vendredi 9 janvier 2015

Bonne nuit hibou...

Ce soir, je lis « bonne nuit hibou » à mon fils. Je regarde ses petites mains s’agiter lorsqu’il faut ouvrir les rabats pour voir quel animal se cache derrière. J’observe son lumineux sourire s’afficher lorsque l’animal en question apparaît. « Bonne nuit cerf, bonne nuit ours »… Tout est calme dans le salon, on entend encore quelques notes de piano, j’ai oublié d’arrêter la musique tout à l’heure. Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre tente difficilement de lutter contre la pluie.

Que fait un homme qui vient de tuer un terroriste, quand il rentre chez lui ? Dépose-t-il sa veste, comme n’importe qui, sur le porte-manteau de l’entrée ? Sert-il très fort sa femme dans ses bras ? Reste-t-il silencieux, prostré, hanté par les images de ce qu’il vient de vivre ? Téléphone-t-il à sa maman, lui raconte-t-il sa journée ? Parle-t-il de son courage ou reste-t-il un héros discret ? Lit-il « bonne nuit hibou » à son fils sur le canapé ?

Les hauts-parleurs se sont tus, au loin une sirène se fait entendre. Je n’aime plus les sirènes. Je n’ai jamais aimé. Elles n’annoncent que trop peu de bonnes nouvelles. Antoine est attentif, et semble demander : « encore une fois l’histoire ! ». Pourtant, il la connaît, nous lui avons cent fois raconté. Il n’y a pas vraiment de suspens, encore moins d’intrigue. Mais ça a l’air de le rassurer. Et moi aussi. « Bonne nuit les canards, bonne nuit les oies… ». Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre semble avoir repris un peu de vigueur.

Que fait un homme qui vient d’échapper à une prise d’otages, quand il rentre chez lui ? Donne-t-il un coup de pied rageur au chat qui l’empêche d’entrer sans tomber ? Verse-t-il une larme en observant sa famille ? Prépare-t-il un grand plat de coquillettes avec de la crème ? S’installe-t-il devant la télé, écoute-t-il un bon cd ? Consulte-il ses e.mails ou écrit-il quelques pages ? Raconte-t-il « bonne nuit hibou » à son fils, blottis, sur le canapé ?

Les pages se tournent, bientôt la fin. On la connaît la fin bien sûr, mais on n’a pas vraiment envie d’y arriver. Le soleil va se lever, et il faudra dire « bonne nuit » au hibou, bien caché là, sur la cime de l’arbre. Ce soir je n’ai pas envie de dire « bonne nuit » au hibou. Je n’ai pas envie que tout cela soit vrai. Pourtant il faut bien être là, il faut bien épauler ce si petit garçon qui n’a absolument rien demandé. Alors, on prend son courage à deux mains, et on tourne la page. « Bonjour soleil, bonne nuit hibou »… Dehors, la pluie se calme un peu. Le vent fait vaciller la flamme de la petite bougie sur le rebord de la fenêtre.

Que fait une maman pour border son fils, après ça ? Doit-elle pleurer, doit-elle tout lui expliquer ? Ou lui permettre de garder un peu de son innocence ? Doit-elle lui montrer, le courage des hommes qui ont tout fait pour les en empêcher, ou au contraire ne surtout pas en parler ? Reste-t-elle assise, à attendre que quelqu’un l’aide ? Murmure-t-elle « bonne nuit hibou » à son fils, lovés sur le canapé ? « Tu sais, ce soir, papa ne rentrera pas… »

L’histoire est terminée. Il est temps d’aller se coucher. Bonne nuit mon Antoine, bonne nuit mon amour… Tu verras, le monde est beau, on y fait de magnifiques rencontres, on découvre des personnalités extraordinaires… Ne t’inquiète pas,  le monde est beau, il est de toutes les couleurs, et résonne de tous ces mots, liberté, égalité, fraternité... N’aie pas peur, dort, nous sommes là pour te protéger, et te préparer une vie à la hauteur.

Dehors, la pluie s’est arrêtée. C’est sûr, la flamme continuera à briller.
 

Bénédicte
Charlie