dimanche 30 septembre 2012

Une nuit...

La nuit. La nuit, sa solitude, ses doutes, ses secrets. La nuit et ses peurs, la nuit et ses remords. La nuit et ses lumières, ses craintes, ses regrets. La nuit, celle qui nous enveloppe, comme une carapace trop fragile, qui ne nous protège de rien. Une nuit, la sienne. 
Elle a les yeux grands ouverts. Pas moyen de dormir, pas moyen d'oublier. Elle observe tous les détails de la chambre, comme si sa vie en dépendait. Les murs blancs, une photo de couple sur la table de chevet, un gros bouquet de fleurs, des draps qui sentent le propre. Le lit au milieu de la chambre, et là-bas, l'armoire. Elle pourrait se lever, prendre son sac, fouiller, regarder le téléphone. L'appeler. Mais il est si tard, répondrait-il ? Elle a peur d'être déçue, elle a trop peur qu'il ne réponde pas, elle a peur... D'avoir peur. 
Couchée sur le dos, elle regarde le plafond. Tiens, une légère fissure, là. C'est fou comme les yeux peuvent s'habituer à l'obscurité. Pas de tic tac, pas de réveil. Pas moyen de savoir l'heure en fait. Mais elle sait bien qu'il est tard, cela fait quelques heures déjà que le sommeil ne vient pas. 
Pourtant elle doit se reposer. Il lui faudra des forces, pour affronter demain. Pour affronter la vie. Mais demain est un autre jour, et cette nuit, ses pensées l’assaillent, elle ne sait plus vraiment où donner de la tête. Elle songe à tout ça. A ce qu'elle vient de vivre.
 Elle se souvient de leurs débuts, lorsqu'il venait en scooter lui rendre visite chez-elle. Son père n'aimait pas tellement ça, il le regardait d'un mauvais œil, derrière le rideau de la cuisine. Elle avait tout de suite su que ce serait lui. Les premiers émois, à vélo sur les routes de campagne, les premières fois, dans le champ du voisin, les premières disputes aussi, pour les mêmes raisons souvent. 
Et puis un jour, l'appartement. Le premier. Dans un immeuble bleu, juste en face d'un arrêt de bus. Pas de balcon, mais deux grandes pièces et une cuisine américaine. Les petits déjeuners ensembles, la première machine à laver, le stress du travail, et la demande en mariage : une bague, dans un écrin, donnée un soir, dans le champ du voisin, alors qu'ils rendaient visite à ses parents. 
Elle tente de se retourner, mais elle a un peu mal. Pas moyen de changer de position. Tant pis. Elle avait cru que le jour du mariage serait le plus beau de sa vie. Hier, elle a compris qu'elle se trompait. Furtivement, une larme traverse sa joue. 
Il y en avait eu des coups de gueules, des avis divergeant, des doutes. Il y en avait eu des "je demande le divorce" et des "ça va mal finir !". Mais il y avait aussi eu des éclats de rires, des moments de douceurs, du bien-être et du bonheur... 
Finalement, elle se lève. A quoi bon forcer la chose, si le sommeil ne vient pas. Sur la pointe des pieds, elle pousse la porte. La lumière du couloir est allumée, mais tout semble calme. Elle arpente, d'un pas léger et régulier ce couloir interminable. Là, une porte vitrée, des petites fleurs à côté de la poignée. Elle y plaque son visage, et les mains pour empêcher les reflets. 
Il y avait eu ce jour, où il avait accepté. S'en était suivie une longue période, et quelques déceptions. Et puis, la joie, intense. Neuf mois plus tard, c'était hier. 
Dans la pouponnière de l'hôpital, Alice semble dormir poings fermés.
- Je peux vous aider ? 
Elle sursaute. Une infirmière se tient là, juste derrière elle. 
- Non, j'étais juste venue voir ma fille. 
- Vous êtes la maman d'Alice ? Ne vous inquiétez pas, elle va très bien. Je vous conseille d'aller vous reposer à présent. 
Elle acquiesce, reprend le couloir, en sens inverse. Toujours le même pas, léger et régulier. La porte de la chambre qui grince. L'armoire. Le lit. La photo de couple sur la table de chevet et le gros bouquet de fleurs. Elle s'allonge à nouveau, regarde le plafond. Le plus beau jour de sa vie ? Hier, évidement...

jeudi 27 septembre 2012

Rivages (2)

L’hôtel Les Rivages se trouve à la sortie du petit village de Kernohan. Face à l’océan. Le mauvais temps fait gronder les vagues. Le car s’éloigne. Les joues de Lucie sont humides. « Nous y sommes… ». C’est une vieille bâtisse en pierre taillée, quelques roses trémières tentent ça et là de résister à la tempête qui se prépare. Le petit parc à l’arrière semble isolé de tous les regards indiscrets. Lucie observe, décrypte, scrute, les moindres détails, comme s’il fallait se nourrir de ces images pour se souvenir, pour se rappeler, pour comprendre ce qu’elle faisait là.
Le petit chat de la publicité accoure. On aurait pu croire qu’il l’attendait. Rapidement, il se met à ronronner. A se frotter dans ses jambes. Lucie lui gratte un peu la tête, le chaton se roule par terre, puis s’éloigne. Le bruit assourdissant des vagues angoisse Lucie. Elle se hâte vers l’entrée de l’hôtel. Il manque un V à l’enseigne. Hôtel « Les Riages ». Pourquoi pas…
Une petite cloche retentit lorsqu’elle pousse la porte. Une dame d’une cinquantaine d’année, un peu ronde, l’accueille tout sourire.
-    Bonjour mademoiselle ! J’imagine que vous venez pour la réservation ?
-    Oui, c’est moi qui aie appelé hier…
-    Quelle idée de venir ici en cette saison ! Mais vous verrez, le mois de Novembre a aussi ses atouts, même au fin fond de la Bretagne !
-    Je ne suis pas à la recherche du soleil…
-    Voici vos clés, vous pourrez venir régler tout à l’heure. Votre chambre est en haut du petit escalier, là, à gauche. Si elle ne vous convient pas, n’hésitez pas à me le dire, vous êtes la seule cliente !
-    Y-a-t-il un tabac dans le coin ?
-    Oui, juste en bas de la rue. Vous tournez le dos à l’océan, vous passez quatre maisons et vous y êtes.
-    Merci…
Martine, la gérante de l’hôtel, regarde Lucie s’éloigner vers sa chambre. Quel âge peut-elle avoir ? Une vingtaine d’année ? Elle songe à sa fille. Elle aurait sans doute eu son âge. D’un revers de la main, elle efface la tristesse qui tente une fois de plus d’investir son visage. Elle ne se laissera pas abattre.
Lucie tourne la clé, pousse la porte. La petite chambre la ravit. Les murs sont peints en blancs, des tableaux représentants les différents phares de la Bretagne sont accrochés au-dessus du grand lit. Un bouquet de fleurs orne l’étagère au dessus du petit bureau. Lucie ouvre rapidement son sac. Elle rangera ses affaires plus tard. En sortant un pull aux rayures marines, son téléphone portable tombe, et rebondit trois fois sur le sol. Lucie le ramasse. L’ouvre. Le referme. Le dépose sur le bureau. Le reprend dans ses mains. Ouvre la fenêtre. Respire. Le met dans sa poche. Elle remplit son sac à dos : une bouteille d’eau, un imperméable, son portefeuille. Elle quitte la chambre.
Martine est encore dans le hall. Lucie lui fait un signe de la main, puis s’éloigne vers la sortie. D’abord, les cigarettes. Ensuite on verra. Elle descend la rue, dos à l’océan. Les maisonnettes à la façade blanche semblent toutes vides. Aussi vides que le cœur de Lucie. Aussi vide que son corps tout entier. Elle aurait voulu le remplir, elle aurait voulu le combler. Y ajouter de l’eau, y ajouter de l’espoir… Une pincée de bonheur peut-être. Quatre maisons, elle y est.
La clochette qui retentit avertit la vendeuse de son arrivée.
-    Bonjour mademoiselle !
Lucie observe un long moment son interlocutrice. C’est une dame très âgée. Immédiatement, elle est prise de sympathie pour ce petit bout de vie fragile, comme suspendu.
-    Bonjour ! Quel drôle de temps n’est-ce pas ?
-    Ne m’en parlez pas, mes articulations me le font bien ressentir ! Mais que faites vous dans le coin, par cette saison ?
Lucie marque un temps. Quelle bonne question ? Que fait-elle ici finalement ?
-    Je suis venue vous acheter des cigarettes. 

[A suivre...]

dimanche 23 septembre 2012

Ecrire

"J’ai tellement d’envies. Tellement d’idées. Des textes à quatre mains, des récits de voyages, d’autres romans. Et avant tout, en finir, peut-être un, peut-être tous, soyons rêveurs."

Finir... Achever... Mettre un point final.
Avoir une idée, aller au bout.
Effacer, réécrire, relire, détester, déchirer, regretter...
Recommencer.

Écrire. Pour qui ? Pour quoi ? Être lue ?
S'émanciper ? Faire vivre des rêves ?
Écrire pour y croire encore.
Pour faire vrai. Pour faire croire.
Ecrire pour exister un peu... Pour inventer une existence...
Ecrire pour rendre les mensonges réels.

Se sentir frustrée. Manquer d'envie, d'ambition.
Avoir peur de terminer, d'achever.
Hésiter. Ne pas trop savoir.
Se demander où on va.
Y aller quand même.

Avoir besoin de lecteurs. D'avis.
Imaginer de grands projets.
Les croire inaccessibles.
Tenter quand même.
Aimer le résultat. Le proposer.
 Attendre une impression.

Ecrire, pour le plaisir des phrases.
Ecrire pour être bien...
Pour dénoncer. Pour raconter.
Pour faire aimer, pour faire réagir...
Ecrire pour t'emmener par la main, sur le chemin des mots.

Viens. 

lundi 10 septembre 2012

Rivages (1)

Si tu devais supprimer trois éléments de ta vie, en sachant bien qu’ils modifieraient l’ensemble de ton existence, qu’est-ce que tu ferais ?

Hôtel Les Rivages, c’était écrit sur la brochure. Rien de bien original, surtout en bord de mer. Rien de particulier non plus, une police comme on en voit souvent, des couleurs bleues ciels qui donnent envie, un petit parc à l’arrière, des télés dans les chambres  une literie un peu démodée. Elle, elle avait repéré le petit chat sur la première photographie de la publicité. Un petit chat noir aux yeux verts, semblant tourner autour d’un arrosoir. Ca l’avait séduite, et puis le prix aussi. De toute façon, il fallait fuir, s’éloigner, partir rêver un peu.
En quelques clics, c’était réglé. Un bon de réservation pour une semaine. Peut-être plus. De toute façon, hors saison il n’y aurait personne. La météo ? Qu’importe. Quelques pulls, un jean, une taie d’oreiller, une photo, des souvenirs… Une valise bouclée en moins d’un quart d’heure. Elle partirait le lendemain.
Strasbourg-Nantes, Nantes-Brest, encore une heure de car… Les écouteurs vissés sur les oreilles, les yeux dans le vague… Les paysages, la Bretagne défilant dans son regard perdu. Déjà les premiers oiseaux de mer, déjà les premières falaises. L’océan ne se livre pas comme ça, il faudra encore attendre quelques kilomètres. Surtout, ne pas penser. Ne pas y penser.
Qu’est-ce qu’elle aurait changé ? Peut-être ce baiser avec Baptiste, le jour de ses quatorze ans, ça ne l’avait menée à rien. Quoi que… A la découverte du goût des lèvres, du goût des émotions. La découverte que la petite fille qui sommeillait en elle pouvait mourir, un jour. A la découverte de la peur de disparaître. Un baiser, pour une peur de plus. Un baiser pour une découverte morbide mais nécessaire.
Le car ralentit, encore quelques arrêts. Un vieil homme se hisse tant bien que mal dans l’engin, sa canne et ses sacs l’encombrent. Un sourire suffira. Se lever pour l’aider ne ferait qu’affirmer la faiblesse du pauvre homme. Sourire, c’est l’encourager. Il parvient à sa place, l’autocar reprend sa route.
Les yeux dans le vague, et les premiers embruns. La mer au loin, se veut aussi menaçante que le ciel. Sombre, verdâtre, les plages semblent désertes. Personne à l’horizon, mais qui se risquerait dehors par un temps pareil ?
Lucie se prend à penser à ce vieil homme. Quels secrets cache-t-il dans son cœur de grand-père ? Quels regrets garde-t-il ? Est-il seul lui aussi ? Seul au monde, s’enfuit-il ? Et que fuit-il ?
Un regard furtif sur la gauche, l’homme l’observe.
-          Et vous, que fuyez vous ?
Surprise, Lucie bredouille des paroles incompréhensibles. Alors, elle marque un temps. Réfléchit. Annonce.
-          Je vais séjourner à l’hôtel Les Rivages.
-          Vous aurez vue sur la mer alors…
-          La mère…
L’homme n’écoute déjà plus. Il lui tourne le dos, semble chercher quelque chose dans son sac. Lucie soupire, doucement, un soupir qui en dit long. Et puis, comme poussée par une envie indescriptible, elle reprend :
-          Et vous, si vous deviez changer trois éléments de votre vie, tout en sachant qu’ils modifieraient l’ensemble de votre existence, que choisiriez-vous ?
L’homme relève lentement le menton, ses yeux pétillent, comme un enfant qui découvrirait une fontaine de chocolat.
-          Ne pas avoir de regrets, n’est-ce pas là la clé du bonheur ?
-          Vous garderiez tout ?
-          Oui. C’est là que je descends.
Lucie regarde l’homme s’éloigner. Drôle de bonhomme. Dernier arrêt. Le bouton rouge pour descendre.
 
[A suivre...]

mercredi 5 septembre 2012

Défi Ecriture (1)

Voici le premier thème, proposé par Clémence. 
Thème = Premier pas sur la lune
Mots à placer obligatoirement dans le texte  =  Lune, Blanc ou Blanche, héros ou anti-héros ou super-héros, Tintin
Forme du texte = libre (poème, texte court, dialogues, reportage...)
Date où vous devez avoir publié = 7 septembre
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Nous étions arrivés le 23 Octobre 2088. La mission avait été envoyée pour désengorger la planète Terre, trop polluée, trop peuplée... Les scientifiques américains avaient découvert comment créer une atmosphère dans l'espace, et cela nous permettait d'envisager de vivre sur toutes les planètes alentours. Il fallait des volontaires, à raison de 100 000 par an. Les navettes allaient et venaient, régulièrement, pour dépeupler la Terre et peupler l'espace. 

J'avais choisi de partir. Rien ne m'attachait à la planète où j'étais né. Pas assez de travail, air irrespirable, délinquance, guerres de religions, nucléaire à tout va... Je ne me sentais pas en phase avec le monde qui m'entourait. Le programme  de peuplement de la Lune m'avait immédiatement tenté. Portant le nom du célèbre album de Tintin, "Objectif Lune" consistait en un peuplement écologique. Toutes les infrastructures sur place avaient été étudiées pour éviter au maximum tout type de pollution. L'air devait y rester sain, et l'esprit était plutôt porté sur le zen. A l'époque, ça me convenait bien. Les cris d'enfants s’insupportaient, et j'avais besoin d'un retour au calme. Après la mort de mes parents, il y avait comme un bourdonnement dans ma tête, qui n'avait fait que s'amplifier au fil des ans. 
Le jour de mes trente ans j'ai obtenu la carte. On l'appelait la "carte blanche".  C'était le pass, le Graal, pour ceux qui souhaitaient partir. Là-bas, mon nouveau métier consisterait à aider à la création de nouvelles infrastructures pour rendre la vie encore plus agréable. Un genre d'architecte intersidéral, en quelque sorte. 
Pendant des mois, j'avais la tête dans les étoiles. J'ai préparé soigneusement mes affaires, je me suis débarrassé de mes meubles, de ma voiture, j'ai gardé mon vélo. J'avais envie de faire table rase du passé, je me sentais comme un super héros, j'avais l'impression de participer modestement au sauvetage de l'espèce humaine. Mon seul regret était de laisser Gribouille, mon chat. Je ne verrai plus d'animaux. Il n'y en avait pas encore sur la Lune. C'est vrai. Toi, tu ne sais pas ce que c'est un chat. J'ai gardé une photo, je te la montrerai un jour. 

Le voyage a duré trois semaines. Dans la navette, l'excitation était à son comble. Nous n'avions pas vraiment peur, cela faisait déjà plusieurs années que le programme se déroulait parfaitement. Un soir, en retournant dans ma cabine, j'avais croisé une femme, au détour d'un couloir. Assise par terre, elle avait la tête entre les mains. Je lui ai demandé si tout allait bien. Elle a levé la tête. Malgré son visage inondé de larmes, elle était magnifique. Ses longs cheveux noirs et bouclés dévoraient son visage, elle avait des yeux de braise, et une peau parfaite. J'ai eu tout de suite envie de la consoler. Je lui ai dit que ses larmes ressemblaient à des étoiles sur son visage. C'était nul comme plan drague. Elle a souri. Un sourire extraordinaire. Angélique. Presque magique. Plus tard j'ai su que ce soir là elle pleurait parce que ses parents l'avaient forcé à partir, pour son bien, et qu'elle les avait laissé sur Terre, vieux et malades. Elle ne les reverrait plus.

Nous avons fait connaissance durant tout le voyage, elle s'appelait Elsa, et le jour de l’atterrissage nous avons décidé de nous installer ensembles. Nous avons choisi un petit appartement au cinquième étage, avec vue sur un petit lac artificiel. Ce qui m'a marqué en arrivant ? Les couleurs. Tout était beaucoup plus pastel que sur Terre. Les jours de regrets, cela me semble fade. Les jours de bonheur, je les trouve douces et apaisantes. Notre vie à deux à commencé, pleines de découvertes, d'apprentissages, de doutes aussi parfois. Nous étions heureux, tellement heureux... Les promesses d'"Objectif Lune" étaient à la hauteur. Enfin nous respirions. Je me rappelle des cris des habitants lorsque les premiers poissons sont arrivés dans le lac. Personne n'avait sur expliquer comment, ni pourquoi. Mais ils étaient là, et après eux, la faune a commencé à se diversifier un peu. Pas autant que sur Terre, mais quelques oiseaux, quelques insectes ont fait leur apparition, dans les trois ans après mon arrivée. Ce programme de dépeuplement de la Terre était finalement le résultat d'un accord entre tous les pays du monde. Une preuve magnifique que lorsque l'on sait s'entendre, on peut arriver à créer de belles choses. 
J'ai pu voir des regrets, de la douleur, du mal du pays... Je l'ai vécu aussi. Mais jamais une dépression, jamais de suicide, jamais de meurtre non plus. Les gens mourraient, de vieillesse ou de maladie, mais surtout de façon naturelle. Notre regard face à la vie avait été totalement modifié. 

Elsa a eu envie d'un enfant. Dans une autre vie, j'aurais dit non. Sur la Lune, tout devenait possible. J'ai accepté de supporter les cris, les pleurs la nuit, les disputes et les biberons à réchauffer. Et tu es arrivé. Petite princesse, tu es née avec plein de cheveux, un six Décembre. Tu as été un merveilleux cadeau. Presque une délivrance. Enfin je grandissais. Depuis ta naissance, les bourdonnements dans mes oreilles ont à jamais cessé. 
Un matin, nous avions décidé de sortir, à côté du petit lac. Il y avait un coin que nous aimions bien, caché parmi des rochers lunaires. Nous t'avions assise, juste au bord de l'eau, avec un petit arrosoir. Tu nous regardais, avec tes yeux amandes et rieurs. Tu ressemblais tellement à ta maman ! A un moment, tu as jeté l'arrosoir, un peu plus loin, sur les cailloux. Tu l'as regardé, tu nous a regardé. Tu as eu l'air soudain très sérieuse, et tu as poussé sur tes petites mains. Tu t'es mise debout. Tu as hésité, encore un peu, et tu t'es lancée. Un pas, puis un autre, un peu mal assurée... Et finalement, tu es parvenue à ton but. Tu as récupéré le petit arrosoir bleu, et tu as ri, sous nos yeux ébahis : tes premiers pas sur la Lune.

Défi écriture : le principe

Avec Eric, qui possède lui même un fabuleux blog de texte : The Old Kid Rises, nous avons mis en place un système de défis d'écriture.
 C'est Clémence qui en a eu l'idée. Le principe : un ami ou anonyme nous soumet en même temps un thème, avec contrainte ou pas, et un temps imparti pour écrire un texte. Nous nous imposons alors de rédiger dans la limite du temps imparti et dans les règles du défi. L'idée n'est pas de comparer nos textes (nous avons tous deux un style singulièrement différent), mais plutôt de stimuler notre imagination et notre envie d'écrire.

N'hésitez pas à nous soumettre vos idées, par mail ou par commentaire sur nos blogs. Nous essayerons d'y répondre à chaque fois !

Bonne lecture !

mardi 4 septembre 2012

Le sac rouge (4)

Arrêt sur image 3 : Angéline

Deux petits grains de beauté, sur le coin de l’œil, un regard dans le vague, un regard sur les vagues. Un regard, un peu de vague à l’âme, de vagues à larmes. Ces larmes sèches qui ne coulent pas sur les visages, par peur de trahir. Elles sont là, au coin des yeux, mais refusent de sortir. Des larmes amères et inaccessibles.
Elle est souvent assise là. Contre ce gros rocher. Elle pense à amener une serviette, ou un sachet plastique quand il fait trop humide. Ses cheveux raides sont parfaitement lissés, ses doux yeux se cachent derrière une longue frange. Sa tête est toujours baissée. Souvent elle lit. Des romans classiques, qu’elle trouve chez les bouquinistes. Elle a toujours l’impression de lire un autre livre, lorsque les collections sont différentes. Le Rouge et le Noir n’a pas la même saveur s’il est lu en livre de poche ou dans une collection plus noble.
Des livres. Elle en a des centaines. Dans son petit studio, ils s’entassent, car une fois lus, elle les délaisse. Comme s’ils étaient vidés de sa lecture avide. Si elle le pouvait, elle ne s’arrêterait jamais de dévorer ses petits chefs d’œuvres, comme elle les appelle. Elle aime caresser le papier, sentir l’odeur des caves d’où sont extraits les romans.
Si on y regarde d’un peu plus près, on constate que ses yeux bougent à une allure vive. Ce n’est plus de la lecture. C’est une sorte de transe indescriptible. Angéline n’est plus de ce monde, elle voyage, avec Julien Sorel, Mme Bovary ou Gervaise Macquart. Il pourrait y avoir une tempête, un cataclysme, un tremblement de terre, elle ne bougerait pas, prise dans son roman, prisonnière de l’histoire qu’il lui faudra lire au moins jusqu’à la fin du prochain chapitre.
Ce jour là Angéline avait pensé à prendre un gros gilet. Des grosses mailles bleues, tricotées par sa mamie adorée. Elle avait mis quelque temps avant de son plonger dans la lecture de sa nouvelle trouvaille : A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, dans la collection de la Pléiade.  Le livre était comme neuf, pourtant, d’après le vendeur, il était passé déjà entre des dizaines de mains, et, sans pouvoir se l’expliquer, il avait toujours récupéré le livre une fois qu’il avait été lu. Comme si personne ne souhaitait le garder.
Bien qu’elle l’ait déjà lu, il tardait à Angéline de retrouver le phrasé d’un de ses auteurs favoris. Mais un petit grain de sable s’était immiscé là, entre son œil et la lentille qu’elle portait. Il lui aurait certainement fallu un miroir, mais Angéline n’en possédait pas. Son œil coulait tellement qu’un jeune homme s’était arrêté pour lui demander si tout allait bien. Elle avait répondu oui, expressément, presque sèchement, pour que surtout l’homme n’entame pas une conversation plus longue. Pour rien au monde, Angéline ne retarderait un rendez-vous avec ses livres.
Ce dimanche un peu trop gris, sur la plage, elle avait fini par retirer le grain de sable. Les premières lignes étaient encore un peu floues, puis ses yeux ont repris leur vitesse de croisière. Le sourire aux lèvres, Angéline s’était évadée. Mais ce jour là, elle s’était interrompue avant la fin du chapitre. Dans son chant de vision, là, les deux bottes dans l’eau, un petit garçon s’était arrêté longuement, pour regarder son reflet dans la mer. Et ce jour là, c’est la surprise et la maturité sur ce visage juvénile qui avait frappés Angéline…