dimanche 16 novembre 2014

A venir...

Tout avait commencé en fin d’après-midi. Une énième dispute, pour une énième bêtise. Mais cette fois s’en était trop. Elle avait pris son grand sac bleu marine qui attendait là, dans le couloir, avec toutes ses affaires, sa veste en cuir, ses clés. Elle l’avait insulté, puis lui avait demandé expressément de ne plus être là à son retour. « Ca ne risque pas ! » avait-il répondu. Il ne s’était même pas retourné pour la regarder. De toute façon, il ne pouvait pas savoir, elle ne lui avait rien dit.

 Elle était descendue dans le garage, et la voiture avait refusé de démarrer. C’est là qu’elle avait commencé à pleurer. De rage sans doute, mais de peur aussi. La peur de l’inconnu, d’être seule dans l’épreuve, la peur qu’on la prenne pour une idiote, alors que c’était lui qui avait tous les torts. Elle était partie à pieds.

Les bus filaient, elle marchait. Le long de la route. Une petite fille avec un ruban rouge enfermée dans une voiture stationnée la regardait fixement. C’est à cet instant précis qu’elle l’avait ressenti. Une douleur lancinante, elle en aurait pleuré. « Tout ça c’est de sa faute ! ». Elle l’avait détesté. Pour tous ces coups portés, qu’elle avait tenté de pardonner. Pour tous ces mots plus hauts les uns que les autres. Pour ces nuits à l’attendre alors qu’il ne rentrait pas, pour sa façon de la dénigrer, sans cesse devant les autres.

Il avait tout démoli. Détruit. Cassé. Il avait su lui reprendre tout ce qu’elle avait acquis. Un peu de confiance en elle, grâce à son nouveau boulot. Un peu de fierté, grâce à la reprise du sport. Il l’avait salie, anéantie. Et à présent, elle était sûre qu’il y avait pris du plaisir.

« Le salaud ! ». Elle soufflait entre ses dents. Elle avait mal. Cette douleur qui vous fait vous plier en deux. Elle pleurait, s’arrêtait pour respirer un peu, reprenait courage. Les bus filaient, elle accélérait. L’avenue était longue, elle n’en voyait pas le bout.

Pourtant tout avait bien commencé, il y a dix ans. Leur premier baiser, échangé sur le petit pont de bois qui franchit la rivière juste derrière chez-elle. Ses belles phrases, ses compliments. Oui, elle s’était sentie belle dans ses yeux. Elle avait cru revivre, et elle s’était projetée, loin, très loin, dans un avenir à deux. Ils avaient des projets. Mais souvent tout ratait. Les quelques verres du début ne l’avaient pas inquiété. Elle avait pensé que ça passerait, avec le temps. « Il a juste un peu l’alcool méchant », disait-elle pour l’excuser. Mais un jour, elle avait du camoufler sous le fond de teint son œil tuméfié, et elle avait commencé à avoir honte. Chaque fois il s’excusait. Chaque fois il l’implorait. Elle pardonnait. Ils s’étaient finalement mariés. Il y a quatre ans. Une belle fête. Vraiment.

- Je peux vous aider mademoiselle ?
- Madame !
Elle s’en était voulu d’hurler après ce pauvre passant qui était sans doute effrayé par son état. Il avait d’ailleurs passé son chemin sans demander son reste. Mais elle ne pouvait pas faire autrement. Elle bouillonnait. Enrageait. Grondait. Soufflait. Elle aurait pu hurler. « Je le déteste ! ». Mais de toute façon, qu’est-ce que ça changeait ? C’est elle qui se retrouvait là, sur cette grande avenue, avec son gros sac et ses larmes plein les yeux. Elle prit appui sur le poteau d’un arrêt de bus, et rendit tout son déjeuner.

« Je ne recommencerais plus ! ». Il disait. Toujours. Plein de bonnes résolutions. Elle l’avait cru. A chaque fois. Elle lui trouvait des raisons. Le temps passait, elle perdait petit à petit toute sa dignité. Et puis, pendant un an, il n’y avait plus rien eu. Pas un incident. Il prenait soin d’elle. L’encourageait. La dorlotait. Un an de répit, pour obtenir ce qu’il voulait. « Reculer, pour mieux frapper », grogna-t-elle entre deux spasmes.

- Montez madame, je vous emmène !
Elle aurait pu bénir ce chauffeur de taxi. Comment avait-il su ? A vrai dire, il n’était pas tellement difficile de déceler la détresse sur son visage. Il avait eu la gentillesse de ne pas lui parler, de ne lui poser aucune question. Elle avait sangloté, pendant tout le trajet, recroquevillée sur elle-même, la tête dans les genoux.

C’est fini. Il ne la touchera plus. Jamais. Elle ne voulait plus le voir. Il n’aurait plus jamais le droit de lever la main sur elle. Elle allait porter plainte c’est sûr. Oui, à son retour, elle commencerait pas ça. Elle espérait juste qu’il ne serait plus là. Elle se fera accompagner. Elle racontera. Elle expliquera. Après tout, c’est lui. C’est lui qui a tout faux. Elle n’avait fait que subir, pendant toutes ces années. Maintenant, il allait payer. Sans le savoir, il lui avait donné une force supplémentaire de se battre. Une force surhumaine. Et ce n’était pas pour elle qu’elle allait le faire.

- C’est ici, ça ira ?
- Merci, je vous dois combien ?
- Filez, je crois que vous avez assez souffert comme ça !
Elle avait claqué la porte, et avait du attendre un peu avant de se diriger vers le grand bâtiment. Le temps que ça passe. Le temps de reprendre ses esprits. De se dire qu’il existe en ce monde des hommes qui valent le coup d’être connus. De se dire que maintenant, c’était le moment de la rencontre. Oui, elle avait compté, toutes les deux minutes maintenant. « Dépêche-toi ! ».

Elle sonna, on répondit, à l’interphone.
- Bonjour, je m’appelle Sonia, je crois que je suis sur le point d’accoucher.
La porte s’ouvrit, elle pénétra dans l’hôpital, et pour la première fois depuis dix ans, elle pu penser quelques minutes à son avenir. A l’avenir à deux, avec l’enfant qu’elle attendait.