler de la mélodie, et chanta distraitement l’air.
-    Tu deviens dingue mon pauvre Mathéo !
Pour se ressaisir, il prit son sac, l’ouvrit et en sortit un paquet de copies de ses élèves de CE2, réalisée la semaine avant les vacances scolaires. L’enseignement. Finalement c’était peut-être ça qui l’avait sauvé. Le plaisir de transmettre, de voir cette lumière qui s’allumait parfois dans le regard des enfants. Ce bonheur qu’il avait chaque matin quand il pénétrait dans sa classe et observait les murs couverts des productions de ses élèves. Il aimait son métier, passionnément, sans doute la seule chose qu’il savait aimer finalement. Du haut de ses 25 ans, il était encore jeune dans la profession, aussi il s’était retrouvé dans une école de village, à une heure de train de chez lui. Mais peu lui importait. Ces voyages lui permettaient de préparer sa classe à l’aller, et de décompresser au retour. Parfois, il écrivait. Parfois il lisait. Parfois il observait simplement les autres passagers. Lorsqu’il passait le portail de l’école, il se ressentait toujours cette petite fierté. Son métier l’équilibrait, lui rendait un peu de la raison qu’il perdait au fur et à mesure du temps qui passe.
Il se plongea dans la première rédaction du tas de copies : « à ton tour, écris un conte à la manière de cet auteur ». Chloé avait relativement bien travaillé, la structure était respectée, l’orthographe avait été corrigée au fur et à mesure de la réécriture. Le texte manquait un peu de piment, de magie, mais Mathéo gratifia son travail d’un B+ prometteur. Lorsqu’il commença la lecture de la copie de Maxime, son regard se fixa longuement sur la première phrase : « Les contes de fées n’existent pas ».
-    Tu ne crois pas si bien dire mon bonhomme ! ne put s’empêcher de s’exclamer Mathéo.
Soudain, il se sentit désarmé. Accablé même. Une profonde et terrible tristesse l’envahit, sans crier gare. Il ne put corriger la suite. Il s’allongea sur le canapé, et pleura. Le visage de la fillette sur la photo restait rayonnant, insouciant, à milles lieues d’imaginer le chagrin qui régnait dans la pièce. Puis, doucement, presque imperceptiblement, Mathéo s’endormit, ignorant son téléphone qui clignotait silencieusement, annonçant la venue d’un message.

[...]

lundi 1 avril 2013

Aime moi (6)

Lucie s’éloigna pour rappeler sa sœur. Elle n’osait pas avouer à Antoine que sa réaction était surtout due au fait qu’elle espérait découvrir qui était son mystérieux interlocuteur. Quel intérêt peut-on bien trouver à appeler quelqu’un sans dire un mot ? Entendre le son de sa voix ? Elle n’avait aucun prétendant susceptible de commettre une telle absurdité. A part Antoine bien sûr ! Elle sourit en se faisant cette remarque et composa le numéro de sa petite sœur.
-    Marie ? C’est Lucie…
-    Tu pourrais décrocher quand je t’appelle !
-    Excuse-moi… Comment vas-tu ?
-  Plutôt bien, écoute, je n’ai pas beaucoup de temps, mais j’ai quelque chose de très important à t’annoncer.
-    Tu es enceinte ?
-    Tu as fini d’être sarcastique ?
-    Désolée, je me suis levée du pied gauche…

Antoine observait Lucie. Il ne la quittait pas des yeux. Il analysait ses moindres faits et gestes. Il la dévorait du regard. Il savait qu’il fallait qu’il en profite. Dans quelques heures, elle l’embrasserait sur les deux joues, elle lui tirerait la langue et entrerait dans son train avec son sac de voyage rouge. Et l’intégralité de ses affaires. Antoine avait compris qu’elle partait, car il avait vu tout ce qu’elle avait emmené. Il la connaissait par cœur, et elle n’avait pas emmené tous ses livres seulement pour un week-end. Et puis il y avait ce carnet, son carnet de notes qu’elle ne transportait que pour les grandes occasions. Soudain, Antoine remarqua l’agitation de Lucie. Il s’approcha un peu, pour saisir la conversation : « Il t’a demandé quand ? … Vous avez bien réfléchi ? … Je ne peux rien te garantir… Allo ? Je ne t’entends plus… Marie ? »

Lucie raccrocha, et s’assit sur le premier objet à sa portée. Elle regarda Antoine, qui l’interrogeait du regard.
-    Ma sœur se mari…
-    Félicitations !
-    Tu me prends pour une bille ? Elle est plus jeune que moi !
-    Et alors ? Elle fait peut être les choses dans l’ordre elle…
Immédiatement, Antoine regretta ses paroles. La colère de Lucie ne se fit pas attendre. Elle était tellement impulsive. Et tellement belle lorsqu’elle était fâchée… Antoine ne cessa de l’admirer, malgré les remontrances, malgré le déluge de reproches… Qu’importe après tout, elle allait partir, ce serait la fin d’une histoire, la fin d’une petite parenthèse dans sa petite vie bien trop inutile pour avoir un réel sens. Alors oui, qu’elle s’énerve après lui, qu’elle le gronde, qu’elle le réprimande, après tout, cela n’avait aucune importance… Pourvu qu’elle soit là, qu’il puisse la regarder, l’entendre et l’aimer, en silence.

Finalement, Lucie était partie. A l’heure prévue. Dans le train prévu. Elle l’avait longuement embrassé sur le quai de la gare. Elle lui avait tiré la langue. Mais elle n’avait dit mots. Elle ne lui avait pas précisé qu’elle ne reviendrait pas de ce long voyage. Elle n’avait eu le courage de lui dire que cet au revoir ne signifiait qu’un adieu. En rentrant, il trouverait la lettre. En rentrant, il comprendrait, peut-être…

Sur le chemin du retour, Antoine serrait les mains sur son volant si fort qu’il commençait à avoir mal. Qu’importe la douleur physique, puisqu’à présent plus rien n’avait de sens. Elle n’avait pas eu le courage de lui dire « à tout jamais ». Pourquoi l’avait-elle revu ? Elle n’avait répondu à aucune de ses questions, pourtant elle l’avait promis… Des larmes plein les yeux, des pensées plein la tête, lorsqu’il passa la ligne blanche continue, il ne s’en rendit même pas compte… Et lorsque la voiture d’en face le heurta de plein fouet, il ressentit d’abord la douleur, puis son esprit s’apaisa, pour quelques heures, il sombra…

[Fin du chapitre...]