samedi 1 août 2015

Vingt-trois heures trente, sur l’A6.


-    Ça se calme un peu apparemment. Le fameux « chassé-croisé » de l’été, comme ils disent. Moins de clients. Moins de bruits. Moins d’énervement aussi. J’aime bien bosser de nuit moi. Y’en a qui disent qu’ils ne pourraient pas. Moi, ça ne me gêne vraiment pas. Au contraire. 

Tu vois ce que j’aime, c’est l’odeur du café. Ce café de machine, un peu dégueulasse que les gars viennent prendre en pleine nuit dans l’espoir d’ingurgiter un semblant de caféine. Ouais, cette odeur-là, un peu âcre mais tellement réconfortante. J’me demande si c’est pas c’t’odeur qui me fait continuer en fait. 

J’étais là, à mon comptoir. J’venais de facturer le plein d’un motard je crois. Un grand type à l’allure fort sympathique tu vois, genre cheveux longs, tatouages mais pas méchant pour deux sous. Un mec bien, forcément. Bref. Elle est entrée. Enfin pas vraiment tout de suite. Elle a failli pousser la porte et elle a fait demi-tour. Mais moi j’ai bien vu ses longs cheveux bruns ondulés, et ses courbes si parfaites. Je l’aurais repérée entre milles, j’te jure. 

J’ai cru qu’elle était repartie parce qu’elle m’avait vu. Mais elle est revenue, avec un tout petit bébé dans les bras. Un petit machin qui hurle, enfin celui-là il pleurait pas, mais il était si petit qu’il avait peine à bouger. 

D’abord, elle s’est fait couler un café. Elle a un peu galéré pour trouver la monnaie dans sa poche avec le marmot qu’elle tenait comme un trésor. Ensuite elle s’est assise, elle a bu longuement, le regard dans le vague… Quinze fois elle a amené son petit gobelet à sa bouche. J’ai compté. Puis elle s’est levée, elle a fait un tour dans la boutique. Elle a regardé les sandwichs, le coin peluches, les magazines. Elle a finalement pris un paquet de chewing-gum, et me l’a apporté en caisse. 

Je lui ai dit « bonsoir ». Elle a fait de même. Elle a lâché un petit sourire, mais très vite son air sérieux a repris le dessus. Je lui ai dit le prix. Elle m’a donné l’argent. J’ai encaissé. Elle allait partir. J’ai dit : « c’est pas bien vieux ça, dites donc ! ». Elle a soupiré. Elle semblait agacée. Elle a répondu : « oui, à peine quelques jours ». Alors j’ai enchaîné : « et vous allez où comme ça ? ». Elle a répondu : « dans le sud, je retrouve mes parents, au revoir ». Et puis plus rien.  

Elle m’a pas reconnu, putain ! J’te jure, elle est partie comme ça, comme si j’étais n’importe qui, n’importe quel gérant de station-service. J’ai changé ok, un peu grossi, peut-être j’sais pas, j’me suis rasé la tête aussi, mais bon… On a passé une nuit ensemble. Et quelle nuit ! Une nuit d’amour extraordinaire, magique. Y’a pas de mots en fait. J’avais passé des semaines à la séduire. Je l’avais repérée sur cette terrasse de café, son regard si mélancolique, la cigarette à la main. J’y ai passé des heures, elle revenait tous les jours, mais elle m’a ignoré des semaines ! Et puis un jour, elle  a daigné me regarder. A la terrasse du café, je me rappelle elle avait dit : « d’accord mais juste une fois ». C’était l’explosion, tu peux pas t’imaginer ! On s’est aimé pendant des heures, toute la nuit. Au petit matin, elle est repartie. Comme ça. Sans rien dire. Enfin si. Je crois qu’elle a dit un truc que j’ai pas compris. Genre : « merci ». Et moi, comme un con, j’ai dit « de rien ». 

Depuis je n’ai pas arrêté de penser à elle. Je la voyais partout, au supermarché, dans l’ascenseur, au parc. Je nous imaginais vivre à deux, faire des crêpes ensembles, se rouler dans un champ de blé… Des trucs que font les amoureux quoi ! Tu vois, je l’aime en fait, cette nana, j’suis comme un con mais je l’aime ! Elle m’a pas reconnu… J’ai eu envie de lui courir après, de lui hurler de rester, mais j’ai rien fait, j’suis resté là comme un idiot derrière mon comptoir, à regarder le néon blafard au-dessus des machines à café… 

-    Et le gosse ? 

-    Cette nuit là, c’était il y a neuf mois…


mardi 5 mai 2015

25, sister !

Parfois, j’imagine tes journées, si éloignées de mon quotidien routinier. Je m’amuse à penser à toi, à supposer ce que tu es entrain de faire. Je te rêve, je t’idéalise un peu sans doute, mais comme c’est un jeu, tout est possible.

Ça commence toujours un peu de la même façon. Tu te réveilles, aux côtés de l’homme que tu aimes. Un peu chagrine et grognon, comme tu l’as toujours été le matin. Tu ouvres la porte, Betty est déjà dans tes pieds, tu manques de trébucher et puis tu râles, pour le principe. Un café. Une tartine. Autre chose. Tes premiers mots échangés avec Anthony, et beaucoup de passion dans votre dialogue.

Et puis après ? Le regard plongé dans ton agenda, déjà tu files vers ton premier rendez-vous. Tantôt chorégraphe, tantôt photographe,tantôt danseuse, tantôt plasticienne… Tu cours à n’en plus finir. A droite, à gauche, à la Factorine, au théâtre, sur le lieu d’un mariage, derrière ton ordinateur.

En fait c’est ça. Je te vois courir. Mais pas comme dans ces images où l’on voit les hommes d’affaire trop stressés qui galopent après le temps. Non, tu cours pour profiter. Pour croquer à pleines dents tout ce que tu entreprends. Tu cours pour trouver des réponses, partout, à toutes tes interrogations, même quand il n’y en a pas. Tu cours. Pour échapper à quoi ? Pour échapper à toi ?

Vingt-cinq ans, ma petite sœur, tu ne l’es plus vraiment. Je rêve de pouvoir encore te protéger, mais je ne fais plus que t’admirer. Devant tes choix. Tes ambitions. Tes rêves. Tu es devenue une femme belle, forte, et ambitieuse, une femme qui croit en la vie, et en l’humanité, malgré toutes ces horreurs que tu ne connais que trop bien. Une femme dont je suis profondément fière, même si je n’y suis absolument pour rien. Une femme, la marraine de mon fils.

Parfois j’imagine tes journées, si éloignées de mon quotidien routinier. Je m’amuse à penser à toi, à supposer ce que tu es en train de faire. Je te rêve. Je t’idéalise un peu sans doute. Mais je sais aussi. Je sais que tu es capable de refouler tes sentiments les plus amers pour ne pas gâcher un moment, que tu peux facilement te mettre en colère quand on doute de tes compétences, je sais que ta vie ne ressemblera peut-être jamais à la mienne, et j’en suis profondément rassurée. Car ta vie va plus loin que le simple horizon. Tu es née pour faire bouger le monde. A ta façon.

Alors sœurette, en ce jour un peu particulier, et avec ce que je sais faire de mieux, je voulais te souhaiter un magnifique anniversaire et te redire combien je t'aime !

vendredi 9 janvier 2015

Bonne nuit hibou...

Ce soir, je lis « bonne nuit hibou » à mon fils. Je regarde ses petites mains s’agiter lorsqu’il faut ouvrir les rabats pour voir quel animal se cache derrière. J’observe son lumineux sourire s’afficher lorsque l’animal en question apparaît. « Bonne nuit cerf, bonne nuit ours »… Tout est calme dans le salon, on entend encore quelques notes de piano, j’ai oublié d’arrêter la musique tout à l’heure. Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre tente difficilement de lutter contre la pluie.

Que fait un homme qui vient de tuer un terroriste, quand il rentre chez lui ? Dépose-t-il sa veste, comme n’importe qui, sur le porte-manteau de l’entrée ? Sert-il très fort sa femme dans ses bras ? Reste-t-il silencieux, prostré, hanté par les images de ce qu’il vient de vivre ? Téléphone-t-il à sa maman, lui raconte-t-il sa journée ? Parle-t-il de son courage ou reste-t-il un héros discret ? Lit-il « bonne nuit hibou » à son fils sur le canapé ?

Les hauts-parleurs se sont tus, au loin une sirène se fait entendre. Je n’aime plus les sirènes. Je n’ai jamais aimé. Elles n’annoncent que trop peu de bonnes nouvelles. Antoine est attentif, et semble demander : « encore une fois l’histoire ! ». Pourtant, il la connaît, nous lui avons cent fois raconté. Il n’y a pas vraiment de suspens, encore moins d’intrigue. Mais ça a l’air de le rassurer. Et moi aussi. « Bonne nuit les canards, bonne nuit les oies… ». Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre semble avoir repris un peu de vigueur.

Que fait un homme qui vient d’échapper à une prise d’otages, quand il rentre chez lui ? Donne-t-il un coup de pied rageur au chat qui l’empêche d’entrer sans tomber ? Verse-t-il une larme en observant sa famille ? Prépare-t-il un grand plat de coquillettes avec de la crème ? S’installe-t-il devant la télé, écoute-t-il un bon cd ? Consulte-il ses e.mails ou écrit-il quelques pages ? Raconte-t-il « bonne nuit hibou » à son fils, blottis, sur le canapé ?

Les pages se tournent, bientôt la fin. On la connaît la fin bien sûr, mais on n’a pas vraiment envie d’y arriver. Le soleil va se lever, et il faudra dire « bonne nuit » au hibou, bien caché là, sur la cime de l’arbre. Ce soir je n’ai pas envie de dire « bonne nuit » au hibou. Je n’ai pas envie que tout cela soit vrai. Pourtant il faut bien être là, il faut bien épauler ce si petit garçon qui n’a absolument rien demandé. Alors, on prend son courage à deux mains, et on tourne la page. « Bonjour soleil, bonne nuit hibou »… Dehors, la pluie se calme un peu. Le vent fait vaciller la flamme de la petite bougie sur le rebord de la fenêtre.

Que fait une maman pour border son fils, après ça ? Doit-elle pleurer, doit-elle tout lui expliquer ? Ou lui permettre de garder un peu de son innocence ? Doit-elle lui montrer, le courage des hommes qui ont tout fait pour les en empêcher, ou au contraire ne surtout pas en parler ? Reste-t-elle assise, à attendre que quelqu’un l’aide ? Murmure-t-elle « bonne nuit hibou » à son fils, lovés sur le canapé ? « Tu sais, ce soir, papa ne rentrera pas… »

L’histoire est terminée. Il est temps d’aller se coucher. Bonne nuit mon Antoine, bonne nuit mon amour… Tu verras, le monde est beau, on y fait de magnifiques rencontres, on découvre des personnalités extraordinaires… Ne t’inquiète pas,  le monde est beau, il est de toutes les couleurs, et résonne de tous ces mots, liberté, égalité, fraternité... N’aie pas peur, dort, nous sommes là pour te protéger, et te préparer une vie à la hauteur.

Dehors, la pluie s’est arrêtée. C’est sûr, la flamme continuera à briller.
 

Bénédicte
Charlie