lundi 29 octobre 2012

Nouvelle Prix Don Quichotte

Cette année, j'ai participé à mon premier concours de nouvelles. N'ayant pas été retenue, voici le texte que j'avais envoyé, sur le thème : "dix". 
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Ce jour là, j’avais claqué la porte de l’appartement, en oubliant mes clés à l’intérieur. Mais je ne m’en étais pas rendu compte immédiatement, trop pressé, trop heureux, trop anxieux. Je suis de ces hommes à qui la nature a oublié de confier un peu de sens pratique : sortir avec un grand sac pour faire les courses, ranger méthodiquement les bagages dans le coffre de la voiture avant de partir en vacances, vérifier qu’on a tout le matériel avant de se lancer dans des grands travaux un dimanche… Et surtout, surtout, sortir avec ses clés en main lorsqu’on a une porte qui se verrouille de l’extérieur.
J’avais couru jusqu’à la voiture, et c’est seulement quand il a fallu ouvrir les portes que j’ai compris mon erreur. Mon cœur a fait un bond. Mon sang n’a fait qu’un tour. Pas ça. Pas aujourd’hui. Pas maintenant ! Il faut dire que j’étais en plein rangement.  Nous avions fait une petite soirée avec Antoine. Antoine, c’est mon meilleur ami. Celui à qui on peut tout dire. Tout confier. Sans la moindre hésitation. Celui qui est un peu votre ange gardien en quelque sorte. Et pour un maladroit comme moi, c’était tout simplement ma source d’inspiration dans la vie. Le match de rugby avait eu raison de mon appartement, et lorsque le téléphone a sonné à 10h00, j’étais à peine en train de mettre les bouteilles de bières dans la caisse sur le petit balcon. J’avais immédiatement sauté sur mon sac, laissant tout en l’état, peut-être même la porte du balcon ouverte, vérifié que j’avais les papiers de la voiture et claqué la porte de l’appartement. Mais les clés, elles, trônaient sur le petit meuble de l’entrée, et je n’avais aucun moyen de retourner à l’intérieur.
L’espace d’un instant, j’avais envisagé de multiples possibilités : escalader jusqu’au troisième étage, trop dangereux, enfoncer la porte, difficile quand elle est blindée, crocheter la serrure, mais je ne connais pas la technique… J’avais finalement opté pour une quatrième solution : m’asseoir sur un rocher et pleurer un bon coup. J’étais minable, j’avais peur… Mon esprit ne parvenait pas à organiser mes pensées, et seules les idées les plus absurdes me venaient en tête. Dix bonnes minutes plus tard, j’ai enfin réalisé que j’avais mon téléphone portable. J’étais donc en mesure d’appeler un serrurier. Peu après avoir raccroché, je m’étais rendu compte que j’aurais mieux fait d’appeler un taxi. Trop tard. Il fallait attendre. Sans doute vingt minutes. Peut-être plus. Sans compter le temps de l’intervention. Mes battements cardiaques accélérèrent encore, et je me demandai quelle était la pulsation maximum avant l’arrêt total du cœur.
C’était long. Trop long. J’avais eu le temps de penser. De me souvenir. Assez de temps pour me remémorer la rencontre avec ma femme, Sarah. Pourquoi à cet instant ? Peut-être le chant d’un oiseau, ou simplement une odeur. Les souvenirs arrivent parfois sans prévenir, un peu comme des claques, lorsqu’on est enfant. J’aimais Sarah. Depuis le début. Un amour sans concession, sans bavardage. Un amour vrai et franc, celui d’un homme simple, nature, parfois étourdi. Moi. Notre rencontre était le fruit d’une de mes nombreuses maladresses. A l’époque, je cherchais à séduire une femme de mon service, que je n’intéressais pas du tout, et je lui avais envoyé un mail sur sa boîte au travail, pour l’inviter à boire un verre. Au moment d’expédier, j’avais fait tourner la molette de la souris, ce qui avait changé l’adresse du destinataire, et c’est finalement ma chef qui avait reçu le courrier. J’avais immédiatement rédigé un mot d’excuse, en espérant de tout mon cœur que cela ne me porterait pas préjudice. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le lendemain, j’ai découvert, entre deux mails me proposant d’élargir mon pénis, une réponse positive de ma chef, Sarah Foucher, pour l’invitation à boire un verre le soir même. J’avais longuement hésité, et c’est finalement Antoine qui avait insisté. Ce soir là j’avais donc franchi à la fois la marche du Penseur, le bar le plus proche de chez moi, mais aussi la marche de mon destin. Elle m’attendait, au fond, à une table, avec un petit sourire en coin. Sarah Foucher, mon patron, en rendez-vous galant. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’immédiatement la tutoyer. Deux ans après, nous étions mariés.
La chaleur de ce dix juin se faisait étouffante, et je m’impatientais, lamentablement sur mon  rocher, à côté de ma voiture. Mes ongles étaient déjà rongés jusqu’au sang. Je voyais les aiguilles de ma montre qui tournaient à une vitesse folle. C’est alors qu’elle m’était apparue, dans un bruit affreux de carrosserie rouillée, un peu comme le Messie : la camionnette du serrurier.
-    Bonjour Monsieur Nouvier, vous allez bien, Dites donc, ne serait-ce pas la dixième fois qu’on se voit cette année ? Ca se fête non ?
Je ne suis pas certain d’avoir vraiment été aimable. Je me rappelle l’avoir supplié, à genoux, me tenant à la portière de son tas de taule. Il devait m’emmener à l’hôpital, le plus rapidement possible. Etaient-ce les larmes que j’avais dans les yeux ? L’excitation due à l’enjeu ? Il m’avait fait monter, sans un mot, et avait démarré en trombe, alors qu’assis sur la place du mort, je souriais bêtement au fond de mon siège.
-    Vous l’avez appelé finalement mon collègue plombier ?
Je ne sais pas pourquoi, même s’il est vrai qu’on commence à bien se connaître lui et moi, il faut toujours que mon serrurier entame la conversation. Sur des sujets de surcroît pas toujours passionnants. J’ai repensé à Sarah. Lorsque nous avions emménagé dans ce petit appartement, notre bonheur était parfait à mes yeux. Et malgré son air souvent mélancolique, elle semblait heureuse elle aussi. Mais une chose l’agaçait, profondément. Le robinet de la cuisine. Il fuyait. On ne pouvait jamais le fermer complètement. Il faisait un goutte-à-goutte incessant. Qui marquait les secondes. En fait, ce n’était pas le robinet qui énervait vraiment Sarah. C’était le temps qui passe. Le temps qui passe et sa folie meurtrière. Ce temps qui passe et qui nous prive de nos amis, de nos parents… Ce temps qui passe et qui éloigne, ce temps qui passe et qui angoisse… Sarah aimait tout au monde. Tout. Sauf ce temps, et les secondes immuables, marquées par les gouttelettes d’eau au fond de l’évier.
-    Non, il faudra que j’y pense…
J’avais dû décourager le pauvre homme, et celui-ci s’était finalement concentré sur sa conduite, veillant à enfreindre un nombre incalculable de règles du code de la route pour arriver au plus vite. Nous étions finalement arrivés devant l’entrée des urgences, et j’avais quasiment sauté de la camionnette en marche, avant de courir à l’intérieur, le « bonne chance » du serrurier résonnant à peine dans mes oreilles.
 C’est alors que je fus pris par la soif. Une envie de boire, subitement. Pas d’alcool, non, mon esprit devait rester suffisamment clair, autant qu’il le pouvait encore en tous cas. Mais juste un peu d’eau. Avec un fond de sirop de citron vert. Pour me désaltérer. J’avais repensé au Penseur, et nos nombreuses soirées entre amis. Le bar était un peu devenu notre QG. Nous passions de très agréables moments, à regarder les jeunes groupes s’époumoner dans les micros, sans que personne ne les écoute vraiment. Il me fallait de l’eau, et vite. Les couloirs étaient déserts, loin de l’agitation habituelle des urgences. Etait-ce du à la météo clémente ? A l’heure ? Le temps d’un instant, j’avais été pris d’un affreux doute : étais-je vraiment dans le bon centre hospitalier ? Et d’ailleurs, m’avait-on vraiment déposé à l’hôpital ? Au hasard d’un couloir, j’avais trouvé une fontaine à eau, et pris deux minutes pour étancher cette terrible soif. Le gobelet en plastique à peine jeté, j’avais repris ma course effrénée dans le dédale des couloirs de l’hôpital.
Qu’allais-je trouver en poussant la porte ? De la souffrance ? De la peur ? Je n’avais jamais aimé les hôpitaux. L’odeur, les piqûres, le personnel habillé en blanc, les cris, le sang parfois. Tout petit, je m’étais ouvert le menton en cherchant des coccinelles dans un arbre. Ce n’était pas très beau à voir, et mes parents m’avait conduit rapidement aux urgences. Evidement, il fallait recoudre, et j’avais dû patienter dans une petite pièce, avec d’autres enfants accompagnés de leurs parents, en attendant que les médecins traitent les urgences plus graves. Je me souviens parfaitement de cette attente, elle avait été un véritable enfer. Face à moi, un autre petit garçon du même âge me regardait, les bras croisés, les sourcils froncés. Il semblait déterminé. Moi, je pleurais. Lui serrait les dents. Pourtant, sur son front, une énorme bosse bleue avait poussé, comme un gros champignon sur le tronc d’un arbre. Cela devait faire vraiment mal. J’étais terriblement impressionné, et j’en avais fait des cauchemars plusieurs nuits après cette mésaventure. Le garçon était finalement venu me voir, les deux mains sur les hanches. Il était plus costaud, et légèrement plus grands que moi.
-    On joue ? avait-il demandé en indiquant d’un mouvement de tête la petite table où trônaient quelques petites voiturettes et un jeu de construction.
Et devant ma non réponse, les sanglots empêchaient toute communication, il m’avait tendu la main, d’un air décidé :
-    Je m’appelle Antoine, et toi ?

J’avais couru. Longtemps. Sans doute trop. Jamais les couloirs de l’hôpital, que j’avais pourtant tellement parcourus, ne m’avait parus si sinueux. J’avais passé la porte du service à toute vitesse, fonçant directement dans les bras d’une infirmière, qui m’aurait sans doute administré un calmant si je ne lui avais pas expliqué la situation, le souffle court. Après lui avoir donné quelques renseignements plus détaillés, elle s’était enfin mise en marche, et m’avait amené, d’un pas pressé, devant une porte, numéro 10. Lorsque je l’ai ouverte, et que j’ai entendu des cris, j’ai tout de suite compris. Des larmes ont envahi mes yeux. Mes mains tremblaient, mon corps tout entier était devenu lourd. Lourd de chagrin et de culpabilité.

Mes yeux s’étaient d’abord arrêtés sur la perfusion. Au bout du tuyau, j’y avais trouvé la main de ma femme. En remontant le long du bras vers son visage, j’y avais vu son sourire fatigué, et sa petite moue, comme pour dédramatiser la situation. J’étais alors redescendu, le long de ses doigts que j’aimais tant caresser. J’y ai trouvé ma nouvelle raison de vivre. J’y ai retrouvé la force de combattre et de m’en remettre un jour. Oui, j’avais manqué la naissance de ma première fille, mais Sarah avait mis au monde sans moi une petite princesse qui bouleverserait nos vies à jamais. Elle avait cru bon d’ajouter, avec ses yeux plein de tendresse et de malice :
-    Tu as dix minutes de retard, papa…

jeudi 18 octobre 2012

Sortie à la plage...

Ils avaient quand même souhaité descendre. Dès le matin déjà, c’était l’effervescence. Tout le monde s’affairait, les discussions allaient bon train. Fallait-il prévoir du thé ? Du café ? Avait-on pensé au fromage ? Qui portera la glacière jusqu’à la voiture ? Les gosses jouaient dans une chambre, discrètement, comme pour éviter d’ajouter du bruit à l’agitation ambiante. Ca sonnait à la porte toutes les deux minutes, entre les oncles, les tantes, les amis… Chacun avait une phrase à placer, son grain de sel à ajouter.

Moi, je les avais prévenus. Je leur avais dit qu’il allait pleuvoir, que ma hanche ne me trahit jamais. Ils n’avaient rien voulu savoir. C’est vrai, c’est plutôt rare d’arriver à se réunir par les temps qui courent. J’ai l’impression que c’était plus simple avant. Aujourd’hui, il faut confirmer par email, reconfirmer avec le téléphone portable, on est même autorisé à annuler au dernier moment à grands coups de sms.

J’étais là, assis sur mon fauteuil, attendant qu’on m’interroge, qu’on me prenne à parti. Mais il y a longtemps que j’appartiens à la grande famille des meubles de cette maison. Je suis tout au plus le vieux grincheux, et pourtant, je ne me plains pas souvent. Mais c’est comme ça, passé un certain âge, on encombre, on est supporté, on fini par être un poids… Et c’est terrible…

La petite Chloé avait quand même couru vers moi, les bras grands ouverts, en lâchant un « papi t’aime » du haut de ses deux ans. J’avoue, ça m’a presque ému. Pour un peu, je dirai que j’étais bouleversé. Mais ça n’a pas duré. La petite a fait tomber une télécommande, les adultes ont sursauté, et j’ai eu droit à un « tu pourrais quand même la surveiller ! ».

Voilà. J’étais assis là, en attendant qu’on se préoccupe de moi. J’ai attendu le signal, il était temps de partir. On m’a aidé à monter dans la voiture. On m’a aidé à mettre ma ceinture. On m’a demandé trois fois si j’étais bien installé. Et puis on était tous descendu à la plage, en cortège digne des plus beaux mariages de mon époque. Je me suis alors pris à rêver de ma femme, de ses belles boucles brunes, de sa mauvaise foi, de son regard perçant et de son sourire, figé à jamais sur les photos souvenirs qui ornent la chambre que j’occupe aujourd’hui.

Quand j’ai ouvert les yeux, nous étions arrivés. Immédiatement, presque inexorablement, je me suis senti apaisé par le bruit de l’océan. Nous marchions lentement, peut être que finalement tout ce petit monde s’était adapté à mon pas de vieillard. J’ai regardé autour de moi. Il y avait du monde, malgré le temps, la jeune fille aux livres, là contre son rocher, un couple d’amoureux et puis cette femme. Elle devait bien avoir mon âge, vu la couleur de ses cheveux. Des jolies lunettes, comme on sait bien les faire aujourd’hui. Des mains ridées, qui bougeaient au rythme de ses lèvres. Elle s’adressait à un ado, qui avait les mêmes yeux qu’elle. Qui sait ce qu’elle pouvait bien lui raconter ?

Nous sommes restés longtemps. Moi sur le fauteuil, à regarder les gamins courir, et me présenter fièrement leurs trouvailles. A part eux, personne ne m’a parlé. Pas un sourire, pas un regard. Ils avaient voulu cette journée sous le signe des retrouvailles. Ainsi, ils m’avaient oublié un peu, comme un fardeau qu’on traîne puis qu’on laisse dans un coin. Nous avions fini par tous repartir, malgré les supplications des enfants, et l’eau avait alors commencé à tomber du ciel…
Enfin bon, moi, je leur avais bien dit qu’il allait pleuvoir…

mardi 16 octobre 2012

Rivages (4)

-    Ah, vous avez fait connaissance avec Salidou ?
Martine est en bas, dans le hall, comme si elle s’attendait à la venue de Lucie.
-    Quel drôle de prénom pour un chat ! s’exclame Lucie.
-    C’est la marque d’une gourmandise que vous allez vite apprécier ici ! Une pâte à tartiner au caramel et au beurre salé. J’ai décidé de l’appeler comme ça parce qu’il va toujours traîner n’importe tout et qu’il est doux comme un agneau.
-    D’où vient-il ?
-    Aucune idée. Il a débarqué un matin derrière la porte de ma chambre, et il n’est jamais reparti.
-    L’invitation à dîner tient-elle toujours ?
-    Avec grand plaisir, à vrai dire, je vous attendais !
Les deux femmes quittent le hall, suivies par Salidou, qui tente d’attraper le pantalon de Lucie à chacun de ses pas.
-    Voici mon appartement, annonce Martine en poussant une porte au bout d’un long couloir. C’est très modeste, mais ça suffit largement pour une dame comme moi ! Et puis, j’ai toujours la prétention de dire que j’ai un hôtel à moi toute seule !
Martine parle. Quand elle sert des pâtes à Lucie, quand elle mange, quand elle boit son verre de vin rouge. Elle lui parle de sa vie, de ce qu’elle a subit, lui parle un peu de son mari. Elle raconte ses clients, la vie qui a changé depuis la crise, les amours de passage dans son hôtel et sa passion inconsidérée pour la Bretagne. Mais jamais de sa fille. Ca arrange bien Lucie. Elle n’a pas besoin de s’expliquer, de s’épancher… Elle acquiesce, de temps à autre, elle en est presque amusée. Martine l’intrigue, et surtout, Lucie l’admire. Quelle force de caractère ! 
-    Vous connaissez la Bretagne ?
Les pensées de Lucie s’interrompent aussitôt. Bien sûr qu’elle connaît la Bretagne. Bien sûr que ce n’est pas la première fois qu’elle vient. Pour ainsi dire, elle y a passé toute son enfance. Mais comment éviter les questions ? Martine est tellement amoureuse de sa région qu’elle en connaît nécessairement tous les secrets. Impossible de dire la vérité. Pourtant, Lucie déteste mentir.
-    Je n’y ai jamais mis les pieds ! dit-elle avec autant de conviction que possible.
-    C’est parfait ! Si vous le souhaitez, je peux vous prévoir un petit plan avec tous les lieux touristiques du coin. Même à pieds, on peut voir tellement d’endroits extraordinaires ! Vous restez longtemps ?
La durée de son séjour. C’est un peu comme si Lucie n’y avait jamais réellement pensé. Sur le papier, elle a pris une semaine, mais plus rien ne la retient. Alors, elle répond la première chose qui lui vient à l’esprit, comme pour éloigner au mieux la pensée d’un retour possible :
-    Tant que vous ne me chassez pas !
Martine rit de bon cœur. Lucie aussi. Le vin aidant, les deux femmes se détendent, et prennent plaisir à discuter de la vie, des hommes, du mauvais temps et des plus jolis coins de Bretagne, jusque tard dans la nuit.

mardi 9 octobre 2012

Défi Ecriture (3)

Voici le thème, proposé par Carine.
Thème : "Les saisons"
Forme : Poème
Contrainte :utiliser les mots : couteau, manège et vertige.
Publication avant le : 23 Octobre. 

Je dois avouer que ce défi m'a donné bien du fil à retordre ! 

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Printemps.
Des fleurs dans tes cheveux,
Nos roulades sur le gazon,
Nos éclats de rire à deux,
Et ton ventre devenu rond. 

Eté. 
Ton sourire au pied du cerisier
Les baignades, la chaleur,
Ses premiers coups de pieds,
Nos derniers instants de bonheur...

Automne. 
Si tu savais combien je t'aime
Si tu savais combien j'ai peur
Si tu savais combien la haine
Peut être proche du bonheur...

Hiver. 
Les yeux de son papa,
Le sourire de sa maman. 
De la mélancolie, déjà,
La magie des premiers instants...

Printemps. 
Premier tour de manège, 
Ton regard qui croise le mien
Et si tu me tendais un piège
Le couteau caché, au creux de la main. 

Eté.
Comme pour mieux m'assassiner,
Me lyncher, me faire souffrir,
Tu décides de m'abandonner
Sans me laisser rien lui offrir. 

Automne. 
Les feuilles mortes, fanées
Mon amour noyé, échoué,
La vie perd tout son sens
Mes vertiges deviennent des silences...

Hiver. 
Un an déjà, j'y repense, 
Mon désespoir, ma malchance,
La vie reprendra le dessus,
La vie saura forcer l'oubli.
 
 Printemps. Eté, Automne. Hiver.
Et une saison de plus...
Sans toi. Sans lui. 
Amère...

dimanche 7 octobre 2012

Rivages (3)

Quelques minutes plus tard, Lucie referme la porte de la petite boutique. En remontant la rue, elle se laisse aller à penser, quelques secondes : « Tu dois être au jardin. Peut-être que tu penses à moi. Peut-être que tu t’en fous. Tu dois être en train de te battre avec les fraises et les escargots. Tu as mis cet horrible tablier rouge que je t’ai offert un jour. Pourquoi ? Tu dois être au jardin. Tu creuses pour oublier. Ou pire. Tu creuses pour y enterrer tes souvenirs. Tu dois être au jardin. Moi, je suis là tu vois. Je suis bien. ». Elle ne prête pas attention à ce petit garçon qui passe sur son vélo rouge et qui la salue de la main, ni à cet homme aux yeux verts qui ouvrent ses volets. Elle est absorbée, obsédée même. Comme en transe. Que changerais tu toi ? Que changerais tu ?
Plus loin, elle s’arrête, reprend ses esprits. Face à l’océan qui gronde. Son téléphone à la main. Les embruns coulent sur son visage. Le vent souffle dans ses longs cheveux bouclés. Elle enlève ses chaussures, respire profondément. Et puis, de toutes ses forces, de toute sa douleur, de toute sa colère, elle lance son téléphone à la mer. Le plus loin possible. Le plus fort possible. Ensuite, elle reste là, quelques minutes. Les larmes se mêlent aux embruns sur son visage. Elle souffle : « c’est fini ».
D’un pas presque léger, elle rejoint l’hôtel. Il faudra songer à manger aussi. Peut-être. Plus tard.
Martine observe. La jeune fille est revenue. C’est étrange, elle ressent comme de la compassion pour elle. Peut-être ira-t-elle la déranger un peu plus tard pour lui conseiller un bon restaurant ? La meilleure crêperie du village ? Son mari aurait dit : « Martine, tu ne devrais pas être aussi curieuse avec tes clients ! ». Mais son mari est sans doute à l’heure qu’il est en train de donner de bons conseils à une autre femme. Alors, curieuse ou pas, Martine décide de rejoindre la demoiselle, devant la porte de sa chambre.
-    Vous avez l’air d’avoir froid, souhaitez-vous que je vous montre l’allumage du chauffage ?
-    Merci, c’est gentil, je vais plutôt mettre un pull…
Lucie se passerait bien de cette discussion. Elle préfèrerait entrer dans sa chambre, se coucher sur le lit, et pleurer toute les larmes de son corps avant de s’endormir. Mais elle comprend Martine, quelle idée aussi de venir en Bretagne hors saison !
-    Il y a de très bons restaurants dans le coin, je doute qu’ils soient tous ouverts cependant… Vous êtes en voiture ?
-    Non, je suis venue en bus… Vous ne faites pas hôtel-restaurant ?
-    Hors saison, je me passe de mon cuisinier, la crise, vous comprenez… Mais venez donc manger chez moi, quand il y en a pour un, il y en a pour deux !
-    C’est gentil, mais je crois que je me passerai de dîner ce soir… lâcha Lucie.
-    C’est comme vous voulez, mais mon invitation tient jusqu’à l’heure du dîner si vous changez d’avis !
A ces mots, Martine se retire et permet à Lucie de pénétrer dans sa chambre. Elle se laisse tomber sur son lit, submergée par un trop plein d’émotions. Elle songe à l’accueil des gens dans le village, à son départ précipité, elle songe à ceux qui voudront l’appeler, elle songe à cette page qu’elle vient de tourner… Peu à peu, elle sombre dans le sommeil, entre rêves et cauchemars…
Une heure plus tard, Lucie est réveillée en sursaut par un bruit indéfinissable derrière sa porte. Émergeant à peine, elle met un certain temps à se rappeler où elle se trouve, et à comprendre que ce bruit assourdissant est celui d’un miaulement.
Elle ouvre la porte, le petit chat noir entre et se précipite sur le lit. Il se roule dans les draps, en ronronnant bruyamment.
-    T’es gonflé toi !
Le chaton la regarde, prend l’air penaud. Lucie ne peut s’empêcher de lui gratter la tête et lui caresser le ventre. Puis, l’animal prend sa main pour proie, et les deux acolytes se lancent dans un jeu un peu loufoque. Lucie rit. Elle prend le petit chat dans ses bras et décide de rejoindre la gérante de l’hôtel pour le repas du soir, s’il est encore temps.